• LES BANQUES PENSENT POUVOIR SE SAUVER D’ELLES-MÊMES !par François Leclerc


    Est-ce jouer avec complaisance les prophètes de malheur que de relever dans les nouvelles américaines d’hier et d’aujourd’hui la forte dégradation de la situation des marchés immobiliers commercial et résidentiel ainsi que la chute brutale du crédit à la consommation, les deux principaux moteurs identifiés de l’économie ? Contredisant, tout du moins dans les apparences, les conclusions du « livre beige » de la Fed (le rapport écrit publié avant ses réunions du Comité de politique monétaire), qui vient d’être publié et met l’accent sur le fait que « l’activité économique a continué de se stabiliser en juillet et en août », ce qui permet à certains de prédire rapidement que la récession est terminée  ?

    Où est l’erreur, quand sur le front de la finance on apprend que la demande des banques aux enchères de refinancement de la Fed (les adjudication) a été d’un montant nettement inférieur aux précédentes, pour se rapprocher avec un montant de 31,9 milliards de dollar de ceux d’avant la crise d’environ 30 milliards ? Ou bien lorsque la FDIC informe que son programme de garantie de la dette bancaire pourrait prendre fin au 31 octobre prochain, au profit d’un plan destiné aux seuls cas d’urgence ? Cela va mieux ou pas, comment s’y retrouver  ?

    On se demande si une confusion voulue n’est pas en train de s’installer, privilégiant à la reconnaissance de la tendance lourde et destinée à durer de la mauvaise situation économique générale la mise en avant de l’embellie financière et boursière constatée parallèlement, comme une feuille de décor filmée sur un plateau délabré, maintenu précautionneusement hors champ par la caméra aussi longtemps que dure le tournage. Soulignant que les banques américaines ont certes réussi à lever des capitaux dans des conditions douteuses abondamment relevées (les stress tests et leur suite), pour mieux s’interroger sur la réalité de leur solidité financière.

    Comme si elles avaient enfoui plus profondément sous ces fonds des actifs comptablement revalorisés par un artifice, mais dont la valeur ne s’était pas pour autant améliorée sur le marché et qu’elles prétendaient vivre en leur compagnie dorénavant. Et qu’elles envisageaient de continuer à le faire, alors que de nouvelles dévalorisations menaçaient de s’imposer, dont elles allaient encore ignorer la nécessité, pour les mêmes raisons et avec les mêmes méthodes. Comme si l’on assistait également, mais en beaucoup plus grandes et lourdes conséquences, à la manifestation de ce déni auquel les hommes politiques nous ont accoutumés, et dont les banques ont fait une méthode peu orthodoxe et dangereuse de gestion. Enfouissant, pour ne plus les voir, les témoins tenaces de leurs errements, faisant des risques d’hier ceux de demain, tout en prétendant désormais maîtriser ce risque (se préparant à en prendre d’autres). Incorrigibles et incontrôlés apprentis sorciers !

    Rappelons donc que, pour le sixième mois consécutif, l’en-cours du crédit à la consommation US a reculé en août de 21,5 milliards de dollars par rapport à juillet, soit une chute de 10,4% en rythme annuel. Que 358.471 saisies immobilières ont été prononcées en août, sensiblement le même chiffre que celui de juillet, qui était un record.  Que, selon l’Association des banquiers hypothécaires (MBA), les retards de paiement d’emprunteurs dans l’immobilier commercial ont atteint un niveau inégalé au deuxième trimestre. Et que seulement 12 pour cent des emprunteurs individuels éligibles au programmes d’aide financière (une faible part de ceux qui ont fait défaut) ont obtenu la renégociation de leur prêt à la baisse et que, selon le département du Trésor, des millions de prêts vont faire à leur tour défaut. Voilà la réalité que cache ce décor qui se voudrait avantageux.

