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Au Japon, le changement politique témoigne des attentes d'une société fragilisée
Tokyo CorrespondanceL'arrivée au pouvoir du Parti démocrate du Japon (PDJ) après les législatives du 30 août a mis fin au règne du Parti libéral démocrate (PLD), qui durait depuis plus de cinquante ans. Elle reflète les attentes d'une société en crise depuis près de vingt ans. Après l'éclatement de la bulle spéculative en <st1:metricconverter productid="1990, l" w:st="on">1990, l</st1:metricconverter>'Archipel a vécu la disparition progressive du modèle social qui a prévalu après la guerre, une évolution aggravée par la crise actuelle.
Ainsi en est-il de l'emploi à vie. Autrefois de règle dans les entreprises, il se traduisait par l'embauche de jeunes diplômés, leur formation puis le suivi de leur carrière ponctuée par des promotions à l'ancienneté. La mondialisation des années 1990 et, surtout, le passage au pouvoir de Junichiro Koizumi, entre 2001 et 2006, ont fini de le faire disparaître.
Les dérégulations du marché du travail font qu'aujourd'hui près de 40 % des actifs sont en contrat précaire - intérim, contrat à durée déterminée ou temps partiel. La crise des subprimes, les fameux crédits hypothécaires à risque, a mis en évidence les effets pervers de cette évolution. Les grands industriels, Toyota ou Sony, se sont vite séparés de milliers d'employés en contrat précaire. Le taux de chômage atteint aujourd'hui 5,5 % de la population active, contre 4 % en septembre 2008, une statistique qui ne prend pas en compte les personnes qui ne cherchent pas du travail. A cela s'ajoute l'arrêt brutal de l'embauche de jeunes diplômés. En avril 2008, à chaque diplômé correspondait plus d'un poste disponible. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
L'évolution du marché du travail s'accompagne d'une baisse régulière des revenus et crée de nouvelles inquiétudes. " Ce sont surtout des jeunes qui sont en situation précaire, précise le professeur Atsushi Seike, de l'université Keio, à Tokyo. Ils n'ont pas les moyens de payer leurs cotisations de retraite ou leur couverture santé et ne sont pas non plus couverts par l'assurance-chômage. " De quoi menacer l'avenir des retraites et des régimes sociaux en général. Plus de 30 % des actifs ne cotisent pas et la population vieillit vite. La réforme de 2004, qui allonge la durée de cotisations et en augmente le montant, ne parvient pas à compenser la hausse des déficits.
Ces difficultés délitent les solidarités, alimentent des tensions au sein de la société et participent à la baisse de la natalité. Au Japon, la question du coût de l'éducation d'un enfant - environ 20 millions de yens (153 000 euros) de la naissance à l'université -, est déterminante dans le choix de fonder une famille. Ces écueils expliqueraient aussi certains comportements. Ainsi, le phénomène des " herbivores " - des jeunes hommes qui n'ont aucune ambition ni aucune envie de s'engager - serait, selon Megumi Ushikubo, présidente de la société d'études marketing Infinity, une attitude de résignation à l'égard du monde du travail, qui n'offre plus que des opportunités limitées et des salaires réduits.
C'est sur ce constat que le PDJ a établi le programme qui lui a permis d'arriver au pouvoir. Face aux inquiétudes de la société, il s'est engagé à supprimer le recours aux intérimaires dans l'industrie, à mettre en place un généreux système d'allocations familiales, à créer un minimum retraite pour les gens qui n'auraient pas suffisamment cotisé. Avec un slogan, " investir non plus dans le béton, mais dans les hommes ", et un enjeu : redonner confiance à un pays en quête d'un nouveau modèle.
Philippe Mesmer
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