• La dérive des processus et produits financiers (3/5)

    La dérive des processus et produits financiers (3/5)
    LA CRISE N'EST PAS FINIE - 2007-2010: voici trois ans que notre économie est en crise. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes étudie la période récente et nous livre son diagnostic: pour en sortir, il va falloir régler des problèmes structurels graves.

     

    Pour bien comprendre les crises financières telles qu’elles ont pu se développer dans ces trois dernières années, tant celles des subprimes que des dettes souveraines, il faut en prendre le produit le plus emblématique, le plus discutable car il présente des aspects négatifs mais également positifs de cette période d’explosion de la finance. Il s’agit évidemment de la titrisation.

    Comme le souligne de manière très convaincante Barry Eichengreen, il y aurait une sorte de nostalgie des temps passés au cours desquels les banques jouaient un simple rôle d’intermédiation en prêtant de manière tout à fait raisonnable à des ménages et à des entreprises, et cela dans le cadre de bilans parfaitement transparents et ajustés. Revenons donc au temps heureux où la titrisation n’existait pas, ou alors, autre version de la même approche, établissons une régulation forte et définitive qui nous ramène à la période bénie des années 1960. Et c’est sûrement là l’une des tentations les plus fortes qu’ont aujourd’hui les autorités financières américaines et européennes. En réalité, le problème est beaucoup plus complexe, car la titrisation a fait partie d’un mode de financement global de l’économie mondiale dont elle n’était qu’un élément parmi d’autres, et qui a par ailleurs joué sans nul doute également un rôle positif. En fait, la titrisation n’est en aucune manière un objet isolé. Elle fut le produit de la dérèglementation des marchés financiers, des nouvelles formes de régulation bancaire et d’un environnement de dématérialisation totale des flux de capitaux à l’échelle mondiale. Ceci donna ce résultat étonnant d’explosion des titrisations.

    Car le mot clé fut celui de l’excès brutal, c’est-à-dire l’emballement d’un système incontrôlé et cela depuis peu, c’est-à-dire dans les cinq dernières années. Ce qui est bien connu, c’est l’incroyable extension du crédit aux Etats-Unis et donc l’explosion des fusions-acquisitions ou du private equity. L’un et l’autre sont des mécanismes qui ont leurs vertus pour peu que leur développement conserve un lien solide avec l’économie réelle.

    Or, 2007 fut l’année de toutes les folies et chacun a en mémoire les immenses levées de fonds, notamment celles de Blackstone et autres KKR et les introductions en Bourse de leurs sociétés de gestion sans que la logique de ces mouvements n’apparaisse clairement. La sanction n’en est revenue que plus brutalement. Mais surtout cet excès systématique a trouvé son véritable point d’ancrage dans les dérives de la titrisation sous toutes ses formes. En réalité, dans les dernières années, la titrisation qui s'inscrivait dans une double logique d’optimisation des fonds propres et de la gestion actif/passif, aux mains des directions financières, des banques, passa subrepticement sous le contrôle des salles de marché avec pour objet essentiel de lancer des produits à fort effet de levier et très fort rendement espéré. Rappelons-le, la titrisation consiste à sortir des actifs du patrimoine d’une institution, en les cédant sous forme de valeurs mobilières. Un véhicule est créé auquel les actifs sont cédés. Ce véhicule émet les titres et perçoit les flux de trésorerie générés par les actifs sous-jacents et les reverse aux investisseurs (paiement des intérêts et remboursement des titres). Le schéma ci-dessous rappelle les étapes du mécanisme.

    Source: LCF

    Lorsque l’on décrit les opérations telles qu’elles furent mises en œuvre, on s’aperçoit que les banques sont très souvent intervenues à tous les niveaux des opérations notamment dans la création et le financement des SIV ou conduits et donc que l’écheveau est évidemment bien difficile à dénouer. Dans les faits, la titrisation qui consistait évidemment  à vendre soit des crédits immobiliers des ménages aux Etats-Unis aux agences en charge du refinancement immobilier, les Freddie Mac et Fannie Mae, soit des crédits aux émetteurs d’ABS (Asset Backed Securities ) a pêché de deux manières. D’abord parce qu’on a exagéré le refinancement des dettes à long terme par des actifs, parfois à court terme, mais surtout on a créé des véhicules accueillant des actifs restructurés (ABS d’ABS), avec des palettes de risques très diversifiés et financés avec endettement à la clé. C’est là où se situe la principale dérive du système: rajouter un endettement qui a pour seul objectif d’améliorer le rendement. La logique même du rôle du banquier prêteur est transgressée. Risques sur risques n’a jamais conduit à un financement sain d’une économie mondiale en pleine ébullition.

    Jean-Hervé Lorenzi

    Lien :La guerre des monnaies, dernière étape de la crise


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