    Mais l’est-il tellement  ? Rien n’est moins sur, si l’on écoute l’agence Moody’s, qui vient de rendre publique une étude selon laquelle le marché de la titrisation, qui permet aux banques de sortir de leur bilan le risque des crédits qu’elles accordent, s’est effondré et ne redémarre que très lentement. « Les mauvaises performances vont se poursuivre dans la titrisation adossée à des prêts aux consommateurs malgré la croissance du PIB, parce que le niveau du chômage et des prix de l’immobilier vont continuer à se détériorer pendant une bonne partie de l’année 2010 ». De même pour les prêts immobiliers aux particuliers, et pire encore sur le marché de l’immobilier commercial, un marché où « les défauts de paiement, la valeur des biens et d’autres mesures de performance sous-jacente se sont considérablement détériorés ». Voilà ce qui explique, avec la « perte de confiance » enregistrée sur le marché interbancaire, sur lequel seuls les opérations à court terme reprennent quelques couleurs, pourquoi le crédit n’est pas prêt de repartir et l’économie avec lui. Voilà également un sujet d’inquiétude pour les marchés financiers, pour lesquels la titrisation était, sous couvert du soutien à l’économie, une source de gigantesques profits, qu’il est essentiel de renouveler sur de nouvelles bases.

    Un discours a hier fait le tour de la planète et des rédactions, celui de Lloyd Blankfein, le Pdg de Goldman Sachs, car il sonnait comme un véritable manifeste et était prononcé par un homme pouvant concourir au titre de plus puissant la planète. Quel a été l’essentiel du message  ? « Retirer totalement le risque du système se ferait aux dépens de la croissance économique » a martelé son auteur fort écouté, ajoutant : « si nous abandonnons, au lieu de réguler, des mécanismes de marché créés il y a plusieurs dizaines d’années, comme les produits dérivés, nous pourrions limiter l’accès au capital et une protection et distribution efficaces contre le risque ». Donnant de son point de vue le coup de grâce en affirmant  qu’il fallait «résister à la tentation d’une réaction visant uniquement à nous protéger d’une tempête qui n’arrive que tous les 100 ans ». Le reste de ses propos n’étaient que des concessions formelles, des habillages concédés et faisant la part du feu, sur la compensation des produits dérives « normalisés » dans des chambres de compensation (cf. le billet d’hier), la réintégration dans les bilans financiers des véhicules d’investissement hors-bilan (SIV), ou bien encore les bonus.

    La manière avec laquelle le Pdg de Goldman Sachs a présenté ce qui était également le plaidoyer du secteur financier n’était pas sans habilité, il faut la relever : « le secteur a laissé la croissance et la complexité des nouveaux instruments dépasser leur rôle économique et social ainsi que les moyens opérationnels de les gérer. Résultat, les risques opérationnels ont dramatiquement augmenté, et cela a eu un impact direct sur la stabilité globale du système financier ». Le Financial Times titrant  :  »Le patron de Goldman admet que les banques ont perdu le contrôle ». Le rôle économique et social de ces instruments (il s’agit pour l’essentiel de l’ensemble des produits dérivés) justifie donc d’en reprendre le contrôle (on ne sait pas comment), dans la logique de cette présentation, mais pas de les mettre ne serait-ce que partiellement en cause. Avec cet argument imparable: il faut que les clients qui manifestent un fort appétit pour le risque (et pour les profits) puissent trouver dans le catalogue de produits que leur présentent les banques chaussure à leur portefeuille.

    Combien sur la défensive apparaissent, dans ces conditions semblant comme dictées par le vainqueur, la tentative des banques françaises de se défausser devant la menace qui leur pend au bout du nez de devoir augmenter leurs fonds propres  ! « Nous aimerions que l’ensemble des questions liées à la stabilité financière ne soit pas réglée par l’addition de couches de fonds propres », a demandé Ariane Obolensky, directrice de la Fédération bancaire Française (FBF), se réfugiant derrière l’application des normes prudentielles dites de « Bâle II » et à la méthode du calcul des risques. Faisant penser que le calcul de risque pour les banques européennes ce qu’a été la révision des normes comptables pour les américaines. Il faut se pencher dans le dédale technique des méthodes de calcul de risque de « Bâle II » pour comprendre que c’est un formidable terrain de jeu pour tout financier un peu créatif, une espèce qui n’est pas en voie de disparition. A chacun ses méthodes et ses travestissements des deux côtés de l’Atlantique. L’argument décisif étant ensuite employé par la FBF  : des exigences trop élevées de fonds propres pourraient « affecter le financement de l’économie ». On se demande bien pourquoi…

    Aller voir ce lien :

    évolution faillites bancaires aux US 


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