• Et si on essayait : Une ville sur mesure

    Culemborg, aux Pays-Bas, a donné carte blanche à des architectes, des urbanistes et 80 familles pour bâtir un " écoquartier " en tenant compte des besoins et des exigences des habitants

     





    Une autre ville est possible. Marleen Kaptein l'a inventée. A Culemborg, au centre des Pays-Bas, dans ce " coeur vert " auquel les Néerlandais tiennent tant, la dynamique sexagénaire fait de bonne grâce visiter son oeuvre : le quartier de Lanxmeer, petite merveille d'urbanisme, d'humanisme et de nature mêlés, qui renvoie la plupart des essais de " villes durables " au rang de grossières ébauches. Une visite rafraîchissante, au moment où les écoquartiers bourgeonnent dans toute l'Europe, notamment en France - pas moins de 160 candidats ont répondu au " concours écoquartiers " du ministère de l'écologie, dont les vainqueurs devraient être annoncés à l'automne.

    Ce qui frappe d'abord à Lanxmeer, c'est l'extraordinaire qualité du cadre de vie : des grappes compactes de petits immeubles poussés dans un désordre apparent, un dédale de chemins qui serpentent dans un fouillis savant de jardins luxuriants et d'étangs envahis de roseaux. Pas de voitures, pas de clôtures : une nature habitée. Mais l'essentiel ici est invisible : le quartier de Lanxmeer, avec ses <st1:metricconverter productid="24 hectares" w:st="on">24 hectares</st1:metricconverter>, sa ferme biologique, ses espaces verts en pagaille, ses <st1:metricconverter productid="40 000 mètres carrés" w:st="on">40 000 mètres carrés</st1:metricconverter> de bureaux, ses trois écoles et ses 250 logements, est entièrement voulu, conçu, géré et entretenu par ses 800 habitants.

    L'histoire commence en 1994, à Amsterdam. Costumière de théâtre formée à l'architecture bioclimatique et convertie à la permaculture, cette discipline venue d'Australie qui s'attache à réconcilier activité humaine et écosystèmes naturels, espaces urbains et agricoles, Marleen Kaptein est atterrée par les projets urbains des Pays-Bas. " Le gouvernement prévoyait de construire 800 000 logements, avec des budgets et des critères de qualité très réduits malgré le souci affiché du développement durable ", se souvient-elle.

    Convaincue que " les gens aiment être responsables de l'endroit où ils vivent ", elle décide de " démontrer par l'exemple la viabilité d'un mode de vie écologique et d'une alternative aux logements standards qui nous sont imposés sans qu'on ait notre mot à dire. "

    Bâtir de toutes pièces un modèle de ville alternative ? Beaucoup auraient renoncé. Pas Marleen Kaptein. A force d'énergie et de conviction, elle crée une fondation, EVA, et attire sous sa bannière un groupe de spécialistes - architectes, urbanistes, scientifiques, experts des questions d'eau et d'énergie - et pas moins de 80 familles prêtes à se lancer dans l'aventure !

    De réunions en discussions, la petite bande se prend au jeu et dessine une ville idéale fondée sur la permaculture, mêlant lieux de vie, de travail et de loisirs dans une architecture en harmonie avec la nature, où le cadre de vie favorise l'épanouissement de chacun et l'éveil des enfants.

    Ne reste plus qu'à trouver une municipalité assez folle pour leur donner carte blanche. Ce sera Culemborg. Cette ville de 30 000 habitants souhaite alors urbaniser un terrain sensible situé à deux pas de la gare, sur un site de captage d'eau potable. Pas question de laisser la moindre pollution s'infiltrer dans la nappe en sous-sol. Le projet EVA tombe à pic. Pendant des mois, des ateliers de design urbain réunissent équipe municipale, spécialistes de tout poil, promoteurs et futurs résidents. En 1998, enfin, le quartier est dessiné. Pour la toute première fois aux Pays-Bas, un plan urbain a été conçu par ses habitants.

    Depuis, il a fait la preuve de sa réussite. Les premiers bâtiments, des immeubles collectifs formant cercle autour de jardins ouverts, datent d'il y a dix ans. Les derniers, de séduisantes villas doublées d'une immense véranda en forme de serre horticole, sont en cours d'achèvement.

    Côté écologie, la géothermie, des panneaux solaires et de petites éoliennes permettent un recours minimal aux énergies fossiles - avec en point de mire l'autosuffisance énergétique. Eaux de pluie et eaux usées sont récupérées et purifiées de manière naturelle dans les bassins étanches qui rythment le terrain. Les constructions, parfaitement isolées, font la part belle à l'architecture bioclimatique, aux matériaux non polluants. Les voitures sont tenues à l'écart sur un parking en bordure du quartier qui offre moins d'une place par foyer - mais un système d'autopartage est là pour dépanner.

