• Face à la menace de déflation, les paris risqués de la Fed

    Face à la menace de déflation, les paris risqués de la Fed

    Pour éviter une baisse des prix aux Etats-Unis, la banque centrale prépare de nouvelles injections de liquidités

     

     

    Que faut-il craindre le plus de l'inflation ou de la déflation ? Les marchés n'en finissent pas de s'interroger, mais la Réserve fédérale américaine (Fed) semble, elle, avoir fait son choix : la vraie menace est aujourd'hui celle d'une baisse durable et généralisée des prix et des salaires. Un scénario catastrophe qui, s'il se concrétisait, provoquerait un repli de la consommation, des investissements, de la production industrielle, et hypothéquerait gravement la reprise.

    La banque centrale américaine se garde bien pour l'instant de mentionner ce risque explicitement. Mais lors de sa dernière réunion de politique monétaire, fin septembre, elle s'est inquiétée d'une croissance économique " trop lente " conjuguée à une inflation " trop faible ", comme le souligne le compte rendu de la rencontre, rendu public mardi 12 octobre.

    La reprise est anémique, et les destructions d'emplois se poursuivent (95 000 en septembre). Mais, aux prises avec un déficit abyssal, l'administration de Barack Obama semble incapable de se décider entre rigueur et relance. La Fed prend le relais en se tenant prête à agir vite et fort, comme elle pourrait le confirmer dès sa prochaine réunion, le 3 novembre.

    En publiant mardi les " minutes " de ses débats internes, elle prépare déjà les investisseurs à la reprise de ses achats massifs de bons du Trésor américains. Une politique d'injection de liquidités que les experts appellent " Quantitative Easing ", jugée dangereuse en termes d'inflation par les plus orthodoxes. La Fed, qui se satisfait habituellement d'une hausse des prix comprise entre 1,5 % et 2 %, réfléchit aussi à fixer temporairement un objectif plus explicite et plus élevé. En jouant sur les anticipations, elle espère encourager la consommation et l'investissement. Et éviter que s'enclenche un cycle destructeur d'emplois. " La stratégie n'est pas sans risques, mais elle doit permettre d'empêcher que la déflation s'installe. Une fois amorcée, il serait impossible de lutter contre ", explique Sylvain Broyer, chez Natixis.

    L'économie américaine n'en est pas là. Mais les prix à la consommation - hors ceux de l'alimentaire et de l'énergie, trop volatils - n'ont grimpé que de 0,9 % en août sur un an. Soit la progression la plus lente depuis quarante-quatre ans. La Fed redoute que cette désinflation ne dégénère. D'abord bénéfique pour le pouvoir d'achat, elle finirait par entraîner un repli de la consommation, les ménages préférant différer leurs dépenses dans l'attente des baisses de prix à venir.

    Déjà, les effets bénéfiques des stimuli budgétaires et des politiques monétaires accommodantes semblent en passe de s'estomper. La banque centrale s'alarme devant la hausse du taux d'épargne des agents privés : ménages et entreprises privilégient le désendettement à la dépense. Quant au crédit, il reste grippé.

    Les économistes n'observent pas de pression à la baisse sur les rémunérations. Mais le taux élevé de sans-emploi met les salariés en situation de faiblesse vis-à-vis de leur employeur. " Au moment où la relance s'épuise, ce qui reste aux Etats-Unis, c'est 10 % de chômage et 17 % de précarité ", fait remarquer M. Broyer.

    Outre-Atlantique, les plus pessimistes voient resurgir le spectre japonais de la " décennie perdue " : l'Amérique risque-t-elle de connaître le même sort que l'Archipel, qui a glissé dans une spirale déflationniste après l'explosion de la bulle immobilière et boursière, au début des années 1990, et se débat depuis avec une croissance atone ? L'exemple japonais a longtemps été le sujet d'étude favori du président de la Fed, Ben Bernanke. Spécialiste de la déflation, l'ancien professeur de Princeton estimait que le Japon s'était fait piéger en tardant trop à réagir. Pas question, donc, de répéter les mêmes erreurs.

