• Les douze recommandations de la commission Stiglitz pour mesurer notre bien-être

    Ludovic Lamant

    • ·  Que retenir du rapport final de la commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, qui sera rendu public lundi 14 septembre dans le grand amphithéâtre de <st1:personname productid="la Sorbonne" w:st="on">la Sorbonne</st1:personname> à Paris, et auquel Mediapart a eu accès? Une condamnation sans appel de l'hégémonie du Produit intérieur brut (PIB), qui devrait faire date, et des pistes parfois audacieuses pour mesurer le «bien-être» des individus comme la «durabilité» du développement des sociétés. Présidé par l'américain Joseph Stiglitz, le groupe de vingt-deux experts (dont deux femmes seulement, et pas moins de quatre Nobel, tous américains), fait le pari que le séisme économique des derniers mois va légitimer un peu plus ses travaux décisifs, pour remettre l'individu au centre de l'économie.

     «La crise nous enseigne une leçon très importante : ceux qui tentent de diriger l'économie et nos sociétés, sont comme des pilotes sans boussoles, lit-on dans l'introduction. Si la conscience des limites des instruments de mesure classiques, comme le PIB, avait été plus forte, peut-être l'euphorie entourant les performances économiques des années précédant la crise aurait été moins vive.» A travers douze recommandations, la commission exhorte donc les responsables politiques, les chercheurs, les journalistes, mais aussi les associations et la société civile, à «aller au-delà du PIB», pour reprendre le slogan d'une conférence «historique» organisée sur le sujet par <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> européenne, en novembre 2007.

    L'inventaire des faiblesses du PIB n'est pas nouveau, mais c'est peut-être la première fois que des économistes aussi prestigieux le formulent de manière aussi nette. Le PIB, somme des valeurs de tous les biens produits sur un territoire, a pris un coup de vieux, car la société a changé depuis la création de cet indicateur en 1932. «La part de plus en plus importante des services et la production de produits de plus en plus complexes à réaliser rendent l'évaluation de la production et de la performance économique plus difficiles qu'auparavant.» Pire: le PIB ne dit rien des inégalités d'une société. Ce n'est pas parce que le PIB croît que les inégalités décroissent. Il faut donc, estime le panel, davantage se placer du côté des ménages pour apprécier la donne.

    Préférer aux approches globales des visions plus fines, par catégories sociales et par revenus (par exemple, l'inflation n'a pas le même effet sur le pouvoir d'achat des plus riches ou des plus pauvres). Insister sur les activités «non marchandes» dans le calcul de la richesse d'un pays (notamment dans les pays du Sud, où des biens sont produits dans l'enceinte familiale). Prendre en compte le patrimoine des ménages pour juger de leur situation (car celui qui dépense tout son argent en consommation ne travaille pas à son bien-être futur).  
    ·  Comment anticiper le bien-être d'une société?

    On s'en doutait depuis le début des travaux: la commission n'a pas cherché à remplacer le PIB par un autre hypothétique indicateur vedette. D'abord parce que le PIB reste un indicateur pertinent pour mesurer la performance économique d'un pays et anticiper, par exemple, les évolutions sur le front de l'emploi. Mais aussi parce qu'il faut prendre en compte une multitude de dimensions pour rendre compte du bien-être d'une personne, depuis la santé jusqu'à la sécurité, passant par l'éducation, l'environnement ou même l'intensité de ses relations sociales, et qu'aucun indicateur agrégé ne peut y parvenir seul. Des critères tels que la qualité d'une démocratie, le taux de mortalité infantile ou encore le taux de scolarisation sont mis en avant dans le rapport – sans surprise.

     

    Le plus spectaculaire, et sans doute l'un des points les plus débattus au sein de la commission, est ailleurs : la dixième recommandation [ci-dessous] propose de «prendre en compte les évaluations faites par les intéressés eux-mêmes de leur vie, et d'enregistrer leurs propres échelles de priorités». En clair, il s'agit d'intégrer au calcul de la «qualité de vie» les perceptions subjectives des populations, via des sondages plus ou moins élaborés. Sur ce point, la concrétisation s'annonce particulièrement délicate (quelles lignes de budget? quelle utilisation par le pouvoir politique?). En tout cas, <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> a l'air d'y croire très fort: «Des mesures quantitatives de ces éléments subjectifs devraient permettre de livrer, non seulement une mesure de la qualité de vie en tant que telle, mais aussi une meilleure compréhension de ses déterminants.»

     

     

    Enfin, le rapport se conclut sur des pistes de mesure du développement durable. Comment jauger la croissance verte? Comment anticiper le bien-être d'une société à T+1 ou T+2 ? Les experts n'ont pas fait les choix les plus consensuels. Ils proposent un tableau d'indicateurs permettant de calculer des «variations de stocks». L'idée étant, à chaque fois, d'établir ce qu'il restera aux générations à venir. Pour que la croissance soit durable, il faut donc que les stocks s'accumulent. Par exemple, un pays, dont la croissance repose avant tout sur l'exploitation de ses matières premières, est en train de détruire son capital: ses stocks s'amenuisent, sa croissance n'est pas tenable.

     

    Déjà très contestée, l'Epargne nette ajustée (ENA) ferait son grand retour. L'indicateur, inventé par <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> mondiale («genuine savings»), recourt à des chiffres classiques de la comptabilité nationale, comme les dépenses d'éducation ou l'épargne intérieure brut, pour rendre compte de la «durabilité» d'une société. Un instrument monétaire, donc, très critiqué par les écologistes, qui défendent eux des indicateurs physiques (comme l'empreinte écologique). Par rapport à la première version du rapport publié en juin, la commission a tout de même arrondi les angles, et pris ses distances avec une approche purement monétaire. On notera par ailleurs que l'empreinte écologique, très à la mode ces derniers temps, n'a pas été retenue par le panel.

     

     Site le la Commission Stiglitz 

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