• Ni coupables ni responsables

    Ni coupables ni responsables

     

    Le procès devait s'ouvrir en Californie le 20 octobre : il n'aura pas lieu. Quatre jours avant, les avocats d'Angelo Mozilo, ex-PDG de Countrywide, numéro un américain du prêt hypothécaire subprime qui a sombré dans la banqueroute en 2008, sont parvenus à un accord avec le procureur et le plaignant. Accusé par la Securities and Exchange Commission (SEC, contrôleur des marchés boursiers américains) de fraudes en tout genre, M. Mozilo, 71 ans et désormais beaucoup de cheveux blancs, s'est engagé à verser 87,5 millions de dollars (62,6 millions d'euros) : la plus grosse amende individuelle de l'histoire du capitalisme américain. Il est aussi interdit à vie de diriger une société cotée. Il ne sortira de sa poche que 67,5 millions ; les 20 supplémentaires seront gracieusement payés par Bank of America (BofA), le repreneur de Countrywide, comme son contrat de départ le stipulait. Durant son passage à la tête de cette caisse de crédit (2001-2008), Angelo a personnellement engrangé 521,5 millions de dollars d'émoluments.

    Le 17 avril 2007, évoquant les prêts subprimes, il écrivait à son président, David Sambol : " De ma vie, je n'ai jamais vu un produit financier aussi toxique. " Non seulement il continua d'en faire la crème de son activité, mais il assurait alors ses actionnaires que les titres subprimes étaient un excellent placement. Et il poussait ses agents à " fourguer " ces emprunts à gogo. Countrywide était champion du " No Doc Loans ", le prêt sans justificatif. N'importe qui y entrait et ressortait avec un chèque de 300 000 dollars. Le jour où il ne pouvait plus rembourser, la banque gardait la somme reçue, lui saisissait sa maison et la revendait 50 % plus cher, vu la hausse de l'immobilier. Du gâteau...

    Bref, celui que beaucoup désignaient comme l'archétype de la " culture de la cupidité " ne connaîtra jamais la couche sans sommier d'une cellule de prison. Il n'est pas le seul à s'en sortir. Pour tout dire, c'est même la règle générale. Cela étonne de plus en plus de commentateurs. Car lorsque la crise des subprimes a généré cette incroyable débâcle financière, nombre d'experts pronostiquaient que, pour certains, l'affaire se terminerait forcément devant un juge. Or rien de tel n'est advenu. C'est une des nouveautés de la crise actuelle. Contrairement à celle des " obligations pourries " des années 1980, qui vit leurs promoteurs, Michael Milken et Ivan Boesky, envoyés pour des années au cachot, contrairement aux années 2000, qui virent le PDG d'Enron, Kenneth Lay, malgré sa proximité avec George Bush, être traîné devant le tribunal et condamné, cette fois, personne n'est jugé : pas de " coupables " ni même de responsables.

    Tout se règle derrière des portes closes. Ainsi, Goldman Sachs a régularisé sa situation en versant 550 millions de dollars d'amende. A comparer aux 13,1 milliards de dollars que " LA " banque a mis de côté à ce jour pour les bonus de fin d'année de ses cadres méritants. Quant à Citigroup (45 milliards de dollars de trou), une juge a soldé ses fautes pour 75 millions de dollars d'amende. Aucune poursuite individuelle n'est envisagée contre aucun de ses dirigeants. Dans le New York Times, le chroniqueur Frank Rich se désespère : " L'administration Obama semble dénuée de gène procédural. " Sans procès, sans figures humaines pour incarner la " cupidité ", impossible de mener à bien un travail pédagogique vis-à-vis du public. Les motifs et les mécanismes de la crise restent abstraits, désincarnés. Résultat : l'opinion a le sentiment que Barack Obama protège les rapaces, et les Tea Parties s'en délectent. En laissant s'installer une culture de l'impunité, la Maison Blanche a ouvert un boulevard à la droite la plus extrême.

    Rich est le " gauchiste de service " du quotidien new-yorkais. Ses colères n'étonnent personne. La chose est bien plus grave pour Barack Obama lorsqu'un Jonathan Weil, columnist de l'agence économique et financière Bloomberg, poursuit la même idée. Larry Summers, principal conseiller économique de M. Obama, partant vers une nouvelle destinée, les deux noms les plus cités pour le remplacer ont été Richard Parsons, président non opérationnel de la banque Citigroup, et Anne Mulcahy, ex-PDG de la société Xerox. Dans sa chronique du 30 septembre, Weil rappelait que leur passé ne plaidait pas pour leur bonne gestion : tous deux étaient au conseil d'administration de Fannie Mae et de Citigroup quand ces deux organismes financiers ont connu des pertes abyssales.

    Aussi proposait-il au président, pour le poste de conseiller économique en chef de la Maison Blanche, de choisir plutôt Dick Fuld, l'homme qui a enterré Lehman après y avoir engrangé près de 1 milliard de dollars de revenus personnels. Ou encore Jim Caine, l'ex-patron de Bear Stearns, ou Stan O'Neal, le boss de Merryl Lynch parti en 2007 avec 161,5 millions de dollars de " prime ". Lors des semaines fatidiques du troisième trimestre 2007, avant d'être débarqué pour avoir perdu en trois mois 8,4 milliards de dollars sur les seuls titres subprimes, M. O'Neal avait trouvé le temps de jouer vingt parcours de golf. En quatrième position sur la liste de Jonathan Weil, venait Angelo Mozilo.

    Qu'une telle chronique soit publiée par Bloomberg en dit long sur le degré d'exaspération dont bénéficient les " vrais responsables " de la crise et celui dont on estime, à tort ou à raison, qu'il leur accorde une impunité très imméritée.

    Sylvain Cypel


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