• Plus d'impôt, moins de dette : la nouvelle recette du Japon

    Plus d'impôt, moins de dette : la nouvelle recette du Japon

    Tokyo veut adopter pour les dix prochaines années une stratégie de croissance en rupture avec le passé
    Tokyo Correspondance
     

     

    L'économie du Japon est un peu à l'image de l'équipe nationale de football en Coupe du monde : personne ou presque ne l'attendait aussi brillante. Du coup, une ambiance grisante s'est emparée de l'Archipel ; elle rappelle celle vécue par la France championne du monde en 1998. Les maillots de l'équipe nationale et les produits à l'effigie des joueurs s'arrachent, les voyages vers l'Afrique du Sud connaissent un véritable boom. Dans les convenience stores, les magasins de proximité, il n'est pas rare d'être servi par des vendeurs vêtus du maillot de la formation nationale. Bref, le pays voit la vie en bleu.

    Cette euphorie fait écho aux bons chiffres de l'économie, qui elle aussi surprend. Le 28 juin, Tokyo a annoncé une hausse des ventes au détail - la cinquième mensuelle consécutive - de 2,8 % en mai et sur un an. Et le " tankan ", l'indice de confiance des entrepreneurs, est attendu en progression pour le cinquième trimestre consécutif. Cela alors que la croissance a atteint 4,9 % en glissement annuel au premier trimestre.

    Fort de ces bons chiffres, le gouvernement juge que l'économie est désormais " en redressement ". Il a annoncé une révision à la hausse de ses perspectives de croissance pour l'exercice 2010. Elle pourrait atteindre 2,6 %, contre 1,4 % attendu précédemment. Il s'est aussi réjoui de la décision chinoise d'assouplir sa politique de change. Même modeste, l'appréciation du yuan est perçue positivement. Les groupes nippons qui exportent vers la Chine en profiteront.

    Ces points positifs méritent pourtant d'être nuancés. Le 29 juin, Tokyo a annoncé plusieurs chiffres négatifs pour le mois de mai : une production industrielle en recul de 0,1 %, un taux de chômage en hausse de 0,1 point à 5,2 % et une baisse des dépenses des ménages de 0,7 %. Le tout alors que les revenus des foyers ont fléchi de 2,4 % sur un an et que la déflation persiste.

    Pour les observateurs, la tendance reflète l'essoufflement de l'impact des mesures gouvernementales de soutien à la consommation. " La forte progression du produit intérieur brut (PIB) observée au premier trimestre a bénéficié de la demande externe et des plans de relance ", rappelle Seiji Shiraishi, économiste de HSBC Securities. Elle montre aussi que la demande externe peine à bénéficier aux foyers japonais.

    Réserves

    Plus généralement, cela témoigne de la difficulté du gouvernement de faire de la consommation des ménages un véritable levier de croissance. Même la mise en place de l'allocation mensuelle pour les familles avec enfant de moins de 15 ans ne semble pas y contribuer. Nombre de bénéficiaires, qui ont commencé à la percevoir début juin, préfèrent l'épargner et sa création s'est accompagnée de la disparition d'aides similaires fournies par les collectivités locales.

    A cela s'ajoutent les inquiétudes persistantes sur l'économie mondiale, dont la reprise reste fragile, et sur la crise en zone euro. Même si elle n'attire " que " 12 % des exportations japonaises, celle-ci est importante pour l'Archipel. " Pour l'instant, note Atsushi Nakajima, chef économiste à l'institut Mizuho, les problèmes de l'Europe ne se voient que sur les marchés. Mais, peu à peu, la décélération de la croissance va être de plus en plus apparente. " La chute de l'euro, que certains voient passer sous les 100 yens, contre 110 aujourd'hui, inquiète aussi les sociétés exportatrices.

    C'est donc avec réserve que les observateurs ont accueilli, le 18 juin, l'annonce de la stratégie de croissance du gouvernement pour les dix prochaines années. Ses objectifs : sortir avant mars 2012 de la déflation et porter la croissance annuelle réelle à plus de 2 % grâce à des investissements dans l'environnement, les soins à la personne, les infrastructures ou le tourisme.

    Beaucoup s'interrogent sur le financement de ces mesures, alors que la dette du pays atteint quelque 200 % du PIB. Un problème récurrent que Tokyo veut traiter. Le premier ministre, Naoto Kan, a inscrit le principe d'une hausse de la taxe sur la consommation dans son programme de campagne pour les sénatoriales du 11 juillet.

    Un geste courageux, mais qui paraît, par certains aspects, contradictoire avec les objectifs de redistribution de la richesse que s'est assignés le gouvernement. " Le Japon a longtemps tiré sa force de sa large classe moyenne, mais l'écart de revenu a grandi et de nombreuses personnes ont été laissées derrière, a souligné Yoshihiko Noda, le nouveau ministre des finances, dans un entretien au Wall Street Journal. Restaurer la classe moyenne est la clé pour reconstruire la force du Japon. " Pour cela, il faudra plus qu'un bon parcours en Coupe du monde.

    Philippe Mesmer


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