• Agir sur toutes les inégalités pour améliorer la retraite des femmes

    Agir sur toutes les inégalités pour améliorer la retraite des femmes

    Les écarts de durée de travail se sont attenués, mais ils restent significatifs

    Les inégalités des retraites entre les femmes et les hommes suscitent bien des débats, tant sur les causes que sur les moyens de les résoudre. C'est tant mieux, car enfin la question est abordée au grand jour. Mais tant de chiffres circulent que l'on s'y perd dans le diagnostic. Qu'il y ait des désaccords d'orientation est une chose, mais qu'il y ait une telle confusion dans le constat ne peut qu'accroître celle du débat. Les rôles respectifs des durées d'assurance et des écarts de salaires dans l'écart des pensions de retraite des femmes en est l'archétype.

    L'argumentation actuelle des pouvoirs publics est que les écarts de durée d'assurance (les trimestres validés) entre les femmes et les hommes sont déjà en voie de résorption, qu'ils vont disparaître à l'avenir, et que, en conséquence, seuls les écarts de salaires durant la vie active expliqueront les écarts de pensions. Cela permet de faire de ces écarts de salaires la question essentielle à traiter, en négligeant les autres.

    Et pourtant... la question des durées n'est pas résolue, elle est seulement atténuée. Les femmes des générations récentes ont des taux d'emploi plus élevés que ceux des générations antérieures. Les écarts de durées validées vont donc mécaniquement se réduire. Mais de combien ? Avec quelles projections de population active, de taux d'emploi, de taux de chômage et de nature des emplois ? Le flou demeure.

    Des chiffres sont jetés dans le débat, selon les circonstances et les moments. Trois exemples : 1- L'écart des durées d'assurance n'est déjà que d'un an pour la génération 1970. C'est vrai, mais la génération 1970 est observée à l'âge de 31 ans, en 2001, date de l'évaluation : la réduction de l'écart est due à une forte baisse des durées moyennes validées pour les hommes relativement aux générations précédentes, du fait d'une entrée plus tardive sur le marché du travail ; de plus, à cet âge, les conséquences de la maternité sur l'emploi des femmes n'ont encore que peu joué.

    2- Selon Eric Woerth, les femmes aujourd'hui âgées de 54 ou 55 ans partiront à la retraite avec autant de trimestres que les hommes ; les femmes nées dix ans plus tard partiront en moyenne avec une quinzaine de trimestres de plus. En réalité, les femmes aujourd'hui âgées de 54 ou 55 ans (c'est-à-dire celles de la génération 1955) valideront 25 trimestres de moins que les hommes à l'âge de 60 ans (comme à l'âge de 70 ans), tandis que celles nées dix ans plus tard (génération 1965) valideront 20 trimestres de moins aux mêmes âges, selon les projections de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV), si l'on s'en tient aux droits propres issus de leur emploi.

    Il faut faire intervenir les compensations telles que la majoration de durée d'assurance (MDA) par enfant et l'assurance-vieillesse des parents au foyer (AVPF) pour qu'un rapprochement s'opère (mais de là à obtenir 15 trimestres de plus...).

    3- Les femmes auraient maintenant des carrières d'une durée équivalente à celle des hommes et l'une des raisons en serait que notre système de retraite comporte de nombreux dispositifs de solidarité.

    Non, les femmes n'ont pas actuellement des carrières d'une durée équivalente à celle des hommes : si les durées validées par les régimes de retraite se rapprochent, c'est parce que existent les mécanismes compensatoires de validation cités plus haut. Cela n'est pas surprenant quand on sait l'évolution passée des taux d'activité et d'emploi comparés des femmes et des hommes et leur projection future : ils ne se rejoignent pas, même sous l'hypothèse de faibles taux de chômage. La hausse de l'activité des femmes ne suffit pas et ne suffira pas à résorber spontanément leurs droits propres au titre de l'emploi.

    Nul n'a jamais prétendu que la situation était aussi défavorable que dans le passé. Les écarts de durée se réduisent, c'est une évidence. Mais de là à affirmer qu'il n'y a plus de problème, il y a un pas que l'on ne peut franchir. D'autant que les mécanismes compensatoires (MDA et AVPF) sont eux-mêmes en débat : la MDA a déjà été réformée, la bonification n'est pas de même durée dans le privé et le public (deux ans ou un an par enfant) et elle ne joue pas pour les régimes complémentaires (qui sont des régimes par points acquis par le travail).

