• La " flexsécurité " à la peine

    La " flexsécurité " à la peine

     

    Si les chiffres inquiétants de l'économie américaine ou le redressement rapide de l'économie allemande monopolisent l'attention, l'état des marchés du travail des pays scandinaves de l'Union européenne est également instructif.

    La crise du début des années 1990 avait propulsé le taux de chômage à près de 10 % au Danemark et en Suède. Il avait même dépassé 17 % en Finlande, alors très liée à une économie russe en effondrement. Mais à la fin du XXe siècle, le Danemark était proche du plein-emploi alors que le chômage avait fortement régressé dans les deux autres pays.

    Il n'en fallait pas moins pour voir dans ces excellents résultats obtenus en une poignée d'années, l'existence d'une troisième voie en matière d'emploi : la " flexsécurité ", " flexisécurité " ou encore " flexicurité ". En effet, les trois pays ont partagé - avec des variantes importantes - une stratégie d'activation du marché du travail à travers une flexibilité assurée par une relative facilité de licenciement, conjuguée à une " sécurisation " du travailleur.

    Celui-ci bénéficie à la fois d'allocations chômage généreuses et de formations professionnalisantes pour partie obligatoires. Ainsi, les entreprises peuvent s'adapter à la demande, ne pas être dissuadées d'embaucher, et les sans-emploi conservent leur " employabilité ". Théoriquement, les créations-destructions d'emplois s'accélèrent mais l'impact net sur l'emploi est positif, le chômage de longue durée régresse, évacuant la peur du chômage. Les exemples scandinaves se sont mus en " modèle " dans la dernière décennie.

    La Commission européenne a placé les principes de ce modèle au centre de sa stratégie pour l'emploi. En France, à droite comme à gauche, il était devenu un leitmotiv qui a rythmé les propositions pour l'emploi des principaux candidats lors de la dernière élection présidentielle. En pratique, on peut lire de nombreuses mesures adoptées en France comme inspirées de ce modèle.

    Par exemple, la réforme de la représentativité syndicale cherche à constituer des syndicats à l'image de ceux de l'Europe scandinave, puissants représentatifs et " responsables " considérés comme un prérequis d'une flexsécurité consensuelle. L'actuel premier ministre, François Fillon, ne cache pas son objectif de construire une " flexisécurité à la française ".

    Toutefois, à côté de cette interprétation dominante des performances scandinaves, des explications alternatives étaient proposées. En particulier, les pays scandinaves ont fait le choix de l'innovation en augmentant sensiblement l'effort de recherche et développement au moment du basculement dans l'économie de la connaissance. Suède et Finlande sont ainsi devenues les deux pays qui ont l'activité la plus intensive en recherche et développement (R & D) au sein de l'OCDE.

    Des géants tels Nokia ou Eriksson ont su surfer sur l'émergence des technologies mobiles, s'imposant comme des leaders mondiaux. Par ailleurs, le contenu de certaines formations offertes ou le fait que des sans-emploi préféraient reprendre un emploi en deçà de leurs prétentions plutôt que de suivre ces formations, soulevaient des doutes sur les qualités réelles de la flexsécurité, même dans son berceau, le Danemark.

    La crise semble donner corps à ces doutes. Contrairement à l'Allemagne ou à l'Autriche, la Suède et la Finlande n'ont pu échapper à une hausse rapide du chômage, le portant à près de 9 %. Le Danemark, qui partait d'un niveau de chômage plus bas, a pu le contenir autour de 7 %. Mais surtout, ces pays censés ne connaître qu'un chômage de flux de créations et de destructions d'emplois découvrent le chômage de file d'attente dont les jeunes sont les premières victimes. Le chômage des jeunes, pourtant très éduqués, a dérivé ainsi à des niveaux record qui s'éternisent.

    Selon les derniers chiffres d'Eurostat, en juin, le taux de chômage des moins de 25 ans est de 12 % au Danemark. Pire, avec respectivement, 22 % et 25 %, les taux finlandais et suédois dépassent celui observé en France, réputée le pays du chômage des jeunes. Comme les jeunes Scandinaves participent bien plus que les jeunes Français au marché du travail, ces chiffres signifient même qu'une proportion plus forte de la jeunesse est touchée par le chômage en Europe scandinave qu'en France, et cela même si l'on retire de ces statistiques les étudiants à la recherche d'emploi.

    Même si le chômage de longue durée demeure contenu, les institutions ne semblent pas capables de tenir la promesse d'assurer une fluidité du marché du travail. Ces difficultés coïncident avec des déboires de l'industrie scandinave, entre la vente par Ford d'un Volvo affaibli à un constructeur chinois ou le retard de Nokia dans le virage des smartphones marqué par le succès des sociétés nord-américaines.

    La situation est tellement inquiétante en Suède que des experts étrangers - même des Français - sont mobilisés pour proposer des solutions en faveur des moins de 25 ans. De quoi interroger le sens des réformes menées en France depuis dix ans. Une interrogation qui pourrait animer les prochaines universités d'été ou autres journées parlementaires des grands partis politiques qui ont longtemps encensé le modèle scandinave.

    Philippe Askenazy

    Directeur de recherche au CNRS, Ecole d'économie de Paris


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