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Clochardiser léconomie mondiale
Clochardiser l’économie mondiale
Raghuram Rajan
CHICAGO – Le capital global circule. Compte tenu de taux d’intérêt extrêmement faibles dans les pays industrialisés, le capital se déplace un peu partout dans le monde en quête de meilleurs rendements ; en conséquence, un certain nombre de banques centrales de pays émergeants interviennent lourdement, rachetant les afflux de capitaux étrangers et les réexportant de façon à éviter une érosion de leur monnaie. D’autres ont imposé des contrôles de capitaux sous différentes formes. Le Japon a même été la première grande économie industrielle ces dernières semaines à intervenir directement sur les marchés des devises.
Pourquoi personne ne veut de l’affluence des capitaux ? Quelles sont les politiques d’intervention légitimes et celles qui ne le sont pas ? Et où nous mènerons toutes ses interventions si elles sont maintenues sans relâche ?
La part des afflux de capitaux qui n’est pas réexportée représente des afflux nets de capitaux. Cela permet de financer l’achat national de produits étrangers. Donc, l’une des raisons pour lesquelles les pays n’aiment pas les affluences de capitaux est qu’ils impliquent plus de ‘fuites’ de la demande intérieure vers l’extérieur. Dans la mesure où les afflux de capitaux provoquent souvent une dévalorisation du taux de change national, ils encouragent les dépenses sur les biens étrangers puisque les producteurs nationaux deviennent moins compétitifs.
Une autre raison pour laquelle les pays n’aiment pas les afflux de capitaux est qu’une part de cet argent peut être « chaud » (ou muet), se pressant pour profiter des faibles taux d’intérêts et des actions à la hausse, et s’éclipsant dès que les problèmes apparaissent où aux premiers signes d’opportunités à la maison. Les flux de capitaux volatiles entrainent une volatilité dans l’économie qui les accueille, accentuant les hausses brusques et les effondrements de façon plus prononcée que cela n’aurait été le cas normalement.
Mais il faut deux mains pour applaudir, dit-on. Si les pays pouvaient être disciplinés et limiter les dépenses des foyers, des entreprises ou de leur gouvernement, les capitaux étrangers n’auraient pas d’utilité et pourraient être réexportés facilement, sans trop d’incidences sur l’économie bénéficiaire. Les problèmes apparaissent lorsque les pays ne peuvent pas – ou ne veulent pas – dépenser de manière raisonnable.
Diverses raisons peuvent expliquer l’excès de dépenses des pays et les problèmes qui en découlent. Pour les économies latino-américaines stéréotypées d’antan, ce furent les dépenses populistes de leur gouvernement, tandis que pour les économies de l’Asie de l’est, les problèmes provenaient des excès d’investissements à long terme. Aux Etats-Unis, à la veille de la crise actuelle, ce sont les facilités de crédit, surtout dans l’immobilier, qui ont encouragé les personnes à trop dépenser, tandis qu’en Grèce, c’est le gouvernement qui s’est lui-même mis en difficulté pour avoir trop emprunté.
Malheureusement, cependant, aussi longtemps que des pays comme la Chine, l’Allemagne, le Japon et les pays exportateurs de pétrole injecteront leurs excédents de produits dans l’économie mondiale, certains pays auront du mal à limiter leurs dépenses pour respecter leur budget. Puisque le monde n’exporte pas encore sur Mars, il faudra bien que certains pays absorbent ces produits et acceptent l’affluence de capitaux qui financent leur consommation.
A moyen terme, les dépensiers devraient limiter leurs dépenses et les exportateurs habituels augmenter les leurs. A court terme, cependant, le monde s’est engagé dans un jeu géant de « passe le colis », et aucun pays ne veut accepter les produits et les excédents de capitaux des exportateurs habituels. C’est ce qui rend les politiques du « chacun pour soi » d’aujourd’hui si destructrices : même si certains pays devront effectivement absorber les excédents et les capitaux, chacun tente de l’éviter.
Quelles sont donc les politiques d’intervention légitimes ? Toutes les mesures visant à intervenir sur le taux de change, ou à imposer des barrières douanières ou des contrôles de capitaux, obligent les autres pays à faire des ajustements plus importants. L’intervention de la Chine sur son taux de change nuit probablement à un certain nombre d’autres marchés émergeants exportateurs qui n’interviennent pas autant et qui s’en trouvent par conséquent moins compétitifs.
Mais les pays industriels aussi interviennent de façon significative dans les marchés. Par exemple, alors que l’interventionnisme de la politique monétaire américaine (oui, la politique monétaire est aussi une forme d’interventionnisme) n’a pas vraiment contribué à relancer la demande intérieure, elle a poussé les capitaux nationaux à rechercher des rendements à l’étranger. Le dollar américain chuterait lourdement – encourageant plus d’exportations – si les banques centrales étrangères ne réinjectaient pas ces capitaux immédiatement en achetant les titres du gouvernement américain.
Tout cela crée des distorsions qui retardent les ajustements – les taux de change sont trop bas dans les marchés émergeants, ce qui les empêche de ralentir les exportations, alors que la facilité avec laquelle le gouvernement américain obtient ses financements n’encourage pas vraiment les dirigeants américains à réduire leurs dépenses à moyen terme.
Plutôt que d’intervenir pour parvenir à une augmentation à court terme de leur part de la demande globale ralentie, les pays devraient plutôt rééquilibrer leur économie pour la rendre plus efficace sur le moyen terme. Cela leur permettrait de contribuer de manière durable à la croissance de la demande globale.
La Chine par exemple, doit faire le nécessaire pour déplacer les revenus des entreprises au profit des ménages chinois afin de relancer la consommation privée. L’Amérique doit améliorer la formation et les compétences d’une grande partie de sa force de travail de manière à ce qu’elle produise plus de savoir-faire de haute qualité et de services exportables dans lesquelles elle s’est spécialisée. Des revenus plus élevés relanceraient l’épargne américaine et allègeraient la dette des ménages, même si les niveaux de consommation étaient constants.
Malheureusement, tout cela prendra du temps et les citoyens, impatients de trouver du travail et de la croissance, font pression sur leurs dirigeants. Beaucoup de pays adoptent des mesures à courte vue qui ne font que répondre aux besoins immédiats de leurs électorats. Il y a des exceptions. L’Inde, par exemple, a évité une intervention sur sa monnaie jusqu’à présent, même si elle s’est créée une dette à long terme en roupie pour tenter de financer des projets d’infrastructures lourdement nécessaires.
Le fait que l’Inde soit disposée à dépenser alors que tout le monde tente de vendre et d’épargner entraine des risques qui doivent être gérés avec précaution. Mais l’exemple de l’Inde offre aussi une idée de ce que le monde pourrait accomplir de manière collective. Car les mesures protectionnistes ne réussiront qu’à nous clochardiser.
Raghuram Rajan, ancien chef économiste au FMI, est professeur en finance à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, et l’auteur de Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy (Lignes de failles : comment des fractures dissimulées continuent de menacer l’économie mondiale, ndt).
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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