• Puisque la crise est structurelle,un autre modèle de croissance s’impose

    Puisque la crise est structurelle,un autre modèle de croissance s’impose
    Rénover l’expertise publique et privée afin de redresser l’économie du pays

    Nous avons passé les six derniers mois à écouter des débats stériles pour savoir si nous étions confrontés à une reprise franche, à une reprise molle ou à une rechute. En début d'année, les analystes regardaient avec optimisme la forte croissance aux Etats-Unis et les signes d'accélération de l'Allemagne, et évoquaient le risque d'inflation ; aujourd'hui ils se concentrent sur le freinage de la croissance américaine et le risque de déflation. Ceci illustre la confusion qui est faite entre un cycle économique normal et la crise que nous vivons, c'est-à-dire un certain nombre de dérèglements fondamentaux de l'économie mondiale.

    En réalité, certaines évolutions sont du domaine du prévisible. La crise est loin d'être finie, comme le montrent l'insolvabilité des ménages aux Etats-Unis, en Espagne, la poursuite du désendettement, la taille des déficits publics, le niveau du chômage, et cela implique que le scénario le plus probable est celui d'une croissance molle durable dans les pays de l'OCDE.

    Mais sortir de cette croissance molle imposerait d'être capables de résoudre un certain nombre de problèmes structurels graves - le surendettement des ménages et des Etats, la recherche de rendements anormalement élevés du capital, les transferts massifs d'activités et des capacités de production des pays de l'OCDE vers les pays émergents - et d'éviter les dangers liés aux faux remèdes qui ont été mis en place - l'expansion non maîtrisée des liquidités à l'échelle mondiale, conduisant à la volatilité dramatique des prix des matières premières, et à des flux de capitaux déraisonnables vers les pays émergents.

    Il va donc falloir passer de ces faux remèdes (déficits publics, expansion monétaire), adaptés à un problème cyclique et non à une situation de crise structurelle, à de vrais remèdes qui traitent les causes de la crise structurelle : comment recréer des emplois dans les pays de l'OCDE malgré les délocalisations, comment reconstituer l'épargne dans les pays où elle est insuffisante, en premier lieu les Etats-Unis, comment permettre au système bancaire et financier de se reconcentrer sur son activité essentielle de financement de l'économie, comment sortir de politiques économiques qui pour l'instant sont essentiellement dirigées par la très forte aversion pour le risque, comment stabiliser davantage les flux de capitaux, les taux de change... ?

    Il ne faut pas non plus nier que ces questions se posent dans un environnement économique où, si les grandes tendances tracées ci-dessus sont assez probables, beaucoup d'incertitudes subsistent : quel effet sur la croissance de la réduction des déficits publics ? Combien de temps encore durera le désendettement ? Jusqu'où ira la déformation du partage des revenus au détriment des salariés ?

    Mais cette incertitude n'empêche pas d'identifier ce que sont les défis et ce que sont les pistes de réforme. Concentrons-nous sur le cas de la France.

    La situation de la France est emblématique des difficultés rencontrées par les pays de l'OCDE, car la France est, parmi les grands pays industrialisés, celui qui a le plus régressé sur le plan industriel : de la fin des années 1990 à aujourd'hui, la production industrielle a reculé de 10 %, l'emploi industriel de 20 % ; la part de marché de la France dans le commerce mondial est passée de 6,5 % à 3,7 %, le nombre d'entreprises exportatrices de 110 000 à 91 000 (contre 245 000 en Allemagne et 200 000 en Italie) ; la balance commerciale de la France, sur cette période, passe d'un excédent de 1 % du produit intérieur brut à un déficit de 3 % du PIB.

    On connaît la multiplicité des causes probables de cette situation, qui n'ont pas été traitées par les politiques économiques successives depuis trente ans : faiblesse de l'investissement, de l'appareil d'enseignement supérieur, non-intégration des jeunes, ensemble de contraintes (fiscales, financières, réglementaires) empêchant les petites et moyennes entreprises de grandir, de prendre des risques, de développer les innovations.

    A-t-on maintenant la capacité de rebondir, et quels sont les leviers que l'on peut mettre en oeuvre de manière à recréer un environnement de croissance ? Peut-on mobiliser des montants très importants d'épargne (peut-être 150 ou 200 milliards d'euros sur les cinq prochaines années) de manière à reconstituer un socle d'investissements et d'activités porteur de croissance, de création d'emplois raisonnablement qualifiés ? Quelles sont les autres réformes profondes nécessaires ? La difficulté est d'abord l'urgence, et aussi l'insuffisance de l'expertise publique ou privée qui nous permettrait de définir précisément un programme de redressement, d'où la faiblesse de nos débats. Donnons quelques exemples des points sur lesquels il faudrait avoir une expertise convaincante pour diriger les décisions et bâtir des politiques économiques efficaces.

    Connaît-on les impacts de tous les éléments de réforme et de remise à plat du système fiscal : quels sont les vrais degrés de mobilité internationale du capital, de la main-d'oeuvre qualifiée, ce qui conditionne la possibilité de modifier la fiscalité des revenus du capital, des revenus des ménages ? Quelle est la véritable efficacité des incitations au travail (fiscalité des heures supplémentaires, taux marginal d'impôt sur le revenu), à l'épargne de long terme, à l'épargne dans les entreprises innovantes ? Connaît-on tous les impacts du vieillissement démographique, non seulement sur les systèmes de retraite et de santé, mais aussi sur les nouvelles demandes, l'urbanisme, la localisation de l'habitat ? Sait-on vraiment ce que pèsent les différentes explications possibles, citées plus haut, de la trop faible taille des PME françaises ?

    Si on fait semblant de savoir, et que le débat est simpliste, si on ne sait pas où il faut mener les analyses et la réflexion pour éclairer les décisions importantes, alors les politiques économiques de redressement échoueront.

    Patrick Artus

    Directeur de recherche de Natixis

    Jean-Hervé Lorenzi

    Président du Cercle des économistes


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