• Pourquoi cibler les grandes banques ?

    Pourquoi cibler les grandes banques ?

    Avinash Persaud


     

    LONDRES  – Il semblait qu’un nouveau modèle de gouvernance globale avait été forgé dans l’incandescence de la crise financière. Mais maintenant que les choses se sont calmées, différentes perspectives sur la régulation bancaire se font jour de part et d’autre de l’Atlantique.

    L’Europe se concentre sur la régulation des marchés financiers avec l’objectif de modérer les crises futures. Les erreurs de crédit, dit-on, se font en période d’effervescence, non lors d’un krach. De meilleurs règlementations et politiques monétaires pendant les années d’effervescence pourraient donc minimiser l’ampleur de n’importe quel effondrement.

    Aux Etats-Unis, par contre, il s’agit de trouver des moyens qui, tout en restant favorables au marché, permettraient de limiter les débordements générés par les faillites bancaires. Le débat politique aux Etats-Unis se concentre principalement sur comment faire en sorte que les banques ne soient jamais trop grandes pour échouer ; que les investisseurs privés, plutôt que les contribuables, soient ceux qui détiennent un capital libérable et convertissable en actions en cas d’un krach ; et que le fonctionnement des marchés hors cotes soit amélioré par une plus grande dépendance sur un système d’échange, de compensation et d’accords centralisés.

    Le principal point de convergence entre les approches européenne et américaine concerne les grandes banques. Cette convergence a moins à voir avec la régulation sur la taille ou la fonction des banques qu’avec le besoin commun de jouer sur la scène politique et d’augmenter les revenus fiscaux.

    Les bilans des banques sont toujours dangereux lorsqu’ils sont gonflés avec des effets de levier et c’est bien ce problème que les mesures de régulation ou les mesures budgétaires devraient adresser par la mise en place de réserves de liquidités et de ratios d’endettement. Car après tout, le problème n’est pas tant la taille des banques que l’effet de contagion des crises financières. Aucune liste d’institutions considérées trop grandes pour échouer établies en 2006 n’aurait inclue Northern Rock, Bradford & Bingley, IKB, Bear Sterns, ou même Lehman Brothers.

    Les banques prêtent aux banques ; donc, tandis que certaines sont peut-être plus illiquides que d’autres, elles sont toutes intrinsèquement des institutions illiquides. De petites faillites peuvent engendrer de grandes paniques ce qui veut dire que dans le cadre d’une crise, elles sont presque toutes trop grandes pour échouer. La réalité est que nous pourrions effectivement connaître un boum financier suivi d’un effondrement de l’ampleur de celui que nous venons de traverser, provoquant un enfer économique de même envergure, dans un monde uniquement constitué de petites banques.

    Ils sont nombreux à être convaincus que le fait que les banquiers estiment que leurs institutions sont trop grandes pour échouer, et que leurs emplois sont protégés, les encouragent à sous-estimer les risques qu’ils prennent. Mais si la plupart des banquiers raisonnaient ainsi, ils continueraient de s’inquiéter de leur épargne. En d’autres termes, ils ne se s’emmitoufleraient pas dans les actions de leurs entreprises et dans les produits à effet de levier qu’ils ont commercialisé.

    C’est pourtant bien ce qu’ils ont fait. Ce que les banques et les banquiers ont démontré par leur attitude est qu’ils n’ont pas plus prêter non pas parce qu’ils pensaient pouvoir s’en tirer à bon compte, mais parce qu’ils pensaient que c’était sûr. Ils ont été plus stupides que malveillants.

    Ce qui a principalement motivé les excès de crédits et de leviers est une vision erronée du risque très largement répandue. Les institutions les plus risquées n’étaient pas les plus grandes : des sociétés comme J.P. Morgan et HSBC se sont avérées plus sûres que certaines autres, et aucune des deux n’a eu besoin de recourir aux aides gouvernementales. Celles qui sont tombées étaient relativement petites, comme IKB, Bear Sterns, et consorts.

    Les grandes banques sont d’avis que la régulation devrait se focaliser moins sur la taille des banques que sur les risques qu’elles engendrent, et donc préférer une approche de « sensibilité au risque » – et le fait qu’elles gèrent des opérations et des bases de données parmi les plus risquées n’est pas la moindre des raisons, et une régulation basée sur la sensibilité au risque est plus onéreuse pour leurs concurrents plus petits. Mais cette approche se base sur un raisonnement tout à fait erroné : si les boums sont alimentés par une sous-estimation des risques, et si la régulation se concentre sur une approche d’estimation de ces risques, les boums seront plus grands et les chutes plus sévères.

    Un meilleur argument pour limiter la taille des banques est l’influence excessive des grandes banques sur la politique. L’objectif des législateurs devrait donc être de définir un système de régulation qui rendrait le système financier moins, et non plus, sensible aux erreurs d’estimation des risques par les marchés. Il y a deux manières de parvenir à cela.

    La première est de déterminer si cette erreur est corrélée à un cycle boum-effondrement. Les boums ont tous les mêmes caractéristiques – une forte croissance des bilans des banques et du crédit, et donc une augmentation de l’endettement. Ces tendances impliquent une probabilité croissante de sous-estimation des risques par les marchés, donc les régulateurs du risque systémique devraient augmenter les minima de capitaux propres dès qu’ils les perçoivent.

    Les exigences de capitaux contre-cycliques s’accordent avec cette idée et un éventail d’indicateurs pourraient permettre d’étalonner l’augmentation des minima de capitaux, mais avec peut-être une certaine discrétion. De nombreuses raisons permettent d’expliquer pourquoi le marché ne parvient pas à corriger les erreurs systémiques ; l’une d’elle étant que les boums sont toujours fondés sur la conviction des régulateurs comme celle des banques, que « cette fois-ci, c’est différent. » Souvenons-nous des études parues dans les rapports de stabilité des banques centrales sur le fait que le secteur financier a grandement bénéficié des dérivés de crédit.

    La deuxième manière de réduire la sensibilité du système financier aux erreurs d’estimations des risques est de limiter le flux des risques vers les institutions grâce à un moyen structurel plutôt que statistique de contenir ces risques. De cette manière, nous aurons moins de soucis lorsque ceux qui modélisent ces risques se tromperont.

    Le risque de crédit est mieux couvert par une diversification de crédits décorrélés. Le risque de liquidité est mieux couvert par une diversification dans le temps. Le risque du marché est mieux couvert par une combinaison de diversification des actifs et du temps pour décider du bon moment pour vendre. Par le passé, les risques avec volatilité de magnitudes statistiques similaires étaient considérés plus fongibles, et pouvaient circuler vers ceux préparés à les assumer.

    Mais alors que les banques avec un financement à court terme et de nombreuses branches proposant des prêts ont une réelle propension à développer des risques de crédit, elles ne comportent pas réellement de risque sur le marché, et moins encore de risque de liquidité. Les sociétés d’assurances et les fonds de pension, par contre, sont peu sujets aux risques de crédit, mais bien plus aux risques de liquidité et de marché.

    La conclusion pour les régulateurs est simple : la disposition au risque est liée à la maturité du financement, et non au qualificatif dont l’institution est affublée.

     

    Avinash Persaud, président de Intelligence Capital Limited et professeur Emeritus au Gresham College de Londres, a dirigé le sous-comité de la régulation de la Commission sur la réforme financière des Nations Unies.

    Copyright: Project Syndicate/Europe’s World, 2010.
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    www.europesworld.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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