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Quelle organisation mondiale de la finance ? André Orléan
Liquidité et fluidité excessives, à la racine de la crise Il faut segmenter les marchés pour limiter les risques Les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Pittsburgh du 24 au 25 septembre ont une lourde responsabilité : instaurer des mécanismes de régulation pérenne du système financier ou laisser les marchés réimposer leur loi
Quand on observe la liste des chantiers proposés à Londres par le G20 aux fins de " renforcer le système financier ", on ne peut manquer d'être impressionné par l'ampleur de la tâche. C'est la totalité de l'encadrement institutionnel et réglementaire des activités de marché qui se trouve critiquée : de la politique des banques centrales à la réglementation prudentielle en passant par les normes comptables, les pratiques de rémunération, les agences de notation, les produits dérivés, les fonds spéculatifs, la titrisation ou encore les paradis fiscaux. Cette ampleur est à proportion de ce qu'a été la crise : hors normes, touchant à l'intégralité des acteurs et des marchés, hormis la dette publique des grands pays développés.
Il est cependant un élément qui échappe à la critique vigilante du G20, à savoir le principe concurrentiel lui-même. Il faut même dire plus : ce projet de réforme a pour but explicite de faire en sorte que le marché mondial du capital, tel que l'ont construit trente années de réformes libérales, soit maintenu dans son rôle de pivot du système international de financement. Il en est ainsi parce que la concurrence financière est toujours perçue par le G20 comme étant le seul principe pertinent sur lequel construire la nouvelle architecture financière mondiale. Toutes les déclarations des dirigeants du G20 insistent sur ce point fondamental.
Selon cette doctrine, si la concurrence n'a pas produit les bons prix durant la crise, cela ne serait nullement dû à ses limites propres mais au fait que les institutions et réglementations censées l'épauler ont failli. La crise ne viendrait donc pas des marchés eux-mêmes, de leur inefficience intrinsèque, mais de l'extérieur des marchés : des produits opaques, des investisseurs cupides, des traders avides de bonus, des régulateurs aveugles, des agences de notation paralysées par les conflits d'intérêts, des normes comptables pro-cycliques en auraient perverti le fonctionnement.
Il s'ensuit un plan de réformes qui vise explicitement à rétablir " l'intégrité des marchés financiers " en réformant toutes les institutions qui les entourent. Son mot d'ordre est la transparence de l'information et de l'évaluation. En luttant contre tout ce qui le dévoie, il s'agit de maintenir le mécanisme de prix dans la plénitude de ses potentialités régulatrices.
Selon nous, cette doctrine qui est au coeur de la stratégie du G20 ne résiste pas aux faits. Les marchés financiers n'ont pas attendu la titrisation ou les subprimes pour produire des bulles et des krachs. Ceux-ci se retrouvent de manière récurrente tout au long de l'histoire financière. Loin d'être des accidents liés à des comportements irrationnels ou à des institutions mal dessinées, ces emballements systématiques doivent être compris comme résultant du libre jeu des forces concurrentielles lorsqu'elles s'appliquent à des actifs financiers. Autrement dit, il s'agit de comprendre que la concurrence financière ne produit pas ce qu'elle produit classiquement sur les marchés de marchandises ordinaires, à savoir une autorégulation réussie.
C'est un point théorique fondamental. Sur un marché standard, l'augmentation du prix produit automatiquement des contre-forces qui font obstacle à la dérive des prix. C'est la fameuse loi de l'offre et de la demande : quand le prix augmente, la demande baisse et l'offre augmente, toutes choses qui font pression à la baisse sur le prix et sont à la racine de l'autorégulation concurrentielle.
Sur les marchés d'actifs, il en va tout autrement. L'augmentation du prix peut produire une augmentation de la demande ! Il en est ainsi parce que l'augmentation du prix d'un actif engendre un accroissement de son rendement sous forme de plus-value, ce qui le rend plus attractif auprès des investisseurs. Une fois enclenché, ce processus produit de forts désordres puisque, la hausse se nourrissant de la hausse, il s'ensuit une augmentation vertigineuse des prix, ce qu'on appelle une bulle. Or, accroître la transparence ne suffit en rien à enrayer ce processus. Des bulles apparaissent pour des produits parfaitement transparents. La bulle Internet nous en fournit une illustration.
Aux yeux d'une telle analyse théorique, la régulation financière doit avoir pour objectif stratégique, non pas de promouvoir la transparence, mais de faire en sorte que les instabilités qui sont dans la nature de la finance de marché conservent des tailles maîtrisables sans activer le risque systémique. Pour ce faire, il s'agit de s'opposer à leur diffusion. Rappelons que c'est une telle propagation qui a transformé un accident au départ limité à un segment fort réduit de la finance états-unienne, les subprimes, en un chaos planétaire, multipliant par mille les pertes encourues.
Le maître mot de cette doctrine alternative à la transparence est la segmentation qui permet de localiser les pertes et de lutter contre l'homogénéisation des comportements, soit en spécialisant les acteurs financiers sur certains métiers ou marchés comme l'immobilier, la consommation ou le crédit aux entreprises, soit par un retour à la séparation entre banque de dépôts et banque d'investissement, comme dans le Glass Steagall Act de 1933.
Aujourd'hui, a contrario, tous les acteurs peuvent intervenir sur tous les marchés. Comme ils poursuivent tous le même objectif, à savoir le rendement maximal, cela débouche nécessairement sur une homogénéisation extrême des stratégies, chacun copiant les autres. La concurrence financière produit du mimétisme. On a ainsi pu observer toutes les grandes institutions financières de la planète investir simultanément dans les mêmes produits structurés et développer un même modèle de banque d'investissement. Cette corrélation des comportements est hautement dangereuse car, dans ces conditions, un même choc peut détruire toute la population d'un seul coup comme ce fut le cas pour les banques d'investissement de Wall Street.
Pour écarter durablement cette logique de crise, on ne peut pas s'en remettre au seul principe concurrentiel. Il est impératif d'introduire une certaine dose de segmentation et de cloisonnement dans la finance internationale. Telle est la condition pour qu'on assiste à une transformation réelle des pratiques financières.
André Orléan
Directeur d'études à l'EHESS,
auteur de " De l'euphorie à la panique : penser la crise financière ", (éd. de <st1:personname productid="la Rue" w:st="on">la Rue</st1:personname> d'Ulm, Cepremap)
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