• Les pays en développement peuvent-ils porter l’économie mondiale?

    Les pays en développement peuvent-ils porter l’économie mondiale?

    Dani Rodrik


     

    CAMBRIDGE – Aux premiers jours de la crise financière internationale, un certain optimisme voulait que les pays en développement seraient à même d’éviter le déclin qui a frappé les économies industrielles avancées. Après tout, cette fois-ci, ce ne sont pas eux qui se sont ferrés dans des excès financiers, et leurs fondamentaux économiques semblaient plutôt bons. Mais ces espoirs furent anéantis au fur et à mesure de l’assèchement des prêts internationaux et de l’effondrement des échanges commerciaux, entrainant les pays en développement dans la même spirale que celle des pays industrialisés.

    Mais la finance globale et le commerce international ont ressuscité, et nous entendons aujourd’hui une version plus encourageante de ce scénario. Une croissance forte est aujourd’hui envisagée pour les pays en développement, indépendamment de la morosité qui accable à nouveau l’Europe et les Etats-Unis. Plus étonnant : beaucoup s’attendent à ce que les pays en développement deviennent les moteurs de la croissance de l’économie globale. Otaviano Canuto, vice président de la Banque Mondiale, et ses collaborateurs viennent de produire une longue étude qui vient appuyer ce diagnostique optimiste.

    Bien des raisons montrent que cet optimisme n’est pas déraisonnable. La plupart des pays en développement ont fait le ménage dans leurs maisons financière et budgétaire et ne sont pas lourdement endettées. Leur gouvernance profite généralement de l’amélioration du processus décisionnaire politique. Les possibilités offertes par les transferts de technologie par participation aux réseaux de production internationaux sont plus importantes que jamais.

    En outre, la croissante lente des économies avancées n’entraine pas obligatoirement un enlisement de la performance des pays en développement. La croissance à long terme ne dépend pas de la demande étrangère, mais plutôt de l’offre intérieure. Leur croissance rapide soutenue résulte du fait que les pays pauvres tentent de rattraper les niveaux de productivité des pays riches – et non de la croissance des pays riches à proprement parler. Pour la plupart des pays en développement, cet « écart de convergence » est plus large aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis les années 70. Le potentiel de croissance est donc proportionnellement plus important.

    Mais c’est ici que s’arrête la bonne nouvelle. Une croissance soutenue nécessite une stratégie de croissance, et la plupart des pays en développement n’en ont pas encore une qui puisse irrévocablement les mettre sur la voie de la convergence économique.

    Dans trop de ces pays, la croissance économique des vingt dernières années reposait sur une combinaison de deux facteurs : un rebond naturel des crises financières précédentes (comme en Amérique Latine) ou des conflits politiques ou des guerres civiles (comme en Afrique), et des prix des marchandises élevés. L’évolution productive dont ces pays ont besoin ne peut se fonder sur aucun de ces deux facteurs.

    En l’espèce, le modèle de croissance de l’Amérique Latine depuis vingt ans est intéressant. La concurrence internationale a donné un vrai coup de fouet à de nombreuses industries de la région et permis de générer des gains substantiels de productivité dans les secteurs de pointe ; mais ces gains sont restés cantonnés à un segment étroit de l’économie.

    Pire encore, la force de travail a été déplacés des activités marchandes productives (dans le secteur manufacturier) vers des activités informelles moins productives (les services). Dans les plupart des pays de l’Amérique Latine, les changements structurels ont ralenti, plutôt qu’encouragé, la croissance économique.

    Les pays asiatiques, pour leur part, ont préféré soutenir les secteurs modernes et marchands de leurs économies. Ils ont donc, pour la plupart, éviter ce mal et mieux réussi. Mais le modèle asiatique pourrait luis aussi avoir atteint ses limites.

    La Chine, en particulier, doit prendre acte du fait que le reste du monde ne lui permettra pas de conserver indéfiniment son excédent commercial. Une monnaie sous-évaluée, qui lui permet de subventionner ses industries manufacturières, est l’une des clés du moteur de croissance économique de la Chine depuis dix ans. Une revalorisation significative du renminbi réduirait ou même éliminerait cette subvention de croissance.

    Au-delà des perspectives de croissance des pays en développement se pose une question plus profonde. Une économie mondiale dans laquelle les pays en développement pèsent considérablement plus lourd peut-elle générer le type de gouvernance capable de soutenir un environnement économique accueillant ? Les économies des pays émergeants n’ont pas encore démontré le genre d’aptitudes globales à diriger qui permettrait de répondre à cette question par l’affirmative.

    Les institutions globales de notre époque – le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce – sont encore largement des créations américaine de la fin de la deuxième guerre mondiale (bien qu’elles aient bien sur toutes subi de profonds changements depuis leur création). Ces institutions reflétaient les intérêts américains mais elles codifiaient aussi certaines normes de comportement – processus décisionnaire basé sur des règles, non discrimination, multilatéralisme, transparence – qui ont aussi fini par entraver le pouvoir américain.

    Des pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du sud, cependant, ont pour l’instant montré peu d’intérêt dans la construction de régimes globaux, préférant jouer les resquilleurs. Jorge Castañeda, ancien ministre mexicain des affaires étrangères, va même plus loin lorsqu’il affirme que ces pays se sont systématiquement opposés aux règles globales dans divers domaines, du changement climatique au commerce international.  

    Sans être trop dur avec les pays en développement, cependant, il faut rappeler que les politologues se sont longtemps inquiétés du fait qu’une diffusion plus large de la puissance économique pourrait déstabiliser l’économie mondiale. Un glissement significatif du centre de gravité économique du monde vers les économies en développement ne pourra être un processus fluide – ni même bénin.

    Nous pouvons être certains de deux choses : d’une part, la réussite ne sourira qu’aux seuls pays qui adopteront des stratégies de croissance qui encourageront des changements structurels intérieurs ; et l’énigme de la gouvernance globale – comment gérer une économie globale devenue indisciplinée – deviendra très certainement plus complexe.

    Dani Rodrik enseigne la politique économique à la John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard et a écrit : One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth (Une économie, plusieurs recettes : globalisation, institutions et croissance économique, ndt).

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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