• Nouvelles alliances

    Nouvelles alliances

     

    Quand Jeroo Billimoria, chercheuse au Tata Institute of Social Sciences de Bombay, lança en 1993 son programme pour permettre aux enfants des rues d'être mis en relation, à partir d'une cabine téléphonique, avec des associations d'aide, elle n'imaginait pas que, en une dizaine d'années, son projet, Childline, passerait de l'échelle d'une ville à celle d'une centaine de pays dans le monde.

    En examinant de plus près le projet de Jeroo Billimoria, on se rend compte que cette réussite tient à deux raisons majeures : la force de son innovation et sa capacité à faire connaître son idée à d'autres organisations, qui l'ont ensuite dupliquée.

    Contrairement à une idée reçue, augmenter l'impact ne passe pas nécessairement par un changement d'échelle de l'organisation initiatrice, mais par une stratégie d'alliances fondée sur la volonté de partager son innovation.

    C'est là une grande différence avec le " monde des affaires " : les entrepreneurs sociaux ne cherchent pas à s'accaparer un marché, mais à rendre leurs idées visibles et lisibles, et à permettre la reprise de leurs concepts le plus largement possible. Plus ils sont imités, plus ils considèrent avoir réussi !

    Au sein d'Ashoka, nous travaillons au renforcement des projets de nos 3 000 " fellows " (entrepreneurs sociaux innovants sélectionnés par Ashoka), comme Jeroo, mais aussi et surtout au partage de savoir-faire, à l'exportation ou à l'importation d'innovations sociales. Pourquoi réinventer la roue lorsque vous pouvez répliquer un modèle qui marche ?

    Les entrepreneurs sociaux ont longtemps recherché leurs alliés dans leur propre secteur, au sein d'organisations à but non lucratif, présentant les mêmes caractéristiques et valeurs qu'eux. Une alliance naturelle et rassurante.

    Mais, en raison de la fragmentation du secteur, du manque critique de moyens, ce type d'alliance s'est révélé insuffisant pour faire face à la complexité et à l'immensité des enjeux planétaires.

    la chronique d'Arnaud Mourot

    Parallèlement, avec l'essor du concept de responsabilité sociale d'entreprise notamment, certaines sociétés ont commencé à s'interroger sur le rôle social qu'elles pouvaient jouer dans leur écosystème, et à engager quelques actions, non sans difficulté car elles manquaient souvent de réflexes et de légitimité dans un domaine nouveau pour elles.

    Il y a donc lieu, à l'intersection de ces deux mondes, d'imaginer des alliances d'un nouveau type. Des coopérations aux formes multiples entre entrepreneurs sociaux et entreprises privées, non plus nécessairement selon une logique verticale de mécénat, mais selon une logique de création de valeur en commun, ou de chaîne de valeur hybride.

    Ashoka travaille depuis des années à favoriser ces nouvelles alliances, initialement dans une logique de " base de la pyramide " (donner accès à des produits de base aux plus démunis) dans les pays du Sud, et désormais de plus en plus dans les pays du Nord, dans les domaines du logement, de l'agriculture, du recyclage ou de la santé.

    Gains de productivité

    Il est encore trop tôt pour connaître l'impact réel de ces nouveaux modes de coopération ; mais on observe déjà que la mise en commun de moyens humains et financiers, de savoir-faire et de technologies du côté des entreprises, et d'innovation sociale, de réseaux locaux et d'un " capital confiance " du côté des entrepreneurs sociaux, permettent des gains de productivité et d'impact très significatifs.

    Bien sûr, cela suppose une volonté de travailler avec des gens qui ne vous ressemblent pas, de créer un climat de confiance, d'accepter les risques (et les reproches !) inhérents à cette approche. Pour autant, les premiers acteurs qui relèveront ce défi auront un avantage à l'avenir, tant en termes de mobilisation de leurs équipes que de découvertes d'opportunités de développement jusque-là inaccessibles en raison de leur mode de fonctionnement et de pensée traditionnels.

    Accélérer le changement social au niveau mondial est donc d'abord une question d'innovation et d'alliances nouvelles, avant d'être un débat technique et de définition des frontières de l'entrepreneuriat social. C'est une histoire de femmes et d'hommes prêts à inventer de nouveaux modèles. Qu'ils travaillent pour une organisation non gouvernementale (ONG), une entreprise, une administration ou le monde académique, qu'ils soient entrepreneurs ou intrapreneurs (promoteurs d'innovation au sein d'une société), l'important est qu'ils aient tous compris qu'ils pouvaient être acteurs de changement.

    Nicolas Arnaud Mourot (Ashoka)

    Arnaud Mourot est directeur général d'Ashoka France, Belgique et Suisse (www.ashoka.fr).


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