• J'emprunte, donc je suis par Pierre-Antoine Delhommais

    J'emprunte, donc je suis

     

                D'après ce qu'on en sait aujourd'hui et avant d'en savoir un peu plus demain, le grand emprunt ne sera pas destiné à la clientèle des particuliers, mais aux grands investisseurs internationaux. Ce n'est pas très grave, car pour être franc, il était hors de question d'en acheter. Pour tout un tas de raisons.

    D'abord parce qu'on était tout de même été un peu gêné à l'idée de participer à une opération dont le premier résultat tangible devrait être d'offrir plusieurs centaines de millions d'euros de commissions aux banquiers qui la piloteront. Les professionnels des marchés financiers peuvent dire un grand merci à MM. Sarkozy et Guaino : le recours à l'emprunt pour financer l'avenir de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> constitue un joli cadeau de Noël.

    On n'avait pas trop envie non plus de rendre notre épargne otage de gérants étrangers, fonds de pension, hedge funds, etc., qui détiennent deux tiers du stock de la dette française et dont les mouvements d'humeur imprévisibles décident de la valeur des obligations du Trésor.

    Enfin, on n'était pas du tout persuadé que l'achat d'emprunt d'Etat français constitue aujourd'hui un placement très judicieux. Avec la masse de monnaie qui a été injectée par les banques centrales, l'inflation, l'ennemie du rentier, pourrait redémarrer assez fortement dans le monde. " Foi d'animal, intérêt et principal ", partiraient alors en fumée, et cela n'aurait rien d'une fable. A l'attrait incertain d'une obligation du Trésor, on peut préférer le charme désuet - mais indexé sur l'inflation -, du Livret A. Il faut ajouter à cela le fait que des tombereaux d'emprunts d'Etat vont être émis, dans le monde, pour financer les déficits nés de la crise. Moody's prévoit une multiplication par près de deux (15 300 milliards de dollars) de la dette publique mondiale entre 2007 et 2010, 80 % de cette hausse incombant aux pays du G7. Cette offre surabondante risque de provoquer tôt ou tard un krach obligataire et la ruine des détenteurs d'emprunts.

    Enfin, l'orgueil national dût-il en souffrir, le Trésor français n'est pas ce qui se trouve de mieux sur le marché. Tant qu'à investir dans du sûr, autant s'offrir quelques emprunts d'Etat allemands. Le Bund, c'est en même temps du très liquide et du très solide, le must. Et on peut compter sur Mme Merkel pour remettre rapidement de l'ordre dans les finances publiques de son pays et faire en sorte que cette suprématie allemande demeure.

    <st1:personname productid="la France" w:st="on">La France</st1:personname>, le seul de tous les pays industrialisés, faut-il le rappeler, à ne pas avoir enregistré un seul excédent budgétaire depuis 1974, n'est pas près de pouvoir lui contester cette place.

    Cette exception française, le grand emprunt l'a confirmée. Aucun autre gouvernement n'a repris la géniale idée née dans un bureau de l'Elysée consistant à rajouter de l'emprunt à l'emprunt pour améliorer la situation économique et prétendant assurer la croissance de demain par de l'endettement supplémentaire. Partout ailleurs dans le monde, on considère que la dette publique n'est pas une solution mais qu'elle est au contraire devenue le problème.

    Le pire est que c'est toute la classe politique française, à de très rares exceptions près (François Bayrou, Bernard Thibault), a approuvé le principe même de l'emprunt. Les désaccords n'ont guère porté que sur son montant, le curseur variant d'une vingtaine de milliards pour les plus radins à une bonne centaine de milliards pour les ultra-keynésiens. Le pire est qu'il s'est trouvé deux anciens premiers ministres, Rocard à gauche, Juppé à droite, qui il est vrai avaient pratiqué avec brio l'art du déficit quand ils occupaient leur poste, pour apporter une sorte de pseudo-caution morale multipartisane au projet. On connaissait d'avance leur réponse, un peu comme si on demandait à deux traders de Goldman Sachs leur avis sur les bonus.

    Michel Rocard ne cesse de répéter que " les monétaristes n'ont pas le sens de l'Etat ". On ne sait pas si c'est l'avoir davantage que dépenser sans compter un argent qu'on n'a pas. Plutôt que de brûler les livres de Milton Friedman, M. Rocard serait bien inspiré de relire Montesquieu, qui, dans De l'esprit des lois, s'en prenait à ceux qui " ont cru qu'il était bon qu'un Etat dût à lui-même et qui ont pensé que cela multipliait les richesses ".

    Certains avaient pourtant cru que le rapport Pébereau de 2006 sur la dette avait changé les mentalités de nos dirigeants. Qu'ils étaient naïfs ! Preuve est faite que les hommes politiques français continuent d'emprunter comme ils respirent, persuadés que leur existence se justifie et que leur pouvoir se mesure dans leur capacité à dépenser. J'emprunte, donc je suis. Et plus j'emprunte, plus je suis.

    Le cogito sarkozyen glisse sur le bon sens de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> d'en bas qui considère le grand emprunt pour ce qu'il est : l'opération de communication politique la plus coûteuse de l'histoire. Selon un sondage, 56 % des Français le jugent inutile (27 % y étant favorables). Il est vrai que les Français n'ont pas le même horizon de réflexion que leurs dirigeants. Quand ces derniers songent aux échéances électorales, eux pensent à leurs enfants et petits-enfants qui devront rembourser les dettes contractées. Quand le gouvernement prétend construire l'avenir par l'emprunt, eux jugent au contraire qu'il le compromet.

    " Le grand emprunt a un petit air de dernier verre avant le retour à la sobriété ", veut espérer l'économiste Charles Wyplosz. On n'y croit pas du tout. Mais alors là pas du tout du tout.

    Pierre-Antoine Delhommais


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