• La finance, autre secret honteux du Vatican

    La finance, autre secret honteux du Vatican

    Au cœur d’un nouveau scandale, le Saint-Siège fait l’objet d’une enquête dans une affaire de blanchiment d’argent. La fin de l’impunité ?

    Rachel Donadio | The New York Times

     


    Le pape Benoit XVI et le président de la banque du Vatican Ettore Gotti Tedeschi, au Vatican, 26 septembre 2010.

     

    L’ouverture d’une enquête du parquet de Rome au sujet de la banque du Vatican témoigne certes de la volonté de l’Etat de contrôler l’Eglise, mais elle révèle également un défi majeur que le Saint-Siège va devoir relever : l’ouverture au monde moderne.

    Le Vatican s’est toujours considéré comme un Etat différent des autres, obéissant à d’autres lois. A ce titre, sa gestion des scandales pédophiles était déjà révélatrice. Cette fois-ci, c’est l’opacité de ses comptes qui est en cause puisque, pour la première fois, le Saint-Siège est prié de se plier aux normes très strictes de l’UE relatives au blanchiment d’argent.

    Lorsque l’Europe s’est reconstruite après la Seconde Guerre mondiale en équilibrant les pouvoirs grâce à des traités et des accords bancaires, le Vatican est resté une anomalie : la dernière monarchie absolue en Occident (!). Mais aujourd’hui, ses traditions se heurtent aux institutions laïques, qui considèrent de plus en plus l’Eglise catholique comme une multinationale ordinaire.

    “Le Vatican doit comprendre que le monde a changé, lance Donato Masciandaro, directeur du département économie à l’université Bocconi de Milan et spécialiste des lois sur le blanchiment d’argent. Sans cela, il risque d’enfreindre constamment les directives sur le blanchiment d’argent.” Cette enquête est un coup dur non seulement pour le Vatican mais aussi pour l’Italie, écartelée entre ses engagements envers l’UE et son réseau bancaire noyauté par le pouvoir.

    La déférence envers le Saint-Siège reste toutefois d’usage dans le pays : le contentieux entre l’Etat et l’Eglise que constitue l’ouverture de l’enquête du parquet, d’une ampleur sans précédent depuis au moins une dizaine d’années, n’a pas fait la une d’Il Sole 24 Ore. Le quotidien financier de référence en Italie a relégué l’information en page 18 avec un article complaisant sur la visite du pape en Grande-Bretagne.

    La partie visible de l’iceberg

    Tout a commencé le 20 septembre : le parquet de Rome a saisi 30 millions de dollars [22 millions d’euros] sur le compte du Vatican et ouvert une enquête mettant en cause Ettore Gotti Tedeschi, le président de l’IOR [Institut des œuvres religieuses, la banque du Vatican] et son directeur général, Paolo Cipriani. La justice leur reproche de ne pas avoir justifié deux transferts de fonds réalisés à partir d’un compte d’une autre banque, le Credito Artigiano. Pour le Saint-Siège, cette enquête est un “malentendu”. Pour Gotti Tedeschi il s’agit d’une erreur de procédure montée en épingle par les médias. Pour d’autres, en revanche, ce n’est que la partie visible de l’iceberg et la fin de l’impunité du Vatican.

    Le parquet a commencé à s’intéresser de près aux comptes du Vatican l’année dernière, à la demande de la Banque centrale italienne. Cette dernière avait déclaré pour la première fois que la banque du Vatican devait être traitée comme n’importe quelle autre banque extérieure à l’UE et donc soumise à une vigilance accrue selon les directives de 2007 contre le blanchiment d’argent. Déjà en 2003, dans le cadre d’une affaire relative à la nocivité des ondes électromagnétiques émises par Radio Vatican, la plus haute cour de justice italienne avait pris ses distances avec le Saint-Siège. Elle avait reconnu à l’Etat italien le droit de protéger ses citoyens contre des actions menées par des individus travaillant pour le Vatican. Mais cette décision n’avait pas fait jurisprudence et, si un magistrat décidait aujourd’hui de poursuivre la banque du Vatican, il faudrait s’attendre à une longue bataille juridique. Premier mystère de cette affaire : pourquoi la banque du Vatican a-t-elle demandé au Credito Artigiano un transfert de 30 millions de dollars [22 millions d’euros] en provenance d’un compte gelé par décision de justice en avril pour défaut de transparence dans des transactions précédentes ?

