• Des titres peu fiables

    Des titres peu fiables

    Hans-Werner Sinn

    MUNICH – Il fut un temps où les actions étaient risquées et les titres nantis, fiables. Mais ce temps est révolu, ainsi que l’a démontré la chute du marché américain de titrisation des hypothèques.

    Depuis des années, des centaines de milliards de nouveaux titres garantis par hypothèque (MBS) et d’obligations adossées à des actifs (CDO) ont été vendus au monde pour compenser le manque d’épargne aux Etats-Unis et pour financer l’investissement immobilier américain. Aujourd’hui, la quasi-totalité de ce marché, soit 3% du volume initial, a totalement disparu.

    Pour compenser la disparition de ce marché, ainsi que celle simultanée des prêts bancaires non titrisés aux propriétaires américains, 95% des prêts hypothécaires américains sont aujourd’hui concentrés par les établissements publics Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae. De même qu’il fut un temps où les titres garantis par nantissement étaient fiables, il fut un temps où les économies avec un tel interventionnisme de l’état étaient qualifiées de socialistes.

    La plupart de ces titres privés étaient vendue à des pays exportateurs de pétrole ou à l’Europe, en particulier l’Allemagne, la Grande Bretagne, le Benelux, la Suisse et l’Irlande. La Chine et le Japon n’ont pas osé y toucher.

    En conséquence, les banques européennes ont souffert de l’importante dépréciation des titres toxiques américains. Selon le Fonds Monétaire International, plus de 50% des capitaux propres détenus avant la crise par les systèmes bancaires nationaux européens, soit 1,6 billions de dollars, auront disparu d’ici 2010 ; la plus grosse part de ces pertes étant d’origine américaine. Le transfert de ressource depuis l’Europe vers les Etats-Unis est donc identique à l’addition des montants dépensés par les Etats-Unis pour la guerre d’Irak (750 milliards de dollars) et pour la guerre en Afghanistan (300 milliards de dollars).

    Les Américains crient au loup : les Européens auraient du connaitre les risques associés à ces titres lorsqu’ils les ont acquis. Mais même les CDO notés AAA par les agences de notations américaines qui les considéraient aussi sûres que les obligations du gouvernement, ne valent aujourd’hui qu’un tiers de leur valeur nominale. Les Européens ont fait confiance à un système indigne de confiance.

    Il y a deux ans, Ben Bernanke, à la tête de la Réserve Fédérale américaine, prétendait que les étrangers achetaient les titres américains car ils faisaient confiance au système de surveillance américain et voulaient participer au dynamisme de son économie. Nous savons aujourd’hui que ce n’était qu’une campagne visant à conserver ces flux de capitaux étrangers pour permettre aux foyers américains de financer leur style de vie. Cette campagne fut un succès. Les Etats-Unis ont perçu des flux de capitaux de l’ordre de quelques 808 milliards de dollars en 2008. Les récentes statistiques montrent que ce chiffre a aujourd’hui été réduit de moitié.

    Depuis des années, les Etats-Unis ont bénéficié d’un soi-disant privilège. Ils bénéficiaient d’un retour sur leurs actifs étrangers presque deux fois supérieur à celui qu’ils rétribuaient aux étrangers sur les actifs américains. Selon une hypothèse, cela reflèterait le fait que les banquiers d’investissement américains faisaient de meilleurs choix. Une autre hypothèse serait de dire que les agences de notations ont contribué à tromper leur monde en accordant des triples A à leurs clients américains tout en rétrogradant de manière agressive les emprunteurs étrangers. Ceci a permis aux banques américaines de proposer de faibles taux de retour aux prêteurs étrangers tout en forçant les emprunteurs étrangers à accepter des taux d’intérêts élevés.

