• L'épargne collective va être garantie par la puissance publique : Aglietta

    « L'épargne collective va être garantie par la puissance publique »

    Le monde d'après Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur l'après-crise. Michel Aglietta doute de la capacité des politiques à mener les réformes pour réguler la finance et mise sur un nouveau contre-pouvoir, celui des investisseurs de long terme. Retrouvez l'intégralité de l'entretien sur la latribune. fr.

    interview Michel Aglietta économiste

    L'industrie financière a-t-elle, selon vous, tiré les leçons de la crise ?

    Je ne le pense pas. Les banquiers de Wall Street estiment toujours qu'ils pourront travailler « comme avant ». Et, paradoxalement, avec encore plus de pouvoir car les États-Unis et le Royaume-Uni ont favorisé la concentration du secteur. Les responsables politiques n'ont pas saisi l'opportunité de cette crise pour restructurer en profondeur le système bancaire, changer les réglementations, inventer une nouvelle organisation de la finance qui soit au service de l'économie et non d'elle-même, comme Franklin Roosevelt avait su le faire dans les années 1930 ou le gouvernement suédois en 1992.

    Pourtant, le G20 a clairement appelé à une nouvelle régulation du système bancaire. Est-ce, à vos yeux, un simple v?u pieux ?

    Il faudrait pour le moins exiger des banques beaucoup plus de fonds propres et revenir sur certains principes prudentiels de Bâle 2. Un de ces principes considère que la solvabilité de chaque banque, prise individuellement, suffit à sécuriser l'ensemble de système parce que le risque est postulé exogène. La crise a démontré au contraire que le risque endogène, dû aux relations de contrepartie entre les banques, est celui qui assèche la liquidité. Sur ce point, il faut reconnaître que des avancées notables dans les intentions ont été réalisées par le G20. Il est affirmé qu'il faut mettre en place une régulation macro prudentielle sous la responsabilité des banques centrales pour maîtriser l'expansion du crédit lorsque l'euphorie s'empare des marchés financiers. Cette régulation sous la forme d'une exigence de capital contracyclique doit être élargie à tous les acteurs qui se comportent comme des banques. C'est clairement un objectif de stabilité financière qui sera confié aux banques centrales en sus de la stabilité des prix. La piste est intéressante mais malheureusement pas suffisante.

    Que faut-il faire de plus ?

    Il ne faut plus permettre aux banques de déterminer elles-mêmes le niveau de capital requis pour leurs activités. La crise a révélé l'insuffisance, pour ne pas dire plus, de leurs modèles de contrôle interne des risques de crédit appliqués aux produits de la titrisation. Ces modèles sont surtout impuissants à traiter le risque endogène. Il faut donc soumettre les banques à des « stress tests » simultanés, sous le contrôle des superviseurs bancaires, et les contraindre, le cas échéant, à augmenter leurs fonds propres comme prix de l'assurance contre le risque systémique que leur octroie le prêteur en dernier ressort. Vu l'ampleur des pertes que l'on a pu constater, il faudrait au moins doubler le niveau de capital actuellement requis par les règles de Bâle 2. Ce n'est pas gagné car les banques souhaitent traiter leur bilan de manière opaque. Une volonté politique existe, mais sera-t-elle suffisante face au pouvoir des banques ? C'est tout l'enjeu des débats aujourd'hui aux États-Unis.

    Doit-on revenir à une finance admi- nistrée ?

    Non, ce n'est plus possible parce que le financement des retraites requiert une épargne de long terme qui ne peut s'investir que dans les marchés de capitaux. Il est scandaleux, voire absurde, de prétendre que les individus puissent gérer les risques de leurs cycles de vie. Les risques de l'investissement long doivent être mutualisés par des investisseurs institutionnels. Les fonds de pension et les fonds communs de placement ont échoué dans cette tâche dans la mesure où ils sont les otages passifs des intermédiaires de marché (banques d'affaires, agences de notation et hedge funds). En tant qu'apporteurs de capitaux, il leur revient d'exercer un contre-pouvoir pour faire prévaloir les intérêts du long terme sur ceux de la spéculation. Pour ce faire, ils doivent se doter de l'expertise nécessaire pour évaluer eux-mêmes les risques des produits qu'ils achètent et pour imposer une gouvernance stricte à leurs mandataires délégués. Les fonds publics ou quasi publics sont les mieux armés pour assumer cette mission. Il faut donc s'attendre à un développement des fonds d'investissement d'État ou plus ou moins garantis par l'État.

    Est-ce l'amorce d'un nouveau big-bang de la finance ?

    Il va se produire ce qui s'est déjà passé dans la banque après <st1:personname productid="la Seconde Guerre" w:st="on">la Seconde Guerre</st1:personname> mondiale : tous les salaires ont alors été payés en monnaie bancaire, ce qui a contraint les États à imaginer des systèmes de garantie des dépôts. Le système de paiement est alors devenu un lien social. De même, je suis persuadé qu'un des grands changements de la finance sera la reconnaissance que l'épargne collective relève également du lien social et qu'elle doit être garantie par la puissance publique, même lorsqu'elle reste gérée de façon privée. Ceci devrait profondément bouleverser les rapports de force dans la finance, aujourd'hui à l'avantage des banques d'affaires, et amener peut-être la prise en compte de nouvelles normes de long terme dans les choix financiers. Imaginez alors la force de frappe d'une épargne de long terme, estimée à quelque 30.000 milliards de dollars aujourd'hui, faisant jouer les forces de stabilisation propres aux effets de retour vers la moyenne, caractéristiques du long terme. Les investisseurs institutionnels deviendraient les acteurs prépondérants d'une nouvelle régulation financière.

    Propos recueillis par Éric Benhamou


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