• Le yuan, les Américains et nous

    Le yuan, les Américains et nous

     

    La Chambre des représentants est montée une fois de plus au créneau contre la sous-évaluation du yuan, accusée de déséquilibrer le commerce international, entre une Chine qui exporte trop et des Etats-Unis incapables de freiner leur consommation. Pour que la Chine change réellement de modèle de développement, une pression extérieure est probablement indispensable, notamment de l'Union européenne.

     

    Le 29 septembre dernier, la Chambre des représentants a adopté une loi autorisant le gouvernement américain à augmenter les droits de douane sur les produits chinois. Les élus américains ont en effet estimé que le taux de change du yuan était maintenu artificiellement bas par les autorités chinoises, ce qu'ils ont assimilé à une action de dumping. Ce vote marque une étape supplémentaire importante dans le bras de fer engagé depuis de longs mois déjà entre les Etats-Unis et la Chine, même si cette loi n'entrera pas en vigueur dans l'immédiat. Pour cela elle doit en effet encore être approuvée par le Sénat américain, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas avant les élections du 2 novembre prochain. Le déficit des échanges entre la Chine et l'Europe est devenu aussi important que celui entre les Etats-Unis et la Chine. Pourtant, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique, le silence des autorités européennes reste assourdissant sur cette question centrale pour le rétablissement des équilibres macroéconomiques mondiaux.

    Depuis trente ans la Chine s'est développée à une vitesse impressionnante. Et tant mieux si le cinquième de l'humanité réussit enfin à sortir de la misère et de la pauvreté. Cela nous pose bien sûr des problèmes supplémentaires pour l'accès à des ressources rares présentes sur Terre en quantité limitée comme le pétrole ou le gaz, que nous avions pris la mauvaise habitude de monopoliser à notre seul usage. L'accès progressif de 1,3 milliard de Chinois à notre mode de vie, implique également une aggravation sensible des atteintes à l'environnement compte tenu des gaspillages qu'il entraîne. Il n'y a cependant sur ce plan aucune raison de reprocher quoi que ce soit au peuple chinois ni à ses dirigeants, même si le développement de l'économie chinoise rend plus urgente encore l'obligation, où nous étions de toute façon, de transformer de fond en comble notre mode de vie au cours des prochaines décennies.

    Là où, en revanche, il est légitime de demander aux autorités chinoises de corriger le tir, c'est quand on constate que le développement de la production de l'empire du Milieu excède de plus en plus celui de la consommation chinoise. Ce qui se traduit par l'accumulation d'excédents extérieurs colossaux. Cet excès de production chinoise a en effet pour conséquence directe un recul de la production, et donc du chômage supplémentaire, dans les autres pays. Indirectement ces déséquilibres commerciaux ont aussi joué un rôle central dans la crise financière récente puisqu'ils sont la contrepartie en particulier de l'endettement croissant des ménages américains.

    Les autorités chinoises promettent depuis plusieurs années déjà de rééquilibrer leur modèle de croissance au profit du développement du marché intérieur. Et c'est aussi une aspiration de plus en plus nette du peuple chinois lui-même, qui constate qu'il ne profite pas autant qu'il le devrait de l'impressionnant développement de la production chinoise. Pourtant, ce rééquilibrage progresse très lentement. Le plan de relance mis en œuvre en Chine en 2009 l'a même plutôt fait régresser puisqu'il a surtout consisté à relancer les industries exportatrices chinoises. Et cette difficulté n'est pas surprenante. Les Américains doivent apprendre à consommer moins et à épargner plus, tandis que les Chinois doivent consommer plus et épargner moins. Le chemin que les Américains doivent parcourir semble beaucoup plus difficile à suivre que celui que les Chinois doivent emprunter. Mais cette impression est trompeuse : en Chine, le lobby des industriels exportateurs est aujourd'hui très puissant. C'est dans ce secteur que les caciques du Parti se sont reconvertis et sont devenus milliardaires. Ils n'ont aucun intérêt à laisser le yuan se réévaluer ni les salaires de leurs employés augmenter. Et ils ont aujourd'hui encore les moyens politiques de s'y opposer dans un pays qui reste une dictature dirigée par une oligarchie n‘ayant plus de communiste que le nom.

    Conclusion : pour que la Chine change réellement de modèle de développement, une pression extérieure est probablement indispensable. C'est elle qu'ont commencé à exercer les politiques américains. Une fois de plus, les responsables européens sont, en revanche, totalement absents de ce débat central pour l'avenir du monde : chaque dirigeant européen préfère faire, pour le compte des industriels de son pays, des risettes aux dirigeants chinois dans l'espoir de décrocher quelques contrats plutôt que de chercher à dégager une position commune au niveau de l'Union. Moyennant quoi, il n'est pas improbable que le bras de fer sino-américain se termine par un compromis sur le dos des Européens : la limitation progressive du déficit sino-américain étant compensée par une aggravation du déficit sino-européen… Un mouvement qu'on observe déjà ces dernières années.


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