    Il est évident que les systèmes de notations étaient honteusement biaisés. Lorsqu’une grande agence de notation américaine gratifiait ces dernières années les sociétés européennes d’un maigre triple B, les CDO basés sur les MBS obtenaient facilement un triple A. Selon le FMI, 80% des CDO entraient dans cette catégorie. Et selon un document de travail du National Bureau of Economic Research (Bureau national pour la recherche économique, ndt) rédigé par Efraim Benmelech et Jennifer Dlugosz, 70% des CDO ont reçu une notation de triple A alors même que les MBS d’après lesquels ils avaient été conçus ne recevaient en moyenne qu’un B+, ce qui les auraient rendus non viables pour le marché. Les auteurs ont donc baptisé ce processus de fabrication des CDO une alchimie, l’art de transformer le plomb en or.

    Le principal problème avec les titres garantis par hypothèque américains est qu’ils sont sans recours. Un CDO est une créance contre une chaine de créances dont le dernier maillon est le propriétaire immobilier américain. Aucun des établissements financiers qui a mis en place les CDO n’est à proprement parler tenu de rembourser les sommes promises ; ni d’ailleurs les banques et les intermédiaires qui émettent les hypothèques ou qui créent les MBS qui leur sont adossés.

    Seuls sont responsables les propriétaires de biens immobiliers. Les détenteurs d’un CDO ou d’un MBS seraient cependant incapables de trainer ces propriétaires en justice. Quand bien même y arriveraient-ils, les propriétaires n’auraient qu’à rendre les clés de la maison puisque eux aussi bénéficient du non-recours. Au fur et à mesure que les prix de l’immobilier ont chuté et qu’un tiers des emprunts étaient sous l’eau, c’est à dire que la valeur du bien immobilier sur le marché était inférieure au montant de l’emprunt, trois millions d’américains ont perdu leur maison, incapables d’honorer leurs remboursements, faisant ainsi des CDO et des MBS des coquilles vides.

    Le problème s’est trouvé accentué par des pratiques d’évaluation frauduleuses, ou du moins, douteuses. Les propriétaires ont par exemple signé des contrats adossés contre espèces avec les constructeurs pour masquer la valeur réelle de leur bien et obtenir de meilleures conditions d’emprunt ; les frais d’agence étaient ajoutés aux hypothèques et à la valeur reportée des biens. Les personnes à faibles revenus dont on ne pouvait s’attendre à qu’ils puissent rembourser intégralement leur prêt se voyaient offrir des crédits NINJA ( No Income, No Job, no Asset  : pas de revenus, pas de travail, pas de bien, ndt). De tels comportements imprudents et irresponsables étaient par trop courants.

    Les Etats-Unis vont être dans l’obligation de réinventer son système de prêts immobiliers afin d’échapper au piège socialiste dans lequel ils sont tombés. Une réforme élémentaire serait d’obliger les banques à conserver dans leurs bilans une certaine proportion des titres qu’ils émettent. De cette façon, ils partageraient la douloureuse si les titres ne sont pas honorés – et ainsi seraient fortement encouragés à maintenir des normes de prêts immobiliers plus fermes.

    Une bien meilleure solution serait d’adopter la manière européenne : se débarrasser des prêts sans recours et développer un système de financement basé sur des obligations garanties, comme les Pfandbriefe allemands. Si un Pfandbrief n’est pas honoré, on peut assigner la banque en justice. Si la banque fait faillite, le détenteur de l’obligation garantie peut se retourner directement contre le propriétaire du bien, lequel ne peut pas se défausser en rendant simplement les clés. Et si le propriétaire du bien n’est pas solvable, le bien peut être vendu pour honorer la dette.

    Depuis leur création en Prusse en 1769 par Frédéric le Grand, pas un seul Pfandbrief n’a failli à ses échéances. Contrairement à toute la camelote financière en provenance des Etats-Unis ces dernières années, ces obligations garanties offrent une sécurité digne de leur nom.

    Hans-Werner Sinn est professeur d’économie et de finance publique à l’université de Munich et président de l’institut Ifo.

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