• Chroniques martiennes du chaos économique

    Chroniques martiennes du chaos économique

     

    Regardant l'autre soir la télévision, nous avons été tirés d'un demi-sommeil par la diffusion d'images d'archives où l'on voyait le présentateur vedette de l'époque, Jean-Claude Bourret, disserter, de façon aussi savante que passionnée, des ovnis. Petit moment de nostalgie, car plus personne aujourd'hui ne parle de soucoupes volantes. Peut-être l'invention d'Internet a-t-elle assouvi, chez l'homme, le besoin de monde virtuel, peut-être Second Life suffit-elle à satisfaire son envie d'univers parallèle.

    Autre explication possible : les extraterrestres seraient récemment et discrètement venus faire un petit tour sur Terre. Et seraient repartis aussi sec, effrayés par ce qu'ils ont vu, épouvantés par les paradoxes et les contradictions d'une humanité pourtant censée se distinguer par sa grande rationalité.

    Notamment en matière économique et financière. Prenez les taux d'intérêt, par exemple, dont les niveaux ont de quoi faire perdre la tête à n'importe quel Martien, s'ils en ont une. Ils n'ont jamais été aussi bas. Proches de 0 % dans la plupart des grands pays industrialisés, du jamais-vu.

    Le petit souci est que tout le monde est d'accord pour dire que c'est précisément parce que les taux d'intérêt avaient été trop bas trop longtemps, que l'argent avait été quasiment gratuit qu'une gigantesque bulle du crédit s'était constituée. Bref, tout est en place pour que de nouvelles bulles, plus grosses encore que celle des subprimes, se forment.

    Même constat pour les taux d'intérêt à long terme. Eux aussi n'ont jamais été aussi faibles (2,5 % à dix ans aux Etats-Unis, 2,9 % en France), alors même que les émissions record d'emprunts du Trésor pour financer les déficits également record devraient en théorie les faire s'envoler.

    Difficile à comprendre pour un petit homme vert possédant une culture économique même rudimentaire.

    Difficile aussi pour lui de concevoir que l'inflation ne redémarre pas, alors que la base monétaire mondiale (grosso modo les billets en circulation) a littéralement explosé depuis trois ans. Difficile enfin d'admettre que les grandes banques centrales, censées garantir la stabilité financière et incarner l'orthodoxie monétaire, fassent tourner la planche à billets à plein régime, monétisent la dette, ce que tous les manuels d'économie considèrent comme une totale hérésie.

    Plus déroutant encore pour un visiteur d'une autre planète qui se serait intéressé depuis une ou deux décennies aux affaires terrestres : à force de lire les journaux, il avait fini par être à peu près convaincu que l'économie libérale de marché, décentralisée, désétatisée et déplanifiée était non seulement le meilleur moyen de produire des richesses, mais aussi de favoriser le développement démocratique. Il y a un hic : c'est la Chine communiste et son économie hypercentralisée, hyperétatisée et hyperplanifiée qui est devenue la locomotive de l'économie mondiale et a sauvé l'Occident de l'implosion. Et la Chine a peut-être libéré sa croissance, mais elle continue d'enfermer ses dissidents.

    Pire. Le seul grand pays industrialisé et démocratique à s'en sortir aujourd'hui très honorablement (croissance forte, chômage et déficit en baisse), à savoir l'Allemagne, fait l'objet de toutes les critiques. Accusée de mener une politique économique égoïste et destructrice, tant pour ses partenaires que pour l'euro. Une petite femme verte n'y retrouverait pas ses petits !

    Il y a quelques années de cela, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, s'était, le temps d'un discours prononcé lors des rencontres économiques d'Aix-en-Provence, glissé dans la peau d'un Martien qui contemplerait les flux d'épargne mondiaux.

    Il avait évoqué l'étonnement que ne manquerait pas d'éprouver un voyageur interstellaire devant le spectacle qui s'offrirait à lui : " Celui de 1,2 milliard de Chinois "pauvres", avec un revenu moyen de 900 dollars par an qui, individuellement, prêtent chaque année de 100 à 170 dollars - c'est-à- dire de 12 % à 20 % de leur revenu - à des résidents américains, dont le revenu est quinze fois supérieur au leur. Ce Martien ne pourrait manquer de s'interroger : n'y a-t-il pas, pour ces épargnants chinois, un meilleur usage de leur revenu, alors même que, pour beaucoup d'entre eux, les besoins élémentaires d'éducation, de santé et d'infrastructures sont loin d'être satisfaits ? " Et la crise n'a pas changé grand-chose à cette allocation aberrante de l'épargne mondiale.

    Tout E. T. un peu sensé ne peut qu'être très troublé à constater qu'un ouvrier du textile chinois, payé des clopinettes, reverse une partie de son salaire de misère pour qu'une famille texane puisse se payer un deuxième 4 × 4.

    De la même façon, il ne peut être que décontenancé d'observer que le pays le plus riche au monde, qui compte les meilleures universités, attire les plus brillants cerveaux de la planète et possède les entreprises les plus innovantes, les plus performantes et les plus puissantes (Microsoft, Google, Apple, IBM, Pfizer, ExxonMobil, Wal-Mart, etc.), est de fait en faillite virtuelle. Et n'en est sauvé que par les achats de bons du Trésor américain effectués par une Chine classée 99e au niveau mondial en termes de richesse par habitant.

    Notre extraterrestre ne trouvera pas motif à se rassurer s'il fait une petite escale en France, attiré par une bonne odeur de soupe aux choux. A voir que l'épargne des pays pauvres sert à financer, certes pas des 4 × 4, mais les frais d'hospitalisation d'un Etat-providence en coma financier avancé (32 milliards d'euros de déficit pour le régime des retraites en 2010, 23 milliards d'euros de déficit pour le régime général de la Sécurité sociale). A voir des lycéens défiler pour le maintien de la retraite à 60 ans alors que beaucoup ne connaîtront qu'une vie de chômage et de boulots précaires et qu'un quart d'entre eux vivront plus de 100 ans.

    Voyageurs intergalactiques, remontez vite dans vos soucoupes volantes. " Téléphone, maison ", implorerait E. T.

     

    Pierre-Antoine Delhommais


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