• Risques de rechute, (plutôt ombres et lumières pour moi )

    Cette chronique de Martin Wolf,

    éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le " Financial Times ". © FT.

    (Traduit de l'anglais par Gilles Berton.)

    Les banques restent plombées par un montant inconnu d'actifs douteux ; les ménages commencent à peine à se désendetter

     

     

    'économie mondiale est-elle en train de sortir de la crise ? Le monde en a-t-il tiré les enseignements ? La réponse à ces deux questions est ambivalente. Nous avons fait quelques bonnes choses et appris quelques leçons. Mais nous n'avons ni fait assez ni appris suffisamment de choses. Le redressement sera long et douloureux, et sous la menace permanente d'une rechute.

    Commençons toutefois par les bonnes nouvelles. La crise financière, dans sa définition étroite, est terminée : les marchés boursiers ont repris ; la liquidité retrouve le chemin des marchés ; les banques ont pu lever des fonds propres ; et les écarts de taux d'intérêt extrêmes que les marchés financiers ont connus en 2008 se sont résorbés. Les mesures énergiques et sans précédent prises par les autorités pour sauver un système financier en péril ont produit l'effet souhaité.

    De même, le pire de la crise économique sera bientôt derrière nous. Comme le remarque l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans la dernière édition de ses Perspectives économiques, " pour la première fois depuis juin 2007, les prévisions (...) ont été révisées à la hausse pour l'ensemble de la zone OCDE par rapport à notre dernier rapport ".

    De la même façon, le Fonds monétaire international (FMI) note dans sa récente mise à jour de ses Perspectives économiques mondiales que " la croissance économique en 2009-2010 devrait être supérieure d'un demi-point de pourcentage aux prévisions indiquées par le FMI en avril dernier, pour atteindre 2,5 % en 2010 ".

    Un tel revirement des prévisions est l'indicateur d'un redressement imminent. Cela ressort clairement du consensus des prévisions mensuelles pour 2010. Des améliorations y sont constatées pour les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni, mais - et c'est un signe inquiétant -, pas pour la zone euro. Les prévisions pour <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> indiquent que le pays résiste bien. La confiance dans la bonne santé de l'Inde augmente aussi.

    Même si ces bonnes nouvelles sont bienvenues, nous devons toutefois les relativiser. Le pire de la crise financière est peut-être derrière nous, mais le système financier reste sous-capitalisé et plombé par un montant encore inconnu d'actifs douteux. Loin d'être véritablement " privé ", il est au contraire étayé par la contribution explicite ou implicite massive des contribuables. La probabilité de dérapages à plus ou moins long terme est proche de 100 %. Mais l'espoir actuel est que la voie qui mènerait à ces éventuelles rechutes passe d'abord... par un redressement.

    Mais de la même façon, ce " redressement " économique attendu ne se fera pas aussitôt sentir. Les dernières prévisions de croissance dans les pays à hauts revenus pour 2010 sont bien inférieures au potentiel. Les estimations des " écarts de production " (ou capacités excédentaires) atteignent des niveaux extrêmes.

    Pour <st1:metricconverter productid="2009, l" w:st="on">2009, l</st1:metricconverter>'OCDE les estime à 4,9 % du produit intérieur brut (PIB) potentiel aux Etats-Unis, à 5,4 % au Royaume-Uni, à 5,5 % dans la zone euro et à 6,1 % au Japon. Et, comme les prévisions annoncent une croissance modeste, la capacité excédentaire sera plus grande à la fin de 2010 qu'à la fin de 2009. Les risques en termes d'inflation - ou plutôt de déflation - sont évidents. De même que la probabilité d'assister à de nouvelles hausses du chômage.

    Parallèlement, le " point mort " d'inflation des bons du Trésor américains - c'est-à-dire le niveau d'inflation attendu par les souscripteurs - , tant conventionnels qu'indexés sur l'inflation, a de nouveau chuté à presque 1,5 %. La capacité excédentaire de production et les augmentations massives des déficits budgétaires s'expliquent par la disparition du consommateur dépensier, notamment aux Etats-Unis. C'est aussi ce que montre l'énorme rééquilibrage entre revenus et dépenses du secteur privé indiqué par les prévisions de l'OCDE.

    En 2007, le secteur privé américain avait dépensé 2,4 % du PIB de plus que ce qu'il avait gagné. En 2009, selon l'OCDE, il devrait dépenser 7,9 % du PIB de moins que ses revenus. Ce basculement massif dans la prudence - que les critiques ont longtemps appelée de leurs voeux, et qui est si peu appréciée aujourd'hui qu'elle se manifeste - explique largement le retour aux déficits budgétaires. Entre 2007 et 2009, le basculement de 10,3 % du PIB intervenu dans la balance du secteur privé entre revenus et dépenses a été compensé par un creusement budgétaire de 7,3 % du PIB et une amélioration de 3 % du PIB du déficit des comptes courants. Ce qui n'a pourtant pas empêché une forte récession.

    Il est probable que la prudence du secteur privé se maintiendra dans un monde post-bulle caractérisé par des montagnes de dettes. Au dernier trimestre 2008 et au premier trimestre 2009, les emprunts des ménages américains ont été légèrement négatifs. Mais à la fin du premier trimestre 2009, le ratio d'endettement brut des ménages par rapport au PIB n'était inférieur que de 2 % du PIB à ce qu'il était à la fin de 2007. Le douloureux processus de désendettement a à peine commencé.

    Si, comme il est probable, le secteur privé reste prudent, le secteur public continuera à se montrer prodigue. De surcroît, tant que durera cette période de retranchement, le risque ne sera pas celui de l'inflation, mais plutôt celui de la déflation. La leçon que nous enseigne le Japon est que la prodigalité budgétaire et la pression déflationniste peuvent se prolonger plus longtemps qu'on ne le croyait généralement. Mais plus elles durent, plus la sortie de crise pourrait s'avérer délicate et inflationniste.

    Ceux qui espèrent un retour à la normale telle qu'on la connaissait en 2006 sont de doux rêveurs. Ce à quoi il faut vraisemblablement s'attendre, c'est à un redressement lent et difficile. Les déficits budgétaires resteront énormes durant des années.

    Les alternatives - liquidation de l'excès de dette au travers d'une flambée inflationniste ou de faillites en chaîne - ne sont pas envisageables. Le maintien d'un taux de chômage élevé et d'une croissance faible pourrait même finir par mettre en danger la mondialisation elle-même.

    Mais le monde a-t-il au moins tiré les leçons permettant de mieux gérer l'économie mondiale à l'avenir ? Je ne le pense pas. Le secteur financier qui émerge de la crise est encore plus sujet à l'aléa moral que celui qui nous y a entraînés. Ses faiblesses fondamentales n'ont pas été colmatées.

    Restent également en suspens les questions concernant le fonctionnement du système monétaire international fondé sur le dollar, les objectifs de la politique monétaire, la gestion des flux mondiaux de capitaux, la vulnérabilité des économies émergentes - que l'on a pu constater en Europe centrale et orientale - et, enfin, ce qui n'est pas le moindre problème, la fragilité financière qui s'est manifestée si souvent et si douloureusement au cours des trois dernières décennies. Nous ne pouvons ignorer ces questions.

    Par Martin Wolf


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