• Nicolas Sarkozy et les banques: une complicité bien rodée Mediapart Gérard Desportes

    Nicolas Sarkozy et les banques: une complicité bien rodée

    • ·  Pour comprendre la réunion de l'après-midi, ce mardi 25 août, entre les banquiers et le président de <st1:personname productid="la République" w:st="on">la République</st1:personname>, peut-être fallait-il être une petite souris et assister le matin à la réunion du
     

    Séance de rentrée pour le chef de l'Etat depuis son malaise de juillet, ministres et secrétaires d'Etat au grand complet, mines hâlées, petites phrases toutes prêtes à la sortie pour témoigner de leur ardeur à se remettre au travail, un barouf comme jamais dans la cour de l'Elysée au moment de remonter dans les berlines.

    Et de quoi leur a parlé le chef de l'Etat? De la contribution climat énergie qui figurera pourtant dans le projet de loi de finances 2010? Pas un mot. De la grippe A qui s'approche avec l'hiver et mobilisera une cellule ministérielle de crise avec Brice Hortefeux et Roselyne Bachelot ce jeudi? Non. Du plan de relance dont Patrick Devedjian s'apprêtait en ouverture de ce conseil à communiquer les résultats à ses collègues (seront rendus publics ce mercredi les 18,2 milliards d'euros engagés au total dans 700 projets pilotés par l'Etat, 8 milliards de plus qu'en juin, 320.000 véhicules ayant bénéficié de la prime à la casse, 400.000 emplois du fonds de soutien...)? Que nenni.

     

    Après les encouragements d'usage, Nicolas Sarkozy a appuyé sur deux points dans son propos liminaire, deux rencontres inscrites à son calendrier, celle avec les banquiers l'après-midi du mardi et celle du G20 prévue à Pittsburgh aux Etats-Unis pour la fin septembre. Réussir la réunion avec les banquiers français pour continuer d'entretenir cette image de champion mondial de la régulation auprès de ses collègues chefs d'Etat étrangers. Convaincre que l'on se multiplie à l'échelle internationale pour masquer la conduite des affaires dans son propre pays. Tel était l'objectif de cette rentrée. Et telle fut réalisée la séquence. De la belle ouvrage.

     

    On se souvient des discours de Toulon, de Saint-Quentin, ou celui devant l'Organisation internationale du travail en juin Nicolas Sarkozy en pourfendeur des dérives du capitalisme financier, ici pour en appeler à la moralisation, la disparition des paradis fiscaux; là, pour exiger l'interdiction (sic) «du système de rémunération de ceux qu'on appelle des traders, ces jeunes gens qui jouaient à la spéculation et dont les rémunérations étaient indexées sur la prime de risque». On garde en mémoire la menace de quitter le G20 de Londres au cas où les autres chefs d'Etat n'iraient pas assez loin dans la remise à plat du système et les innombrables tentatives pour faire accroire que sans <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> la rencontre n'aurait pas eu lieu.

     

    Or que s'est-il passé depuis avril dernier? Rien ou presque. Des mots, des intentions, des leurres. Les Anglais et les Allemands ont décidé pour le 1er janvier 2010 de limiter les pratiques les plus décriées, notamment en indexant les bonus des traders sur les performances à moyen terme et non plus sur l'année. Les Etats-Unis contrôlent (très mollement) les rémunérations des seuls cent premiers salaires des entreprises aidées par l'argent public, mais sans plus. Et quoi encore? La plupart des pays – à commencer par <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> – n'ont pas bougé une oreille, quelques paradis fiscaux ont déclaré vouloir collaborer. Des broutilles. Y compris en France où l'on a bien vu avec les 5,1 milliards d'argent public acceptés et le milliard d'euros provisionné par BNP-Paribas pour rémunérer ses bons génies de l'argent bien gagné que ce qui prévalait avant l'explosion du système continue. Et peut-être en pire: c'est «le triomphe des coupables» pour reprendre l'expression de Jacques Attali. Avec le concours des Etats, les banques ont privatisé leurs profits et mutualisé leurs pertes.

     

    «Nicolas Sarkozy nous a parlé de son rendez-vous avec les représentants des banques de cet après-midi et il a insisté sur l'importance du G20. Je peux vous dire que sa détermination est totale», a raconté Luc Chatel, le nouveau ministre de l'éducation et porte-parole à l'issue du conseil des ministres. «Pittsburgh est un rendez-vous très important et Nicolas Sarkozy considère que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> a un message à y porter. Il a dit aux ministres qu'il veut faire bouger les Européens et entraîner les autres vers une réponse globale.»

     

    Mais pour aller chercher la paille dans l'œil de ses voisins, c'est bien connu, convient-il d'extraire la poutre que l'on a dans le sien. Du coup, les banquiers ont été convoqués ce mardi par le chef de l'Etat pour y être montrés du doigt et grondés. Sept fois que les représentants du monde bancaire gravissent les marches du perron cette année! Sept fois qu'ils les redescendent. Et il ne sortira rien de plus de la rencontre, un énième communiqué, de nouvelles phrases creuses, sans conséquence. En réalité, rien ne change.

      Un jeu de dupes au service de la place de Paris

    «Désormais, le trader devra attendre trois ans pour toucher l'intégralité du bonus et si dans les deux années qui suivent son activité perd de l'argent, il ne touchera pas son bonus. Pas de bonus sans malus, ce n'est pas à tous les coups on gagne», a dit le Président au sortir de sa rencontre. Forte parole. Ou encore: «Avant la réunion d'aujourd'hui, on versait des bonus, les traders prenaient les bonus, l'année suivante, leur activité perdait de l'argent, c'est le contribuable qui payait.»