    " Lanxmeer est une démonstration de ce qu'on peut faire pour améliorer l'approche environnementale dans l'urbanisme et la construction, mais ce n'est pas une fin en soi, tempère Marleen Kaptein. L'important c'est que cela forme un paysage agréable et un milieu vivant, dans lequel nous aimons habiter. Nos bassins de rétention d'eau et de filtrage sont efficaces, c'est important, mais ce sont d'abord de beaux étangs. "

    Côté vie sociale, là aussi, contrat rempli. De la centrale de chauffage à l'entretien des jardins, de la conception des squares à la gestion de l'eau, les habitants s'occupent de tout, en commissions professionnelles ou en groupes informels, aidés par des subventions de la ville de Culemborg là où les services municipaux interviennent d'habitude. Dans la ferme urbaine qui fournit le quartier en produits bio, familles et écoliers viennent s'éduquer aux joies du jardinage et de l'écologie, partager binettes et cueillette, pique-niquer au milieu des moutons.

    Une communauté ? Surtout pas. " Je me réjouis de connaître plus de 300 personnes par leur nom à Lanxmeer grâce à ce que nous faisons tous ensemble, alors qu'un Européen moyen est capable de nommer moins de vingt de ses voisins. Mais on n'a pas besoin d'être bons copains, bons voisins, assure la bonne fée du quartier. Personne n'est forcé de participer. Pour ma part, je suis très individualiste... Les quelques insatisfaits qui sont partis ne critiquaient pas le côté participatif, au contraire : ils regrettaient le manque de vie communautaire ! "

    Une réserve de bobos ? Pas tant que ça. Les prix de l'immobilier sont les mêmes qu'ailleurs à Culemborg. Et pas moins de 30 % de logements sociaux sont disséminés dans le quartier, dont les locataires s'investissent dans la vie collective au même titre que les propriétaires. " On a beaucoup moins de turnover ici que dans le reste de notre parc, remarque Jan van Wiggen, le bailleur social. Les gens s'habituent très vite à ce fonctionnement participatif. Cela démontre que c'est un mode de vie normal, et non un acte militant. "

    Dans le monde enchanté de Lanxmeer, on trouve encore une résidence pour personnes âgées, fondée et entièrement autogérée par une brochette de jeunes retraités amis depuis l'université. Une école au profil bizarre, construite brique après brique par les voisins, et une foule d'amis de passage au fil d'un chantier resté dans les mémoires comme un joyeux bazar. Toutes sortes de jeux et de petits coins pour enfants, les plus petits passant leurs commandes aux adultes par l'intermédiaire des plus grands.

    Le conte de fées, c'est la loi du genre, a ses méchants et ses regrets. " Le projet a été retardé, tout ça a pris trop longtemps ", soupire Marleen Kaptein. " Quelques promoteurs pressés de vendre ont détourné la règle et imposé des logements avec stationnement, ramenant la voiture au coeur du quartier. " Sans oublier que la centrale censée convertir les eaux usées en biogaz n'a jamais vu le jour, pas plus que l'ambitieux complexe dédié au développement durable, avec centre de conférences, hôtel et restaurant. Trop cher.

    Surtout, constat amer, malgré les milliers de visiteurs reçus chaque année, bien peu d'émules ont propagé le modèle de Lanxmeer : dans beaucoup d'écoquartiers, seule une mince couche de vert camoufle un urbanisme gris ordinaire et la participation des habitants se résume à de soporifiques réunions d'information.

    Lanxmeer n'est pourtant pas complètement isolée. D'autres écoquartiers coopératifs existent, comme ceux de Süd-Stadt à Tübingen, en Allemagne. Et dans toute l'Europe, des dizaines de villes et des milliers de citoyens prennent en main leur destin urbain, favorisant les transports non polluants, les énergies renouvelables et les produits locaux, encourageant la mobilisation collective et la démocratie participative.

    En Italie, quatre municipalités ont créé il y a dix ans, sur le modèle du " slow food " (mouvement anti-fast-food), le réseau des " villes lentes ", qui fédère aujourd'hui cent adhérentes du monde entier. Leurs élus refusent le gigantisme, bannissent les hypermarchés, repoussent l'automobile, interdisent les OGM, multiplient les espaces verts et les équipements collectifs.

    En Grande-Bretagne, la permaculture a inspiré à des militants associatifs le mouvement des " villes en transition ". Ses animateurs se préparent dans l'allégresse à la double échéance de la fin du pétrole et du changement climatique en embarquant qui le veut dans la quête citoyenne de l'autarcie énergétique et alimentaire.

    La vague s'est formée en 2006 à Totnes, petite ville anglaise de 8 000 habitants, avant d'irriguer une centaine d'initiatives, des Etats-Unis au Japon en passant par l'Australie.

    A quand un Lanxmeer français ? Des projets de coopératives d'habitants fleurissent sur tout le territoire, portés par des citadins désireux de dessiner ensemble les contours de leur logement et de leur quartier, dans un esprit d'écologie, de solidarité et de rejet du marché. Seul problème : ce modèle de propriété collective et de gestion partagée, courant en Suisse, au Danemark ou au Québec, est interdit en France depuis la loi Chalandon en 1971. Pas si facile de changer de mode de ville.

    Grégoire Allix



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