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« La nouvelle économie sera verte et politique » Henri Proglio
le monde d'après Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Dans le dernier volet de notre série, Henri Proglio estime que la crise permet enfin d'ouvrir les yeux sur un monde en pleine mutation. Et que l'entreprise devra, plus que jamais, démontrer son utilité sociale.
interview Henri Proglio PDG de Veolia Environnement
« Le monde ne sera jamais plus comme avant », a dit Nicolas Sarkozy en référence à l'après-crise. Partagez-vous cette opinion ?
La crise n'est pas terminée, mais nous avons déjà la certitude que le monde d'après ne sera pas la simple résurgence du monde d'avant la crise, que ce dernier est bel et bien révolu. Nous privilégions trop souvent les récurrences par rapport aux anticipations, ce qui empêche de voir les évidences. Cette crise nous aidera à ouvrir les yeux sur un monde transformé en profondeur. De nouvelles lois s'imposent en effet. Celle de la rareté, d'abord, et elle concerne toutes les ressources naturelles, y compris l'eau. Pour ne citer qu'un seul chiffre, les prélèvements en eau ont été multipliés par huit en un siècle et devraient augmenter encore de 30 % d'ici à 2025. La loi de la densité, ensuite, avec une urbanisation croissante, et 80 % de la population mondiale qui occupent désormais seulement 5 % de la surface terrestre. La loi de la diversité, enfin, dans un monde qui cherche de nouveaux équilibres avec la montée des revendications des puissances émergentes.
Quels changements vous semblent être les plus certains ?
La nouvelle économie sera verte. Les enjeux et les pressions sur les ressources sont tels que le développement des nouvelles technologies devrait rapidement se généraliser. La nouvelle économie sera également politique. Nous étions auparavant dans un monde d'abondance de liquidités, de primauté absolue de l'initiative privée où la puissance publique était reléguée au mieux au rang de régulateur et au pire à celui de spectateur. La crise marque une rupture, car elle a intensifié le rôle et l'implication des États avec les plans de sauvetage et de relance. Je suis convaincu que l'implication des États sera encore plus déterminante dans la compétition internationale. À ce titre, les partenariats public-privé pourraient prendre une part croissante dans l'économie, sous une forme rénovée, permettant à l'argent public ? moins cher mais pas suffisant pour créer une dynamique économique ? de s'investir dans des projets confiés à des entreprises privées. Ce serait réunir le meilleur des deux mondes.
Pensez-vous que l'après-crise va également rebattre les cartes en termes de pouvoirs et de priorité au sein de l'entreprise ?
Il est clair que les logiques purement financières, qui ont dominé le monde de l'entreprise des dernières années, vont s'équilibrer au profit d'une reconsidération des logiques industrielles de long terme. C'est une demande forte à la fois de l'entreprise et de ses salariés, mais également de l'État et de l'opinion. Je pense aussi que la prise en compte du long terme sera également un gage de crédibilité et de solidité pour les investisseurs, qui, eux-mêmes, devront mieux prendre en compte le long terme dans le choix de leurs investissements pour garantir une meilleure sécurité aux épargnants. La montée en puissance des fonds souverains témoigne d'ailleurs de l'apparition de nouvelles formes d'investissement possibles et d'une redistribution des sphères d'influence.
La crise va-t-elle faire émerger de nouvelles valeurs dans l'entreprise ?
Elle va surtout réhabiliter ses valeurs fondamentales. Pour qu'une entreprise soit durable, il faut associer à ses ambitions l'ensemble de ses parties prenantes. Cette évidence a été oubliée, non pas par les entreprises elles-mêmes, mais par ceux qui, médias ou marchés financiers, ne voient l'entreprise et n'en parlent qu'au travers de ses performances financières ou boursières. Or une entreprise doit être identifiée par son métier, ses compétences, l'ambition collective qu'elle représente. Ce ne sont pas de vains mots, mais bien une réalité vécue comme telle en interne. La crise va peut-être aider à regarder différemment l'entreprise, qui ne peut exister par une simple juxtaposition d'ambitions individuelles.
Mais la crise ne va-t-elle pas renforcer les exigences de la société à l'égard des entreprises ?
Sans doute. On parle d'ailleurs déjà depuis plusieurs années de principes de précaution et de traçabilité. Ces deux principes s'imposent de plus en plus à toutes les entreprises. Un seul secteur y échappait encore, celui de la finance. Il faudra en tirer les conséquences. Mais l'acceptabilité d'un système, d'une entreprise ne se décrète pas. Elle se construit. Il y a toujours des révoltes qui remettent en cause des positions établies lorsque l'opinion ne perçoit plus leur utilité ou que les réponses données ne sont plus claires. C'est vrai des régimes politiques comme des aventures industrielles. Demain plus qu'aujourd'hui, l'entreprise aura des comptes à rendre sur son utilité et elle devra le démontrer sans artifice.
Propos recueillis par Éric Benhamou
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