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Les idolâtres de la finance doivent céder la place by Dani Rodrik
CAMBRIDGE – La course au premier poste économique de la planète est ouverte. Le mandat du président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, s'achève en janvier et d'ici là le président Obama doit décider s'il le nomme pour un deuxième mandat ou s'il choisit quelqu'un d'autre. Les noms que l'on entend le plus souvent sont ceux de Larry Summers et de Janet Yellen, des membres de renom du parti démocrate.
Ce sera une décision d'une importance cruciale non seulement pour l'économie américaine mais pour toute l'économie mondiale. Responsables de l'approvisionnement en monnaie d'un pays et des taux d'intérêt à court terme, les banques centrales ont toujours eu un rôle clé. Une trop grande baisse des taux d'intérêt et c'est l'inflation et l'instabilité monétaire. Une trop grande hausse et l'économie s'enfonce dans la récession et le chômage.
La politique monétaire n'est pas vraiment une science, aussi un bon président de banque centrale doit-il faire preuve d'humilité. Il doit tenir compte des limites de ce qu'il peut comprendre et de ce qui est réalisable ou pas avec les outils à sa disposition. En même temps il ne peut se permettre d'apparaître indécis, car cela inciterait à une spéculation déstabilisatrice.
Lors de ces dernières décennies, l'importance des banques centrales a encore augmenté en raison de l'expansion des marchés financiers. Même lorsqu'elles n'ont pas été formellement conçues pour cela, les banques centrales sont devenues les garantes de l'équilibre des marchés financiers. Le risque d'échouer dans ce domaine est apparu sous un jour cru avec la débâcle des crédits immobiliers à risque. Du fait de la nouvelle règle du jeu proposée par Obama, la Fed aura encore davantage de responsabilité, elle devra éviter les crises financières et veiller à ce que les banques ne prennent pas de risques inconsidérés.
C'est une tâche à laquelle le précédent président, Alan Greenspan, a parfaitement échoué en raison sans doute de son point aveugle sur les excès des marchés financiers. Son "petit défaut" - ainsi qu'il l'a baptisé par la suite - l'a rendu aveugle aux dangers des innovations financières des titans de Wall Street. On peut adresser le même reproche à Bernanke, car il était membre du conseil des gouverneurs sous la présidence de Greenspan entre 2002 et 2005.
Le président de la Fed exerce une influence quasiment mondiale non seulement en raison de ce qu'il fait en matière de politique monétaire, mais aussi en raison de ce qu'il dit. Il fixe le ton des discussions et contribue à forger le référentiel dans lequel opèrent les responsables politiques du monde entier.
En tant que régulateurs financiers, Greenspan et Bernanke étaient freinés dans leur action par leur crainte de Wall Street et de ce qui pouvait s'y passer. Ils pensaient que ce qui est bon pour Wall Street est bon pour l'Amérique. Cela va sans doute changer en raison de la crise, même si Bernanke reste en place. Mais ce dont le monde a besoin, c'est d'un président de la Fed qui soit instinctivement sceptique à l'égard des marchés financiers et de leur valeur en terme social.
Voici quelques-uns des mensonges auxquels croient les milieux financiers et qu'ils disséminent, des mensonges auquel le prochain président de la Fed devra résister.
Les marchés financiers déterminent le prix adéquat pour répartir le plus efficacement possible le capital et les autres ressources . C'est ce que disent les manuels et les milieux financiers, mais il y a de bonnes raisons d'en douter.
Les dysfonctionnements des marchés financiers sont bien trop nombreux pour que les prix qu'ils génèrent permettent une bonne allocation des ressources. Il y a conflit d'intérêts entre les propriétaires des capitaux et les dirigeants des banques et des firmes financières. L'asymétrie de l'information entre vendeurs et acheteurs de produits financiers fait que ces derniers peuvent facilement être abusés, ainsi qu'on l'a vu avec les crédits immobiliers adossés sur des titres financiers.
La garantie implicite ou explicite de bénéficier d'un plan de sauvetage en cas de difficulté suscite une trop grande prise de risque. Les grosses firmes financières qui servent d'intermédiaire mettent en danger tout le système financier quand elles font une mauvaise analyse des risques et prennent une mauvaise décision. La réglementation ne peut être au mieux qu'une solution partielle à ce problème. Aussi les prix tels qu'ils sont fixés par les marchés financiers peuvent-ils fournir des indications erronées.
Les marchés financiers disciplinent les gouvernements . C'est un lieu commun quant aux avantages des marchés financiers, pourtant cette affirmation est manifestement fausse. Quand c'est l'euphorie sur les marchés, ils ne sont pas en position de discipliner un emprunteur, et encore moins un gouvernement bien noté en matière de crédit. Il suffit de voir le nombre de gouvernements de pays émergeants qui ont pu emprunter sans difficulté sur les marchés internationaux, généralement avant que n'éclate une crise des paiements.
Dans beaucoup de cas (la Turquie dans les années 1990 en est un bon exemple), les marchés financiers ont laissé des gouvernements irresponsables s'embarquer dans une course aux emprunts qui ne pouvait que mal se terminer. Quand la discipline du marché se fait sentir, elle s'applique aveuglement, c'est en général trop tard et la situation est trop grave.
L'expansion des marchés financiers est foncièrement positive . C'est faux. En matière financière, la mondialisation était supposée permettre aux pays pauvres et sous-capitalisés de bénéficier de l'épargne des pays riches. Elle était censée favoriser le partage des risques au niveau global.
Ni l'une ni l'autre de ces attentes ne s'est vérifiée. Dans les années qui ont précédé le crash financier, le capital s'est déplacé des pays pauvres vers les pays riches, plutôt que l'inverse - ce qui n'était peut-être pas une mauvaise chose, car les gros emprunteurs (en termes net) sur les marchés internationaux tendent à avoir une croissance plus faible. Avec la mondialisation financière, la volatilité économique des marchés émergents a augmenté, en partie du fait des crises financières fréquentes engendrés par les déplacements de capitaux.
L'innovation financière contribue à améliorer la productivité et le bien-être économique . A nouveau, c'est faux. Supposons que nous ayons demandé il y a cinq ans des exemples d'innovations financières véritablement utiles. On nous aurait répondu par une liste interminable d'instruments liés au crédit immobilier, supposés permettre à des acheteurs de financer des achats qu'ils n'auraient pu réaliser autrement. Nous savons maintenant à quoi cela a conduit. La réalité est sans doute plus proche de ce que pense Paul Volcker : les distributeurs automatiques de billets de banque sont bien plus utiles que ne l'a jamais été un produit issu de l'ingénierie financière.
Pendant trop longtemps ce sont les idolâtres de la finance qui ont mené l'économie de la planète. Le temps est venu qu'ils cèdent la place aux sceptiques.
Dani Rodrik, professeur d’économie politique à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard, est le premier lauréat du prix Albert O. Hirschman du Social Science Research Council. Son dernier livre s’intitule One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth.
Copyright: Project Syndicate, 2009.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitzc'est moi qui surligne .
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