     

    Les bonus tels qu'ils sont distribués sont immoraux et nocifs, le nombre de gens sérieux d'accord sur ce point ne cesse de s'agrandir (à lire dans Les Echos de ce mardi l'interview de Félix Rohatyn pilier de la banque Lazard à New York, «<st1:personname productid="La Finance" w:st="on">La Finance</st1:personname> est un danger public»).

     

    Le hic vient que, de la même manière que le socialisme dans un seul pays était une vue de l'esprit, le code de bonne conduite dans un seul pays est un but aussi illusoire que les épis de blé de trois kilos chacun pronostiqués jadis par le camarade Jdanov par l'effet de la biologie soviétique.

     

    A commencer par Nicolas Sarkozy qui rêve de faire de son fief de <st1:personname productid="La Défense" w:st="on">La Défense</st1:personname> un haut lieu de la finance mondiale, personne ne veut que la place de Paris décide seule de faire un nouveau pas vers un encadrement des règles de gestion et de transparence. Y a-t-il une seule grande entreprise française qui ait cessé de faire usage des comptes off-shore proposés par les grandes banques? Non. L'Etat a-t-il décidé de porter le fer contre les sommes faramineuses qui alimentent la spéculation? La fiscalité est-elle venue corriger les inégalités créées par les différentes bulles et les crises qui se succèdent? A-t-il pesé sur les conseils d'administration des établissements qu'il a renfloués? Pas davantage.

    Chacun attend de voir ce que le voisin fait ou, plutôt, ne fait pas. Au passage, et sans parler du rôle prépondérant des banquiers dans l'environnement de Nicolas Sarkozy, le système bancaire français totalise à lui tout seul près de 820.000 emplois, autant dire que les patrons de ce secteur ont quelques solides arguments pour réclamer un traitement comparable à ce qui existe ailleurs.

    La réunion de ce mardi après-midi a donc été un théâtre d'ombres. La réalité n'a pas d'importance, c'est l'image sur la toile qui compte et que seule le spectateur discerne. Et le spectacle est bien rodé. Pour que rien ne change, les patrons banquiers accèdent à la demande présidentielle. Nicolas Sarkozy a besoin d'une victoire, ils concèderont qu'une partie de la rémunération des traders sera versée en différé. Ils savent mieux que quiconque que les bonus ne sont qu'un épiphénomène – choquant certes pour l'opinion – mais totalement marginal de la machinerie. Mieux vaut être un bouc émissaire dans son pays qu'un handicapé sur le marché mondial. Et pour le reste, ils feront le gros dos. Notamment sur l'autre scandale de cette affaire, les restrictions sur le crédit et le refus des banques françaises de participer à la relance.

     

    Car qu'ont-ils fait des milliards prêtés, donnés, gagés et des promesses de contreparties? Au total, selon les experts, les encours de crédit progresseront autour de 2% en 2009. On est très loin des attentes de janvier. Les établissements se défendent en arguant que les crédits aux ménages ont progressé de 4,4% de juin 2008 à juin 2009, de 2,4% pour les crédits aux entreprises sur la même période et plaident non coupables concernant l'effondrement (-16,6%) du crédit à la consommation. Et à Bercy, comme à l'Elysée, on est prêt à entendre cette défense pour peu que le pouvoir puisse étaler son volontarisme et sa détermination. Là encore, les banques se feront une douce violence en acceptant que l'Elysée mette la pression sur l'allégement des garanties des prêts et l'allongement des durées de remboursement.

     

    Mais qui peut croire que l'économie réelle s'en trouvera dopée et revigorée de façon substantielle?

      Toujours la com et la posture

     

    Qu'importe. C'est que la stature internationale et ce discours keynéso-gauchisant qui tient lieu de viatique au président depuis la faillite de Lehman Brother's en septembre 2008 sont une dimension fondamentale de tout l'équilibre sarkozyen.

     

    D'abord, elle fait diversion («Sarkozy est-il de gauche», interrogeait finement Le Point de cette semaine). De surcroît, en plaçant la barre très haut à l'adresse des autres chefs d'Etat, Nicolas Sarkozy passe dans son propre pays pour un incompris, injustement ignoré par les autres dirigeants quasiment accusés d'être coresponsables de nos malheurs nationaux et internationaux. Cette surrenchère fait sourire partout dans le monde mais qui le sait sous nos clochers?

     

    Enfin et surtout parce que cette communication autour des banquiers permet d'atténuer la grossièreté de la situation en cette rentrée. D'un côté des traders et des banques d'investissement qui se goinfrent, un CAC40 qui retrouve des couleurs. Et de l'autre, un chômage qui explose. Le contraste est saisissant et sans le discours vengeur sur l'injustice des temps et les dérives de la finance, ledit équilibre serait impossible. En bête politique, le Président sait qu'il marche sur des œufs. La réforme de la taxe professionnelle et l'instauration d'une contribution énergie climat qui s'annoncent dès le projet de loi de finances 2010 n'arrangent pas le tableau des prochains mois et ce n'est pas la perspective d'un grand emprunt (Alain Juppé et Michel Rocard se lancent dans leur travail commun ce mercredi) qui modifiera la donne. Si grâce à la crise, les banques ont privatisé leurs profits et mutualisé leurs pertes, au final c'est le contribuable qui paye.

     

    Et paiera toujours plus. L'état des finances publiques en France ne laisse aucun doute sur la question. Les rodomontades sur la scène internationale, la sélection des banquiers en cibles mouvantes d'une thérapie collective contre les fauteurs de troubles ont cette vertu: elles distraient.


    Excédé par le débat sur les banques ( bonus, etc…) 


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