    Mais les " faucons " de la Fed ne sont pas tous acquis à la méthode défendue par M. Bernanke. Certains redoutent qu'à trop vouloir jouer sur les anticipations, l'inflation puisse franchement déraper. D'autres dénoncent les effets déstabilisants d'une politique ultra-accommodante sur le marché des changes : depuis plusieurs semaines, le dollar ne cesse de baisser.

    De l'autre côté de l'Atlantique, la Banque centrale européenne (BCE) privilégie aussi une approche plus orthodoxe que la Fed. L'institution monétaire ne parle plus ouvertement de mettre fin rapidement à son dispositif de crise, mais elle exclut d'en faire davantage. Le patron de la Bundesbank allemande, Axel Weber, a d'ailleurs préconisé, mardi, que la BCE cesse ses achats d'obligations souveraines, un programme lancé au plus fort de la crise grecque.

    La zone euro est-elle donc à l'abri de toute menace de déflation ? " On peut être plus optimiste, notamment quand on voit les excellents chiffres en Allemagne ", juge Véronique Riches-Flores, chef de la recherche chez Société générale, à l'issue d'une conférence, mardi à Paris, intitulée " Sommes-nous tous japonais ? "

    Reste que la situation est très contrastée. Les pays les plus fragiles, tels l'Irlande, l'Espagne, le Portugal, englués entre crise de dette et chômage élevé, sont loin de connaître l'embellie allemande.

    " La hausse de l'euro n'aide pas, note aussi l'économiste Philippe Brossard. Et cela ne risque pas de s'améliorer avec les annonces de la Fed. " Jeudi, l'euro a d'ailleurs franchi le seuil de 1,41 dollar, pour la première fois depuis neuf mois.

    Marie de Vergès

    Google va calculer l'évolution des prix en temps réel


    SI LA QUESTION divise encore économistes et investisseurs, Google en est en revanche convaincu : selon le chef économiste du géant américain de l'Internet, Hal Varian, les prix ont suivi " une tendance très clairement déflationniste " depuis près d'un an aux Etats-Unis. Tout du moins pour les produits commercialisés en ligne.

    Cette conclusion, l'omniprésent moteur de recherche la tire de ses travaux en cours : l'élaboration, à partir des transactions réalisées sur Internet, d'un nouvel indice de l'inflation baptisé " Google Price Index ".

    L'atout d'un tel outil serait de pouvoir " prédire le présent ". En clair, d'offrir une mesure des prix en temps réel, constamment actualisée à partir des informations disponibles en ligne. Le très officiel indice des prix à la consommation américain (CPI) n'est, lui, publié qu'une fois par mois, avec plusieurs semaines de décalage sur la réalité qu'il décrit.

    Le Google Price Index va-t-il faire concurrence aux statisticiens traditionnels ? Sans doute pas. M. Varian a d'ailleurs précisé que cet " e-indice " n'était pas destiné à remplacer le CPI car l'échantillon des biens et des services vendus en ligne ne couvre pas tous les produits de consommation courante. Ainsi, les prix de l'immobilier comptent pour 40 % dans le CPI américain, mais représentent seulement 18 % du Google Price Index.

    Et si l'on observe une " bonne corrélation " avec les statistiques officielles pour les montres, les jouets et les appareils photo, il n'en va pas de même pour les chaussures ou les pièces détachées automobiles, peu commercialisées sur la Toile.

    Moulin à poivre

    Lors d'un colloque d'économistes à Denver, lundi 11 octobre, M. Varian a raconté que tout avait commencé à cause d'un moulin à poivre cassé. Voulant remplacer l'objet, le professeur émérite de l'université de Berkeley, employé chez Google depuis 2002, s'est trouvé confronté sur Internet à une interminable liste de prix. " A quoi pense-t-on alors en premier lorsque l'on est un économiste ? A construire un indice des prix ", a déclaré M. Varian. Le projet, toutefois, est encore loin d'être abouti, et Google n'a même pas décidé s'il rendrait publics les résultats définitifs.

    Ce n'est pas la première fois que le groupe présente la colossale base de données dont il dispose comme un outil capable d'améliorer les prévisions pour toute une série de phénomènes. Dans un article publié en 2009, M. Varian évoquait entre autres les ventes automobiles, les ventes de détail, le tourisme ou la courbe du chômage.

    M. de V.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :