• L'économie après la mondialisation heureuse

    L'économie après la mondialisation heureuse


    Le pilotage automatique a échoué ; reste à inventer le pilotage manuel

    Le G20, ou les incertitudes de la régulationAlors que la France va présider le G20, le surendettement, les effets pervers du krach de 2008, et les risquessystémiques planent toujours sur l'économie mondiale et compromettent la sortie de crise

    Comment expliquer la crise du système capitaliste et l'impossibilité présente des Etats ou du G20 à reprendre la situation en main ? Depuis 1980, la conjoncture internationale, à mesure qu'elle se globalise, semble devenir de plus en plus insaisissable. Pratiquement aucun économiste n'avait prévu la dépression de l'été 2008 ou n'est simplement en mesure de prédire la conjoncture à moins de trois mois.

    Fin 2010, alors que la croissance demeure atone aux Etats-Unis et dans la zone euro, bien peu d'experts sont véritablement en capacité de dire ce qu'il conviendrait de faire pour relancer l'économie. Le nouveau concept de " rilance " - rigueur d'un côté pour rassurer les marchés, relance de l'autre pour soutenir l'activité - ajoute à la perplexité.

    En fait, cette propagation rapide de la crise financière à la sphère économique n'est-elle pas due au processus de globalisation lui-même ? L'interdépendance recherchée et souhaitée entre la finance et l'ensemble de l'économie mondiale est aujourd'hui effective. En période de croissance forte, cette interdépendance est potentiellement porteuse de profits. Sans régulation, les inconvénients de ce modèle sont néanmoins nombreux : explosion des inégalités, consommation rapide des ressources naturelles, écart grandissant entre zones de production et zones de consommation aboutissant à une économie de flux.

    Or, aujourd'hui, les marchés auxquels nous avons confié notre avenir ne semblent plus en capacité d'assurer un bien-être collectif. La mondialisation " heureuse " n'existe plus. Elle n'est plus au bénéfice de tous mais seulement de quelques-uns. Sait-on que le commerce intra-firme représente, selon les experts, de un tiers à la moitié du commerce mondial aboutissant à produire à bas coûts ce que l'on peut vendre avec des marges élevées dans les pays développés ? La globalisation favorise l'expansion de certaines zones économiques - les pays émergents - au détriment de l'activité dans les pays développés et, dans une large partie, du monde en développement.

    Les grands opérateurs internationaux - firmes multinationales, spéculateurs et financiers - profitent de ce système, de cette distanciation entre zones de production et zones de consommation. Ils ont avantage à acheter à bas coûts dans les pays émergents et à vendre à prix élevés dans les pays développés. Une économie de flux s'est mise en place où chaque opérateur entend prélever sa dîme.

    Mais alors, comment réagir dans une telle conjoncture ? Comment retrouver un équilibre dans la répartition des richesses produites ? Est-il possible de réguler à nouveau l'économie mondiale en la mettant au service du développement humain de tous ? Tout retour en arrière est-il définitivement impossible ? Face à la crise de l'été 2008, les Etats ont tenté courageusement d'intervenir - stabilisation de la crise par la dépense publique - et les G20 de Washington et de Londres ont proposé de fixer de nouvelles règles - liste noire des paradis fiscaux, gouvernance des marchés financiers, dotation supplémentaire pour le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour aider les pays en difficulté.

    Toutefois, ces tentatives de reprise en main semblent avoir fait long feu. Les déficits des Etats se sont creusés et les marchés n'ont pas tardé à " doucher " cet interventionnisme jugé excessif et laxiste dont ils avaient été les premiers bénéficiaires. Via la dette souveraine qu'ils financent, les marchés imposent à nouveau la rigueur de peur de voir leurs créances souveraines se dévaloriser. Via le dogme intangible de la liberté pleine et entière du commerce international, ils bloquent toute velléité de régulation globale, immédiatement assimilée à du protectionnisme - la bête immonde - qui risquerait de limiter les flux. La main invisible doit rester insaisissable.

    Pour redonner un minimum de perspective aux générations futures, il faudrait s'accorder sur la mise en place d'un autre système économique, social et écologique où l'homme reprenne en main les manettes de son avenir, où la puissance publique ait à nouveau le droit d'intervenir en matière économique face au diktat des opérateurs économiques. Il faudrait surtout que les Etats, un à un, ou pris collectivement dans le cadre du G20, aient le courage de fixer de nouvelles règles économiques en se donnant les moyens de les faire respecter. Il faudrait enfin que les zones de production se relocalisent en partie à proximité des bassins de populations afin que l'économie se mette à nouveau au service de la satisfaction des besoins locaux.

    Le pilotage automatique de l'économie mondiale par les marchés n'est plus la solution, nous le savons. Il nous a conduits collectivement dans le mur. La loi des avantages comparatifs imaginée par l'économiste anglais David Ricardo (1772-1823) - tous les pays peuvent tirer avantage d'un commerce international ouvert - s'efface en faveur de la loi des avantages absolus qui privatise l'accumulation de richesses au profit des plus forts. Ne laissons pas de funestes augures nous faire croire qu'il conviendrait d'en faire encore un peu plus en matière de libéralisation. Cessons d'être dogmatiques et ayons le courage de regarder la réalité en face.

    Les démocraties doivent à nouveau faire entendre leurs voix en se donnant les moyens de saisir effectivement la main invisible du marché qui nous gouverne actuellement. Telle devrait être, en 2011, l'ambition de la présidence française du G20.

    Stéphane Madaule

    Essayiste, maître de conférences à Sciences Po Paris


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