    Les questions de durée de travail et de niveau de salaire sont les deux faces des inégalités persistantes. Un exemple : les temps partiels. Un tiers des femmes travaillent à temps partiel. S'il s'agit de temps partiels longs, il n'y a pas de pénalisation pour les durées d'assurance validées ; le niveau de pension sera en revanche contraint par le faible niveau de salaire. En revanche, si les temps partiels sont courts, tant la durée que le niveau seront amputés. Or le temps partiel se développe, tout particulièrement dans la crise actuelle : les femmes acceptent souvent quelques heures éparpillées par semaine, plutôt que de rester au chômage. L'effet négatif sur les retraites futures est certain. On donne certes la possibilité aux entreprises de surcotiser pour les temps partiels ; mais, sans obligation, cette possibilité restera lettre morte. N'aurait-on pas pu être plus offensif dans le projet de loi sur les retraites, pour que cela soit suivi d'effets ?

    Il faut à la fois tenir compte des changements opérés selon les générations (les femmes travaillent davantage) et de ceux qui découlent des modifications des formes d'emploi (plus de précarité pour certaines). En même temps que des femmes qui ont accédé à l'éducation supérieure ont des carrières continues (mais elles restent discriminées dans leur progression de carrière et leurs salaires, donc pour leurs niveaux de pension de retraite futurs), d'autres cumulent faibles qualifications, sous-emploi, discontinuité et ruptures.

    Les congés parentaux de longue durée viennent compenser l'insuffisance criante des structures d'accueil pour les enfants entre 0 et 3 ans ; ils sont souvent pris par des femmes qui ont des difficultés d'insertion dans l'emploi. Ces femmes cumuleront carrières incomplètes et faibles revenus lorsque l'âge de la retraire arrivera.

    Cinq ministres et secrétaires d'Etat du gouvernement veulent " combattre les idées reçues ", pour " apporter les bonnes réponses " (Le Monde du 5 octobre). Encore faut-il que l'on n'attribue pas des " idées reçues " à ceux et celles qui ne les ont jamais défendues. Assurément, le défi est " colossal ". Raison de plus pour se donner les moyens de le résoudre, sans faire dire aux chiffres ce qu'ils ne peuvent pas dire et en soulevant toutes les questions qui demeurent. En particulier celle des durées d'assurance ; celle de l'effet des temps partiels et des carrières discontinues sur le niveau des pensions ; celle des écarts de salaires et des moyens de les surmonter ; celle de l'effet de la hausse du nombre de familles monoparentales en termes de baisse du niveau de vie des futures retraitées ; celle de l'effet différencié selon les sexes du report des âges de départ.

    L'évaluation de l'impact du projet de loi sur les retraites des femmes et des hommes, pourtant réclamée de longue date, n'a pas été faite. Elle aurait pourtant permis de combattre les idées reçues et aurait participé à la démarche d'évaluation des politiques publiques si souvent prônée.

    En lieu et place, l'égalité salariale est substituée, seule, aux autres débats. Pire, elle est traitée par un dispositif très insuffisant, qui sera inefficace au regard de son enjeu, qui est effectivement " colossal ". Oui, comme le disent les cinq ministres et secrétaires d'Etat, " la retraite ne peut rattraper trente ans d'écart de salaires ". Raison de plus pour que des mesures donnent les moyens de surmonter effectivement cet écart.

    Demander seulement aux entreprises d'élaborer " un plan d'action " et de " publier des indicateurs ", c'est bien ténu pour être les " solutions créatives et efficaces " appelées de leurs voeux. La créativité et l'efficacité seraient de proposer une loi générale sur l'égalité professionnelle et salariale qui permette d'infléchir la tendance en cours, à savoir que les écarts salariaux entre les femmes et les hommes ont cessé de se réduire depuis les années 1990.

    Françoise Milewski

    Economiste à l'OFCE, centre de recherche en économie de Sciences Po


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