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La revanche pour le Sud
La revanche pour le Sud
Il ne se passe pas une semaine sans que l'actualité nous rappelle le basculement du monde en cours et la poussée subséquente des pays du Sud. A l'horizon 2020, le produit national brut (PNB) des sept plus grandes économies émergentes, baptisées " E7 ", devrait être supérieur à celui des pays du G7, actuellement les plus riches du monde. La percée n'est pas qu'économique. Le Sud est de plus en plus présent sur la scène internationale, où il fait entendre sa voix. Cette nouvelle réalité a bien été évoquée par le président brésilien Lula, qui a déclaré au lendemain du choix de son pays par le Comité pour l'organisation des Jeux olympiques en 2016 : " Comme nous avons été colonisés, nous avions une manie : être petit. Aujourd'hui, c'est fini ! C'est notre heure. "
Au-delà du constat, il convient de s'interroger sur la motivation profonde de ce réveil du Sud. Un de ses ressorts essentiels renvoie à l'idée de revanche. La revanche repose sur deux piliers : le désir de renouer les fils de l'histoire tranchés par la domination étrangère ; la volonté d'effacer l'empreinte coloniale, de laver les affronts subis.
La première occurrence est bien illustrée par l'exemple de grands pays " réémergents " tels que la Chine ou l'Inde qui cultivent le thème de la renaissance. Le but est de renouer avec le passé, de fermer une parenthèse marquée par deux siècles de domination de l'Occident. C'est le sens profond du " miracle asiatique ". Le fait que le défi de puissance que l'Asie adresse à l'Occident se situe sur le terrain de l'économie et de la technologie n'est pas anodin : il s'agit du coeur même de la supériorité occidentale. C'est l'occasion, en d'autres termes, de reprendre les armes de l'ancien adversaire pour les retourner contre lui, signe éclatant d'affranchissement que l'on peut aisément qualifier de revanche.
La deuxième dimension de la revanche renvoie au traumatisme colonial. L'intrusion étrangère, notamment par sa violence, a beaucoup marqué les pays du Sud, des premières colonisations du XVe siècle à l'impérialisme du XIXe siècle. Les peuples dominés n'ont pas oublié. Le Bolivien Evo Morales, premier président indien d'Amérique du Sud, doit ainsi beaucoup moins sa victoire historique à un parti ou un appareil politique qu'à quelque chose de beaucoup plus profond : " Une insurrection des consciences, des identités, des mémoires ancestrales " (Jean Ziegler). Dans la même veine, lorsque Nicolas Sarkozy, à l'occasion d'une visite à Alger, parle affaires au président Bouteflika, ce dernier rétorque : " La mémoire vient avant les affaires. "
Blessure coloniale
Les géants indien et chinois, notamment, n'ont certainement pas oublié les immixtions occidentales ainsi que leurs lots d'injustices et de répressions. Nul doute que la blessure coloniale soit devenue le moteur d'un désir de revanche. A sa façon, le général de Gaulle ne disait pas autre chose en confiant à l'un de ses proches, à propos des Algériens : " L'humiliation... n'oubliez pas l'humiliation... "
La revanche du Sud en cours pose enfin la question de la réaction des pays du Nord. Régulièrement, le Brésilien Lula se demande s'il est normal que son pays ait moins d'influence que la Belgique lors des votes au Fonds monétaire international (FMI). Malgré de bonnes paroles sans grandes conséquences et, au mieux, de timides initiatives, les pays occidentaux ont tendance à se raidir. Ils font la sourde oreille aux pays du Sud qui, forts de leurs succès économiques, demandent à être pleinement reconnus sur la scène internationale.
L'ancien ambassadeur de Singapour au Conseil de sécurité des Nations unies, Kishore Mahbubani, a bien pointé la contradiction : " Le XXIe siècle connaît un grave paradoxe : ce sont les nations les plus démocratiques au monde, les nations occidentales, qui font tout pour maintenir cet ordre mondial antidémocratique. Dans ces pays, jamais une minorité ne pourrait imposer des décisions à la majorité : c'est pourtant précisément ce que fait l'Occident à l'échelle mondiale ."
A l'heure du grand aggiornamento, l'Occident doit appendre à partager.
Philippe Marchesin
Maître de conférences à l'université de Paris
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