• Quand l’Ecureuil se rêve en patron de presse

    Quand l’Ecureuil se rêve en patron de presse

    Par  Laurent Mauduit

    • ·  Du « conduit Sémillon » à « l'opération Bingo », nous avons croisé au sein du groupe des Caisses d'épargne beaucoup de projets confidentiels, affublés de mystérieux noms de code. Voilà donc qu'il va nous falloir nous familiariser, maintenant, avec un autre projet secret, connu des seuls membres du directoire de l'établissement, sous un nom tout aussi intriguant : « le projet Titien ». Un projet qui a finalement échoué mais qui est révélateur d'une tentation ancienne de la banque de prendre pied dans un métier qui n'est pas le sien, celui de la presse. Et qui est révélateur aussi des grandes manœuvres financières, plus généralement, dont la presse peut parfois être l'objet.
     

    De cet intérêt pour la presse, il existe de nombreuses traces, dont nous nous sommes fait à plusieurs reprises l'écho, sur Mediapart. On sait ainsi – nous l'avions pointé dans l'un des articles visés par les plaintes des Caisses d'épargne – que, depuis le début des années 2000, la banque a multiplié les aides aux journaux qui lui demandaient des subsides. A la demande du ministre des finances, Laurent Fabius, elle a aidé à la recapitalisation de L'Humanité : le 15 mai 2001, les Caisses d'épargne ont participé à la création de <st1:personname productid="la Société Humanité" w:st="on">la Société Humanité investissements pluralisme, aux côtés de Hachette (groupe Lagardère) et de TF1, laquelle société commune est entrée au capital du journal communiste à hauteur de 20%. </st1:personname>

     

    Dans le même mouvement, l'Ecureuil a apporté aussi des subsides à <st1:personname productid="La Croix. Dans" w:st="on">La Croix. Dans</st1:personname> le cas du journal Le Monde, Charles Milhaud s'est encore plus investi. Disposant depuis plusieurs années d'un conseiller secret, en la personne d'Alain Minc, à l'époque président du conseil de surveillance du journal, le patron de l'Ecureuil a accepté de venir au secours du groupe de presse, en 2003-2004, en souscrivant aux obligations renouvelables en actions (ORA) émises par le groupe de presse à hauteur de 5 millions d'euros. Mais ne désirant pas que cela se sache, il avait organisé un système de portage, de sorte que ces ORA soient en réalité logées au sein de <st1:personname productid="la Scor" w:st="on">la Scor</st1:personname>, la compagnie de réassurance dirigée par l'ancien numéro deux du Medef, Denis Kessler.

     

    Puis, en 2006, Jean-Marie Colombani, à l'époque président du directoire du Monde, avait de nouveau cherché à obtenir l'appui financier des Caisses d'épargne et de Charles Milhaud, dans le cadre d'un projet (qui a finalement échoué) de rapprochement entre les groupes des journaux du sud de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> du groupe Le Monde et du groupe Lagadère. C'est à cette époque qu'une première enquête sur les Caisses d'épargne que j'avais écrite avait été censurée en certains passages (on en retrouvera le récit sur ce billet de blog), ce qui m'avait conduit à quitter le quotidien.

     

    Après toutes ces péripéties, ce sont donc à de nouvelles aventures dans la presse que se sont préparées les Caisses d'épargne, avec ce mystérieur « projet Titien », qui a toujours été tenu soigneusement secret. Il est pourtant digne d'intérêt : c'était un projet qui visait à racheter le quotidien économique <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname> à Bernard Arnault, à l'époque où ce dernier voulait vite s'en débarrasser pour pouvoir racheter le quotidien Les Echos.

     

    A l'époque, c'est-à-dire dans le courant de l'année 2007, divers candidats se sont mis sur les rangs pour racheter <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname> parce qu'il se disait dans le tout-Paris que Bernard Arnault, pressé de croquer Les Echos, offrait des conditions très avantageuses à un éventuel repreneur. Face à Alain Weill, patron du groupe NextradioTV (RMC, BFM...), qui finalement l'emportera, une offre s'est ainsi fait connaître, unissant Fabrice Larue (l'ex-PDG de DI Group, regroupant dans le passé les actifs de presse de Bernard Arnault), la compagnie financière Viel & Cie, et la société italienne Class Editori.

    Assez peu connue en France, cette société Class Editori, qui est spécialisée en partie dans l'information financière, en partie dans l'édition, s'était déjà distinguée, dans le passé, en entrant (très modestement) au capital du journal Le Monde, du temps de Jean-Marie Colombani. Quand Le Monde, en 2005, procède à une augmentation de capital, pour faire entrer le groupe Lagardère et le groupe espagnol Prisa, un autre investisseur fait en effet discrètement, à cette époque, son entrée au capital. La somme qu'il apporte est très faible (à l'époque 0,71% du capital) mais l'identité de l'investisseur n'en retient pas moins l'attention : il s'agit de Paolo Panerai, le patron (assez controversé dans son pays) du groupe Class Editori, l'une des deux personnalités italiennes, avec Diego Della Valle (le patron des chaussure Todd's), entretenant des relations amicales avec Jean-Marie Colombani.

     

    Dans ce projet de rachat de <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname> qui se prépare à la mi-2007, il y avait cependant un point qui à l'époque n'avait pas été connu dans le détail: c'est que les Caisses d'épargne y étaient associées – ce qui, si le projet avait abouti, aurait posé un problème de conflit d'intérêts encore plus grave que l'achat des Echos par Bernard Arnault. Et ce sont les Caisses d'épargne qui ont trouvé le nom de code : le « projet Titien ». Si Fabrice Larue se lance à l'époque dans l'aventure, c'est qu'il vient tout juste, au mois de juillet précédent, de créer un fonds d'investissement dans les médias, baptisé FLCP (pour « Fabrice Larue Capital Partners »), dont il contrôle 65% du capital, le reste étant la propriété – nous y voici – des Caisses d'épargne!

