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Doutes sur la politique monétaire
Le commentaire d’Augustin Landier et David Thesmar
Doutes sur la politique monétaire
Jusqu’où peut-on faire tourner la planche à billets pour relancer l’économie ? Depuis la fin de l’étalon-or et celle de la convertibilité du dollar en 1971, rien ne limite, en principe, la capacité de la banque centrale à créer de la monnaie. Utiliser l’arme monétaire est donc tentant lorsque la récession menace et que les caisses de l’Etat sont vides. Suivant cette logique, et parce qu’elle ne peut plus baisser ses taux, la banque centrale américaine se lance cet automne dans un nouveau tour de « quantitative easing », consistant à injecter des liquidités dans l’économie par des rachats massifs d’actifs, notamment des obligations du Trésor américain.Le problème de l’« assouplissement quantitatif » est que personne, ni les banquiers centraux, ni les économistes, ne sait quels peuvent en être les effets pervers. Nous assistons donc à l’une de ces expérimentations grandeur nature auxquelles les Américains nous ont habitués. Les théories d’inspiration keynésienne classique insistent sur l’inflation comme coût principal d’une politique monétaire trop laxiste. Elles forment, depuis les années 1970, le cadre d’analyse des banquiers centraux : si l’inflation monte, on relève les taux, et inversement. Pourtant, l’histoire récente semble enseigner tout autre chose : l’effet pervers d’une politique monétaire expansionniste est une prise de risque excessive des acteurs (financiers, immobiliers) qui nourrit des bulles et disloque le secteur financier. Mais ces mécanismes, parce qu’ils sont spécifiques à la période récente d’inflation faible et de mondialisation financière, ne sont encore qu’imparfaitement compris.En particulier, l’un des périls liés à une politique durable de taux bas est la difficulté d’y mettre fin sans causer de crise financière majeure. De ce point de vue, l’expérience Greenspan de l’été 2004 est riche d’enseignements. A l’époque, la Réserve fédérale a fait passer ses taux de 1 % à 5,5 % en deux ans. Quel a été l’impact de ce choc sur le comportement du secteur financier ? C’est la question que nous explorons dans un travail de recherche réalisé avec David Sraer que nous rendons public cette semaine (1), qui exploite les données internes de New Century, l’un des plus grands acteurs du marché hypothécaire américain pendant la période.Bien loin de refroidir le prêteur, la remontée des taux d’intérêt l’a au contraire conduit à prendre des risques énormes. L’entreprise semble avoir vite compris l’effet négatif du resserrement monétaire sur la valeur de son portefeuille de prêts : un grand nombre de ses prêts étaient à taux fixe alors qu’elle se finançait à taux variable. Sentant ses fondements vaciller, elle en a tiré les conséquences en choisissant non pas de diminuer ses risques, mais au contraire de doubler la mise. C’est en effet à partir de ce moment que New Century, en cela représentatif de son secteur, a introduit des contrats hypothécaires très risqués, dits « à amortissement différé », où les emprunteurs payaient très peu pendant quelques années avant de voir leur mensualité augmenter brusquement. Du point de vue des actionnaires de New Century, ce jeu de quitte ou double était un calcul plus rationnel qu’il n’y paraît : ou bien la politique de Greenspan conduisait à une chute nationale des prix immobiliers, auquel cas ils laissaient de toute façon une grosse ardoise à leurs créanciers, ou bien les prix continuaient à augmenter, ne serait-ce que modérément, permettant à leurs clients de se réendetter pour payer leur maison. Dans ce dernier cas, ils auraient gagné beaucoup. Ce faisant, New Century posait de véritables bombes à retardement (les contrats à amortissement différé) dans tout le système financier (via la titrisation) qui exploseront à la fin 2006 et engendreront la crise des subprimes. L’histoire semble cristalliser le souvenir de Greenspan comme celui de « l’homme qui a gonflé la bulle ». Or, dès 2004, Greenspan a bel et bien essayé de freiner et de mettre fin à sa politique de forte liquidité. Mais appuyer sur le frein monétaire peut, en vulnérabilisant le système financier, accentuer son appétit pour le risque alors qu’il est déjà très endetté : c’est précisément à ce moment-là qu’il est le plus tenté de faire des folies.Augustin Landier est professeur de finance à la Toulouse School of Economics et David Thesmar à HEC. (1) Augustin Landier, David Sraer et David Thesmar, « Going for Broke : New Century Financial Corporation 2004-2006 »
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