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Quatre principes pour en finir avec les crises financières : Frédéric Lordon
Quatre principes pour en finir avec les crises financières
par Frédéric Lordon ( extrait de « La crise de trop »)
Alors que la crise présente n’est que la répétition formelle d’une scène caractéristique de la déréglementation financière déjà expérimentée maintes fois depuis deux décennies, il devrait être parfaitement clair pour tout le monde que, sitôt les pertes digérées – il faudra certes encore quelques trimestres –, banques et fonds n’auront pas d’autre préoccupation que d’identifier le nouveau compartiment de marché susceptible de livrer le surplus désiré de rentabilité financière. Et le cycle apuration des pertes-bulle-krach repartira pour un tour…
Cet éternel retour est suffisamment pénible pour qu’on se décide à y mettre un terme. Il est cependant assez évident que les indigents moyens déployés jusqu’à présent, essentiellement constitués de menaces verbales sans suite ou de supplications à la transparence qui n’engagent à rien, ont peu de chance d’y suffire… Or la crise des subprimes est, ou aura été d’une gravité qui devrait dissuader de feindre l’action une fois de plus, et convaincre d’agir vraiment. C’est-à-dire radicalement.
Cette action radicale devrait être gouvernée par quatre principes fondamentaux – il ne devrait pas être trop difficile de voir en quoi ils rompent avec les stratégies du fil de l’eau suivies jusqu’ici. Elle pourrait prendre la forme plus précise de neuf propositions ……………
Quatre principes
Principe 1 : Quand une bulle est formée, il est trop tard. Elle crèvera nécessairement, avec l’éventualité d’armer tous les mécanismes du risque systémique – c’est-à-dire de la prise d’otage des pouvoirs publics (banques centrales et Trésors) sommés de venir socialiser les pertes sous peine de risquer un collapsus majeur. Le schéma de re-réglementation de la finance doit donc poursuivre l’exigeant objectif stratégique d’empêcher la formation des bulles. On voit tout ce qui sépare ce schéma des pauvres tentatives en cours d’élaboration, notamment aux Etats-Unis – pourtant infiniment plus réactifs que les européens sur ces sujets ! – tentatives qui, de l’aveu même du Secrétaire au Trésor Paulson, n’ont ni la vocation ni la capacité d’éviter de nouveaux accidents financiers…
Principe 2 : La finance est serve. Sa présence et son action ne sont tolérables qu’à concurrence des services qu’elle rend effectivement à l’économie productive. Et ceci spécialement si l’on prend en considération le potentiel de catastrophes que recèle toute dérive auto-centrée de l’activité financière. C’est pourquoi, compte-tenu du degré manifeste – et manifestement dangereux – d’autonomie pris par la finance contemporaine, la ramener à la subordination exigera sans doute de lui imposer de brutales, mais salutaires, régressions. Il faut y être prêt.
Principe 3 : Le principe de level playing field retenu jusqu’ici par les institutions internationales de la régulation prudentielle (essentiellement les Accords de Bâle, I et II) est une impasse. Comme son nom l’indique, le level playing field vise à établir des normes communes pour réaliser un espace financier commun. On comprend bien, compte-tenu de ce dernier objectif, qu’il ne doive y avoir aucune « dénivellation » réglementaire sauf à induire des distorsions dans la concurrence des places, les places à basse intensité réglementaire jouissant d’un avantage compétitif évident. Mais comme toujours, l’objectif intermédiaire de normes prudentielles communes a conduit à des normes prudentielles minimales. Par un effet de plus petit dénominateur commun, le dogme du level playing field, c’est-à-dire du marché financier mondial unifié, ne peut mener ailleurs qu’au minimum minimorum de la régulation. L’incapacité des accords de Bâle à empêcher quelque crise que ce soit en est la tragique démonstration. Rétablir des zones financières à régulation adéquate, sans attendre que les plus intéressés à la déréglementation – Etats-Unis et Royaume-Uni – ne finissent par s’y rendre, exige donc de leur aménager des protections, c’est-à-dire de recloisonner le marché financier mondial.
Principe 4 : L’Europe est une zone d’activité financière autosuffisante. Elle peut parfaitement adopter unilatéralement un degré supérieur de réglementation financière sans risquer, comme on s’empresse de le dire, la désertion des capitaux, ou sans que les capitaux extra-européens partis lui manquent. Au demeurant, les impératifs de diversification sectorielle et géographique rendent impossible aux investisseurs extra-européens de « faire l’impasse » sur le marché européen. Qui sait, peut-être même finiront-ils par être séduits par le degré supérieur de stabilité qui y règnera une fois la réglementation mise en place… Il est bien évident que par « Europe » il faut entendre ici les 27 moins le Royaume-Uni. Puisque le Royaume-Uni est manifestement décidé à ne revenir sur aucune des « libertés » de la finance de marché, il faut lui appliquer une stratégie adéquate de cantonnement et le considérer, en tout cas du point de vue de la reréglementation financière, comme de facto non-européen. Le Royaume-Uni ainsi mis à part, il résulte du principe précédent que la zone européenne de réglementation financière ne peut émerger qu’en cessant d’être ouverte à tous les vents de la finance, donc en envisageant certaines restrictions aux mouvements des capitaux. L’abrogation de l’article 56 (renuméroté 63) du Traité européen consolidé est donc un préalable à toute reréglementation financière sur une base européenne. Tel est l’objectif défendu par le mouvement « Stop Finance ».
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