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Kant : Qu'est-ce que les lumières?
§ 1
Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité (Entendre ce terme au sens d’être incapable de penser par soi-même ) dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude (Maxime de l’Auklärung empruntée au poète latin Horace) ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.
§ 2
La paresse et la lâcheté (Les mineurs sont totalement responsables de leur minorité dans la mesure où ils ont vraiment les moyens d’y mettre fin, mais ne le souhaitent pas parce qu’ils choisissent la facilité ). sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers (Ces tuteurs, pétris d’ambition, maintiennent ceux qu’ils gouvernent dans l’ignorance, sans être eux-mêmes éclairés. Ceci rappelle les faiseurs d’ombres dans la caverne de Platon (République VII)). Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur (Les prêtres, qui souvent occupaient cette fonction de directeur de conscience au 18ème siècle auprès de ceux qui avaient les moyens de payer, sont clairement visés ici )qui me tient lieu de conscience, un médecin (On peut penser que le médecin est plus qualifié que nous pour décider de notre régime) . qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail (domestique) et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas, hors du parc ou ils les ont enfermé. Ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s’aventurer seules au dehors. Or, ce danger n’est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne ordinairement d’en refaire l’essai.
§ 3
Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui, nature. Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions (Preceptes) et formules, ces instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste. Quiconque même les rejèterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.
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