• Le patron le plus bête du monde ? Sylvain Cypel

    Lettre de Wall Street

    Le patron le plus bête du monde ?

     

                Thomas (Tom) Donohue est en passe de devenir l'un des hommes les plus haïs par les partisans du " changement " aux Etats-Unis. Cet apparatchik irlando-américain de 71 ans, qui a fait carrière dans des organismes patronaux, préside <st1:personname productid="la Chambre" w:st="on">la Chambre</st1:personname> de commerce des Etats-Unis. Il est le nouveau " Mister No ! " de l'Amérique, comme on appela en son temps Jesse Helms, l'inamovible sénateur ultraconservateur de Caroline du Nord. Avant de devenir chef autoproclamé du patronat américain - autoproclamé, car son organisme ressort plus du groupe de pression que du syndicat -, M. Donohue a présidé quatorze ans l'Association américaine des camionneurs. Un organisme qui se rendit célèbre, il y a plus d'un demi-siècle, par les affrontements sauvages qui l'opposèrent aux teamsters, les chauffeurs routiers, et à leur célèbre syndicat. Longtemps, les deux camps firent appel aux méthodes expéditives de clans mafieux, chacun pour tenter de s'imposer à l'autre. En 1975, le leader des teamsters, Jimmy Hoffa, a vraisemblablement fini dans un bac de ciment au fond de l'océan...

    On s'égare ? Pas vraiment. Entrepreneurs et syndicalistes américains ne s'affrontent plus qu'au cinéma, mais M. Donohue reste le digne héritier de ces inflexibles patrons qu'ont décrit Dos Passos et bien d'autres. L'homme est volontaire, hargneux même ; il est aussi convaincu, organisé et fonceur. En douze ans de présidence, il a transformé une vénérable association qui vivotait gentiment - elle vient de fêter ses 75 ans - en une machine à défendre " le droit des riches à s'enrichir plus encore sans entraves ", comme le décrit le bimestriel Mother Jones.

    On avait déjà évoqué, dans notre précédente " Lettre ", le rôle de cette Chambre américaine de commerce, mais sans présenter son patron. Depuis, le New York Times a consacré une pleine page à la publication de son portrait. Pour camper le personnage de Tom Donohue, le rédacteur commence par une anecdote : en 1990, quand il était président de l'Association des camionneurs, un de ses subordonnés avait soulevé la question de l'usage du jet privé mis à sa disposition. M. Donohue s'était tourné vers son chef de cabinet : de combien de places disposait son appareil ? Huit, avait répondu ce dernier. Alors, Donohue : " Demain matin, je veux que vous appeliez pour disposer d'un avion de 12 places. " Commentaire du quotidien : " Le sujet n'a plus jamais été évoqué. Et, à la chambre de commerce, M. Donohue dispose aussi d'un jet privé, en plus des 3 millions de dollars annuels. "

    Un homme de sa trempe mérite ses émoluments, estiment ses mandants. En un peu plus d'une décennie, il a doublé le nombre des entreprises adhérentes à la chambre (il en revendique 300 000) et quadruplé son budget. Il ne disposait que de deux lobbyistes à temps plein, ils sont désormais quatre-vingt-dix-huit, plus une centaine d'occasionnels. Les dépenses globales de lobbying sont passées de 20 millions à 90 millions de dollars en 2008. Avec les enjeux législatifs ouverts par l'élection de Barack Obama, ils auront explosé en 2009. Désormais, les représentants d'éminentes sociétés siègent à son board : d'AT&T, Xerox, Dow Chemical, FedEx, Pfizer... Ses obsessions sont partagées par nombre de ses ouailles. Non à la couverture-santé universelle, qui constituerait " un pistolet anticonstitutionnel et antiaméricain " pointé sur le coeur du pays, proclame un de ses adhérents. Non à la loi sur la lutte contre le réchauffement climatique, qualifiée d'attentat contre la " sécurité énergétique " des Etats-Unis, " un cauchemar " qui grèvera les bénéfices des entreprises. Non à la nouvelle politique fiscale, non à la régulation financière, non aux lois de protection des consommateurs.

    Mais M. Donohue indispose un nombre croissant d'entrepreneurs ou d'élus républicains qui aimeraient se départir de l'image archaïque qu'il donne des patrons américains. Ses adversaires lui reprochent d'être obstiné jusqu'à l'aveuglement par adhésion à une idéologie aujourd'hui battue en brèche. Ses propos outranciers et ses positions systématiquement hostiles à tout changement sur des questions sociétales à fortes implications économiques " marginalisent " la chambre et sont néfastes aux intérêts de long terme des entreprises, jugent-ils.

    D'ailleurs, certains membres à la contribution non négligeable ont fini par claquer la porte. Nike le premier, fin septembre. Et, depuis, Apple, Levi Strauss, mais aussi les sociétés de production d'énergie Exelon, Pacific Gaz & Electric et PNM Resources ou le gros papetier Mohawk, etc.

    Pis, des sections de sa propre organisation lui tournent le dos. Dernière en date : la chambre de commerce californienne. Le 15 novembre, elle a coupé les ponts avec la maison mère. M. Donohue " en est resté au XXe siècle. Nous devons jeter cette chambre de commerce à la poubelle ", a lancé Danny Kennedy, cofondateur d'une firme locale d'énergie solaire. " Ils ne me représentent pas ", avait déclaré peu avant Mark Jaffe, directeur de la chambre de commerce du Grand New York, évoquant une direction nationale " aux intérêts de paroisse ". M. Donohue qualifie ces défections de " négligeables ". Sur le journal en ligne Slate, l'ex-gouverneur démocrate de l'Etat de New York, Eliot Spitzer - qui, accusé de moeurs dissolues, dut abandonner son poste en mars 2008 et remonte aujourd'hui lentement à la surface médiatique - appelle à barrer la voie au président de " la chambre des horreurs ".

    Sylvain Cypel


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