    Certains y voient une tentative délibérée de la part du Vatican. “Evidemment c’était un coup hasardeux”, estime Ignazio Ingrao, spécialiste du Vatican de l’hebdomadaire d’informations italien Panorama, qui a été le premier à révéler en décembre 2009 les enquêtes dont la banque du Vatican faisait l’objet. “Elle voulait lui forcer la main, en espérant que le Credito Artigiano l’aiderait.”

    Mais ce dernier était tenu de signaler cette opération suspecte à la Banque d’Italie. Celle-ci venait en effet de rappeler – pour la deuxième fois de l’année – à toutes les banques italiennes que les transactions de la banque du Vatican devaient être passées au peigne fin, sous peine de poursuites.

    Autre mystère : que s’est-il passé entre le 6 septembre, date de la demande de transfert, et le 14 septembre, date à laquelle le Credito Artigiano a alerté la Banque d’Italie ? Gotti Tedeschi a-t-il essayé de faire pression sur Giovanni De Censi, directeur de la société mère du Credito Artigiano, le Credito Valtellinese, également consul­tant pour la banque du Vatican ? De Censi s’est refusé à tout commentaire. Cette affaire intervient à un moment où le Vatican subit d’intenses pressions de la justice concernant de nombreuses affaires d’abus sexuels, notamment en Belgique, où les autorités ont effectué des descentes de police dans plusieurs propriétés de l’Eglise. Les ban­ques italiennes sont également sous le coup d’une tentative de prise de pouvoir par la Ligue du Nord de l’establishment bancaire catholique. L’IOR, banque ordinaire ?

    De son côté, le Vatican avait nommé l’année dernière Gotti Tedeschi, banquier et professeur d’éthique de la finance à l’université catholique de Milan, pour réorganiser et rationaliser ses finances, gérées par des entités disparates souvent déconnectées. Le Vatican est également en pourparlers avec l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui fixe les normes de transparence, et le GAFI (Groupe d’action financière internationale), chargé d’organiser des mesures contre le blanchiment d’argent et le financement des organisations terroristes. Le but étant pour le Saint-Siège de réintégrer la “liste blanche” des pays exemplaires en matière de transparence…

    “Des discussions sont en cours”, reconnaît Jeffrey Owens, directeur du Centre pour la politique fiscale à l’OCDE. “Pour nous, le Vatican doit être traité comme n’importe quel autre Etat et se soumettre à la même surveillance. Le rythme des négociations dépend de lui.” Pourtant, avant de participer aux accords internationaux, le Saint-Siège devra résoudre une ambiguïté fondamentale concernant la définition de sa banque. Il maintient qu’il ne s’agit pas d’une banque ordinaire, mais plutôt d’une entité qui gère les biens de ses organisations religieuses, ce que récuse la Banque d’Italie. “Les enjeux de ce bras de fer sont particulièrement compliqués, estime M. Ignazio Ingrao. Et il risque de durer encore longtemps.”

    L'auteur

    D’abord journaliste au New York Observer puis à la New York Times Book Review, Rachel Donadio est depuis 2008 la correspondante en chef du New York Times à Rome. Elle livre ici un point de vue distancié sur les relations entre le Saint-Siège, l’Italie et l’Union européenne.

    Repère

    Surnommé “la banque des prêtres”, l’Institut des œuvres religieuses (IOR) a été fondé en 1942 par Pie XII pour assurer l’administration des biens de l’Eglise catholique. Son histoire est émaillée de divers scandales. L’un des plus retentissants, la faillite de la banque italienne Ambrosiano – dont l’IOR était le principal actionnaire –, remonte à 1982. L’enquête a montré que la banque Ambrosiano recyclait l’argent de la Mafia, mettant en cause le dirigeant de l’IOR à l’époque, Paul Marcinkus, dit “le banquier de Dieu”. Le patrimoine de la banque du Vatican est estimé à 5 milliards d’euros.


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