• " Il faut changer tous les logiciels économiques "

    " Il faut changer tous les logiciels économiques "

    Bruno Amable, chercheur au Cepremap, professeur à l'université Paris-I



    Signataire du " Manifeste des économistes atterrés ", vous estimez que le virage vers la rigueur budgétaire en Europe procède d'un choix idéologique. Pourquoi ?

    YPassé le sauvetage du système financier, la question des déficits et de la dette me paraît utilisée comme une stratégie de choc, une fantastique opportunité de faire passer des réformes néolibérales qui autrement ne seraient pas acceptées : relèvement de l'âge de la retraite, économies sur la santé, l'éducation, etc.

    Je pense que cette politique correspond aux intérêts dominants des groupes sociaux qui soutiennent les gouvernements. La crise est ainsi une opportunité pour ceux qui ont intérêt à la transformation néolibérale.

    Cette grille de pensée est-elle marxiste ?

    Pas seulement. Toutes les théories économiques font référence aux intérêts des groupes sociaux dominants dans leur analyse des décisions gouvernementales.

    Il existe des facteurs de rationalité : sans réforme des retraites, la France ne risque-t-elle pas de perdre sa notation AAA et de devoir emprunter plus cher ?

    Les dirigeants se servent des marchés financiers, et les servent. Ils doivent choisir : accepter de dépendre des marchés financiers ou bien transformer radicalement cette dépendance. L'Europe serait en mesure d'affaiblir le pouvoir de la finance et de redéfinir beaucoup de politiques macroéconomiques et structurelles, comme le suggère le Manifeste. Il faut changer tous les logiciels économiques : l'indépendance de la Banque centrale européenne - BCE - , la non-coordination des politiques budgétaires, la façon dont sont prises les décisions de politiques budgétaires, les politiques commerciales...

    Toute la politique structurelle européenne est sous la coupe de celle de la concurrence, qui vise à développer le business de très grands groupes profitant de la privatisation et de l'ouverture des services publics. Cela est supposé bon pour le consommateur, mais ce n'est vrai que dans quelques cas seulement.

    Vous proposez aussi d'organiser le libre-échange entre l'Europe et le reste du monde. Comment ?

    Il ne s'agirait pas de fermer les frontières, mais d'ériger une véritable stratégie européenne de développement à long terme, de l'économie, de l'emploi et de l'innovation. La politique de concurrence a une vue de très court terme et ne résout pas les problèmes comme la protection de l'environnement. Le libre-échange organisé suppose des taxes environnementales comme de poser des conditions sociales aux échanges. Il n'est pas admissible de développer des activités de fabrication de produits loin du lieu de leur consommation, pour la seule raison que les salariés n'y ont pas de droits sociaux car ils vivent sous la coupe d'une dictature.

    C'est pourtant ce que font les entreprises des pays riches, dont les implantations en Chine assurent la majorité des exportations de ce pays ?

    Effectivement, et cela montre que la politique économique est décidée pour satisfaire les groupes sociaux dominants. Le Manifeste propose une rupture avec les schémas de pensée habituels.

    Rencontrez-vous un écho dans les autres pays européens ?

    Oui, notamment en Allemagne. Cela risque d'être un long chemin avant de toucher les politiques. Quand on est réaliste, on ne peut être que pessimiste car les problèmes ne sont pas résolus. Mais quand on n'a pas envie de se résigner, il faut être actif.

    Propos recueillis par A. de T.

    • Pour en savoir plus

      En librairie

      Le rapport Stiglitz, pour une vraie réforme du système monétaire et financier international, Joseph Stiglitz, éditions Les liens qui libèrent, 299 pages, 21 ¤.

      La Gouvernance de la mondialisation, de Jean-Christophe Graz, 3e édition, éditions La Découverte, 125 pages, 9,50 ¤.

      Marchés de dupes. Pourquoi la crise se prolonge, d'Henri Bourguinat et Eric Brys, éditions Maxima, 246 pages, 19,80 ¤.

      Sur Internet

      Le " Manifeste d'économistes atterrés ", sur le site de l'Association française d'économie politique :

      www.assoeconomiepolitique.org


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