• Quelques règles à l’attention d’une superpuissance fauchée

    Quelques règles à l’attention d’une superpuissance fauchée

    Michael Mandelbaum

     


     

    WASHINGTON – La politique étrangère américaine va devoir se serrer la ceinture. Les dépenses croissantes induites par l’explosion de la dette nationale, associées aux coûts astronomiques des plans de retraite et de Medicare, compte tenu de l’arrivée à la retraite des 78 millions de baby-boomers, va grever les moyens financiers des initiatives américaines à l’étranger.

    Comme je l’explique dans mon nouveau livre The Frugal Superpower: America’s Global Leadership in a Cash-Strapped Era, le poids que ces obligations vont imposer aux Américains – sous la forme d’une fiscalité plus élevée et de la perte de certains avantages – va affaiblir le soutien de l’opinion publique envers le rôle international expansif que les Etats-Unis assument depuis la deuxième guerre mondiale.

    Cela va changer le monde et pas forcément en mieux. La politique étrangère américaine, même avec ses travers, a permis de fixer une certaine stabilité politique à travers le monde. Comment alors l’Amérique devrait-elle adapter son action à l’étranger afin de minimiser ce que sa situation diminuée pourrait causer comme dégâts à la sécurité globale ? Voici trois règles pour une superpuissance fauchée.

    Règle I: Plus de soutien à la construction des états

    Au cours des deux premiers mandats présidentiels de la guerre froide, les Etats-Unis ont mené des interventions militaires en Somalie, en Haïti, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Les motifs de ces interventions pouvaient différer mais ils ont tous conduits les efforts américains vers la reconstitution (nation-building) de gouvernements capables de fonctionner qui se sont avérés longs et frustrants. Les institutions en question ne peuvent être bâties rapidement ni livrées clé en main depuis l’étranger. Pour cette raison, entre autres, l’entreprise n’a pas vraiment eu les faveurs de l’opinion publique américaine.

    Ce soutien à la reconstitution des états, outre sa difficulté et son impopularité, a aussi un autre défaut : son coût. Le gouvernement américain n’aura plus les moyens d’investir des centaines de milliards de dollars (le coût de la seule guerre d’Irak devrait atteindre le trillion de dollars) pour tenter de livrer un gouvernement décent aux autres peuples. De plus, de tels projets constituent une bien plus petite contribution à la sécurité et au bien-être américains et globaux que ne le font d’autres dossiers de la politique étrangère américaine – des politiques auxquelles les Etats-Unis devraient consacrer tous leurs efforts.

    Règle II: Se concentrer sur les éléphants

    “Ne courrez pas derrière les lapins,” dit-on “parce que si vous courrez derrière les lapins, les éléphants vous tueront.” La Somalie, Haïti, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, et même l’Irak sont à mettre dans la catégorie des lapins – des distractions par rapport à ce sur quoi la politique étrangère américaine devrait se concentrer. Les équivalents fonctionnels des éléphants sont l’Europe, L’Asie de l’est, et le Moyen Orient. Ces trois régions sont les plus importantes du monde et la présence militaire américaine joue un rôle constructif dans chacune d’elle.

    Dans les deux premières régions, les Américains assurent à chacun des pays qu’il n’y aura pas de changement soudain dans l’équilibre des pouvoirs susceptibles de les menacer. En Europe, l’Allemagne peut être confiante dans le fait que les Etats-Unis vont aider à contenir l’agressivité de la Russie tandis que la Russie sait que l’Allemagne restera liée, et donc contrainte, par les Etats-Unis. En Asie de l’est, la présence des forces navales et aériennes américaines permet de garder un oil sur la Chine mais permet aussi de servir l’un des intérêts stratégiques de la Chine en empêchant le Japon de mener une politique militaire indépendante.

    Le maintien dans ces deux régions d’une forme de présence militaire américaine, quelle qu’en soit la forme, sera nécessaire pour préserver la paix. Le retrait total des Américains pourrait générer des suspicions, une course à l’armement, et dans le pire des cas, des conflits entre les pays de l’Europe et de l’Asie.

    Au Moyen-Orient, les Etats-Unis s’opposent à l’Iran, dont l’objectif est d’étendre son pouvoir par tous les moyens à sa disposition, de forcer les gouvernements des pays voisins à démissionner en faveur de forces idéologiquement sympathisantes, et, à terme, d’évincer les Etats-Unis de la région. Les armes nucléaires rendent la menace posée par le régime iranien d’autant plus lourde. En effet, contenir l’Iran tout en contrecarrant ses ambitions nucléaires est l’unique urgence prioritaire pour la superpuissance américaine aujourd’hui fauchée.

    Règle III: Augmenter les taxes pétrolières

    La quête de l’Iran pour dominer le Moyen-Orient menace le monde parce que la région produit une très grande part du pétrole dont l’économie globale dépend. Si le monde utilisait moins de pétrole, l’Iran constituerait une moindre menace parce que ses dirigeant radicaux dépendent de ces revenus pétroliers pour acheter le soutien national et poursuivre leurs objectifs régionaux.  

    Diminuer les revenus pétroliers en utilisant moins de pétrole affaiblirait aussi les autres fauteurs de troubles internationaux, actuels et potentiels – Hugo Chávez au Venezuela, par exemple, et Vladimir Poutine en Russie. En outre, une part de l’argent que le monde verse pour le pétrole de l’Arabie Saoudite se retrouve dans les caisses des organisations terroristes.

    Aucune mesure ne contribuerait plus à faire de ce monde un espace moins dangereux qu’une diminution substantielle de la consommation de pétrole. Et aucune autre mesure ne contribuerait autant à réduire la consommation de pétrole qu’une très forte augmentation des taxes sur l’essence dans le pays qui est le plus gros consommateur au monde de cette matière : les Etats-Unis. Si les Américains devaient payer plus pour leur essence, ils en utiliseraient moins. Un prix de l’essence fort permettrait à des sources énergétiques alternatives comme l’éthanol et à des moyens de transports alternatifs comme les voitures électriques de devenir commercialement viables.

    Rien de tout cela ne sera immédiat. Les Américains vont devoir dans un premier temps faire de modestes sacrifices économiques en payant leur essence plus cher. De tels sacrifices, cependant, seraient fort utiles. Ils permettraient de garantir que, même en période de contraction de la politique étrangère américaine, le monde continuerait de profiter des plus importants bénéfices de la politique étrangère expansive que les Etats-Unis ne peuvent plus se permettre.

    Michael Mandelbaum enseigne la politique étrangère américaine à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de l’Université Johns Hopkins et est l’auteur de  The Frugal Superpower: America’s Global Leadership in a Cash-Strapped Era.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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