     

    Lors d'une séance, le 1er octobre 2007, le directoire de <st1:personname productid="la Caisse" w:st="on">la Caisse</st1:personname> nationale des Caisses d'épargne (CNCE) a ainsi examiné confidentiellement le projet. C'est le directeur financier, Julien Carmona, qui, en séance, l'a présenté. Il a expliqué à ses collègues qu'une offre de rachat du quotidien <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname> était envisagée par l'intermédiaire d'une holding détenue par trois partenaires, à hauteur chacun de 33,3 % : Class Editori, le groupe Viel, ainsi que FLCP.

     

    Le projet était, de fait, alléchant. Comme Bernard Arnault était très désireux de vendre <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname> au plus vite, il était disposé à en payer le prix... aux éventuels acquéreurs. Devant le directoire des Caisses d'épargne, Julien Carmona a donc expliqué que le montant du capital à constituer pour la reprise de la holding était seulement de 1 million d'euros. « Cela constitue le seul engagement demandé aux trois partenaires ; les 75 millions d'euros supplémentaires, nécessaires pour réaliser l'opération, étant apportés par l'actionnaire cédant, le Groupe LVMH. Les engagements du cédant portent également sur la couverture du plan de licenciement», a-t-il expliqué.

     

    Devant ses collègues médusés du directoire, Julien Carmona a donc fait les comptes : <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> étant actionnaire à 35 % de FLCP, sa quote-part au financement de l'opération ne s'élèverait qu'à 116.760 euros. Autant dire, pour les Caisses d'épargne, une broutille...

     

    Le débat du directoire porte alors sur le risque d'un éventuel non redressement des équilibres du quotidien <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname>, à horizon de trois ans. Mais les inquiétudes sont vite balayées. En cas d'échec, une solution de repli devrait être trouvée avant la fin de l'année 3, conviennent-ils. En conséquence, le directoire autorise ce jour-là l'apport, par <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname>, de 116.760 euros à FLCP pour financer le rachat de <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname>, étant entendu que cette somme pourra, le cas échéant, être prélevée sur la trésorerie existante de FLCP.

    Assez vite, pourtant, le projet Titien tourne court, car lors d'une nouvelle séance du directoire, le lundi 12 novembre suivant, la question est à nouveau à l'ordre du jour. C'est le directeur général, Nicolas Mérindol, ce jour-là, qui prend la parole. Il informe ses collègues de l'échec de l'offre de rachat, « le prix proposé n'étant pas en ligne avec les offres concurrentes ». Comme l'opération ne coûte quasiment rien aux acquéreurs, et qu'elle est d'abord à la charge du vendeur, cette dernière formule prête à sourire. Elle suggère que le grand mérite d'Alain Weill a été de ne demander que... 48 millions d'euros à Bernard Arnault pour le délester de <st1:personname productid="La Tribune" w:st="on">La Tribune</st1:personname>, quand l'Ecureuil rêvait de ces 75 millions d'euros.

     

    Mais si ce projet est enterré, les ambitions des Caisses d'épargne demeurent. Le directeur général profite en effet de l'occasion, ce jour-là, pour préciser « les différentes voies stratégiques » envisagées pour favoriser la réalisation d'opérations dans la presse et les médias. Et Nicolas Mérindol ajoute un codicille qui souligne bien la détermination de la banque et que l'assistance a retenu parce qu'il n'était guère aimable pour l'associé des Caisses d'épargne dans FLCP: des opérations seront étudiées, en « prenant appui ou non sur l'expertise de Fabrice Larue ».

     

    Le directeur général de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> présente alors un premier dispositif possible, celui d'un fonds d'investissement à créer. Ce fonds, dit-il, pourrait être rechargeable au fur et à mesure des opérations réalisées, avec l'allocation d'une ligne à déterminer sur une durée à préciser permettant une intervention rapide et une complète délégation au comité d'investissement de la banque pour toute opportunité d'un montant inférieur à une certaine limite par opération, par exemple 15 millions d'euros. Un deuxième dispositif est ensuite évoqué, portant sur la création d'une structure ad hoc appelée à porter des participations dans le secteur des médias, s'appuyant « le cas échéant » sur l'expertise de Fabrice Larue. Enfin, la troisième voie est celle de partenariats avec de grands acteurs du monde des médias (Hersant, Lagardère...)

     

    Tout cela, c'est donc désormais de l'histoire ancienne. Avec l'éviction de Charles Milhaud, qui présidait ces séances du directoire, et celle de Nicolas Mérindol, qui le secondait, une page s'est tournée. Mais, depuis l'arrivée de François Pérol, le dossier des médias est-il refermé ? C'est à voir...

     

    Comme Mediapart l'a déjà relevé, les Caisses d'épargne, via une filiale marseillaise dénommée Viveris Management (qu'elles contrôlent à 60%), spécialisée dans les investissements dans les PME grâce à la défiscalisation de l'impôt sur la fortune, viennent de participer à hauteur de 1,5 million d'euros à une augmentation du capital de Slate.fr, le site de Jean-Marie Colombani et de Jacques Attali, lequel Jean-Marie Colombani (tout comme Alain Minc) a longtemps entretenu des liens de grande proximité avec Charles Milhaud. De son côté, Fabrice Larue a récemment annoncé que la société qu'il contrôle en association avec les Caisses d'épargne, FLCP, avait l'intention d'investir près de « 400 millions d'euros dans les médias et la communication ».

    Business, as usual...

    En sept volets, nos nouvelles révélations sur l'Ecureuil 

     

    Lien vers Médiapart : Ecureuil se reve en patron  


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