• Qui dérègle l'économie mondiale ? suite

    L'" hyperpuissance " américaine piégée par ses " hyperdéséquilibres "

     

    C'était à Bretton Woods, en 1944, lors de la conférence qui posa les bases du système économique de l'après-guerre : face aux déséquilibres macroéconomiques mondiaux, l'économiste britannique John Maynard Keynes promouvait un mécanisme contraignant pour réduire, au choix, les excédents ou les déficits des pays. Las, les Etats-Unis, " hyperpuissance " en devenir, s'opposèrent alors à l'adoption de telles mesures. Mais aujourd'hui, ces mêmes Etats-Unis, fragilisés par des " hyperdéséquilibres ", militent pour un tel encadrement.

    Car le déficit de la balance courante américaine atteint des proportions abyssales : il devrait s'élever à 466,5 milliards de dollars (336,5 milliards d'euros) en 2010, selon le Fonds monétaire international (FMI), soit 3,2 % du produit intérieur brut (PIB). Et atteindre ainsi l'équivalent des excédents à la fois de la Chine (267 milliards) et de l'Allemagne (200 milliards). En 2015, selon le FMI, le déficit des comptes courants pourrait atteindre 601,7 milliards de dollars.

    Concurrence chinoise Un trou grandement nourri par l'arrivée massive sur le territoire américain, ces dernières années, de biens d'équipement chinois fabriqués en Chine : alors que le déficit commercial mensuel avec l'empire du Milieu était de 6 milliards à 7 milliards de dollars au début des années 2000, il atteint 25 milliards aujourd'hui.

    Washington s'est longtemps accommodé de cette situation. Car, en échange, il a trouvé en Pékin le meilleur partenaire possible pour financer ses déficits publics galopants - la dette publique américaine devrait atteindre 92,7 % du PIB, en 2010. En clair : vous nous vendez vos tee-shirts, et vous achetez nos T-Bonds (les bons du Trésor à 30 ans). Une situation d'autant moins problématique que la consommation des ménages - boostée par les prix bas des produits importés et les faibles taux d'intérêt - a longtemps " nourri " les deux tiers de la croissance américaine. Mais la crise a profondément modifié les habitudes : le taux d'épargne des ménages est passé de 2 % des revenus, en 2007, à 6 % aujourd'hui.

    Désormais confronté à une croissance flasque et à un taux de chômage " européen " (9,6 % des actifs et même 17,6 % en incluant les travailleurs à temps partiel et ceux qui ont renoncé à chercher à un emploi), Washington doit explorer de nouvelles voies.

    Et notamment ne plus seulement miser sur les services et sa consommation intérieure en tablant davantage sur l'industrie. D'où ses élans répétés contre la sous-valorisation du yuan, afin de mieux faire face à la concurrence chinoise.

    Clément Lacombe

    Pékin préfère le statu quo à un changement de modèle risqué


    Pour Pékin, les sommets économiques internationaux se suivent et se ressemblent. La Chine est le vilain petit canard accusé de maintenir artificiellement sa monnaie à un niveau trop faible. On lui reproche de soutenir ses exportations au détriment de celles de ses partenaires commerciaux, dont les Etats-Unis, et des emplois qui en dépendent, par l'intervention de sa banque centrale. Et, chaque fois, les dirigeants chinois argumentent ainsi : les causes des maux des industries occidentales sont plutôt à chercher du côté de leur propre manque de compétitivité et le yuan remontera, mais laissons-lui le temps.

    Afin de s'assurer de sa stabilité, le cours du yuan sur les marchés de change est adossé à celui du dollar et est maintenu très bas depuis le début du ralentissement économique mondial. La Banque populaire de Chine définit quotidiennement un cours pivot, autour duquel sa monnaie ne peut varier que dans une bande de 0,5 %. Le Fonds monétaire international estime que le change du yuan est bien en dessous de son niveau naturel.

    Une semaine avant le sommet du G20 de Toronto, en juin, les banquiers centraux chinois avaient annoncé leur intention de poursuivre la réforme du mécanisme de change du renminbi, autre nom du yuan, et de le laisser s'apprécier, afin peut-être de limiter les critiques. Mais les grands changements se font toujours attendre : le billet rouge ne s'est apprécié que de 2,5 % face au billet vert depuis l'été, donnant un peu plus de grain à moudre aux politiciens américains.

    " Guerre des monnaies "

    C'est que les choix des dirigeants chinois sont limités, même si les commentateurs et les leaders du Parti communiste ne cessent de répéter que ce modèle a vécu et qu'il faut " rééquilibrer " la deuxième économie de la planète. La solution est bien connue : réorienter l'économie vers la consommation intérieure. Pour cela, laisser le yuan grimper, améliorer les salaires pour permettre aux Chinois de dépenser, et surtout augmenter des taux d'intérêt qui permettaient jusqu'à présent de transférer l'épargne des ménages vers l'endettement des usines exportatrices ou des promoteurs immobiliers.

    Mais la remise en cause du modèle de croissance qui fait le succès de l'économie chinoise depuis trois décennies inquiète. " Une partie des politiciens et des conseillers à Pékin appelle de ses voeux la réévaluation du renminbi dans le cadre du rééquilibrage de l'économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l'université de Pékin. Mais d'une part, ils se heurtent à l'opposition des exportateurs et des entreprises publiques et, d'autre part, ils reconnaissent que cela ne peut pas se faire trop vite. " Le risque est d'assister à une baisse des commandes et donc à une hausse du chômage, à une chute de la consommation, et à la montée d'un mécontentement politique.

    Maintenir le statu quo est donc tentant, tout en essayant de détourner l'attention. Le vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, s'est attaqué, lundi 8 novembre, aux Etats-Unis, accusés de faire tourner la planche à billets. Il a promis que la décision de la Réserve fédérale d'injecter 600 milliards de dollars (433 milliards d'euros) pour revitaliser une " économie léthargique " fera l'objet de " discussions candides " lors du sommet du G20 de Séoul. En parallèle, le quotidien destiné aux lecteurs étrangers, China Daily, fustigeait, mardi, dans un éditorial, la politique monétaire de Washington et ses " conséquences inconnues ".

    Les accusations d'utilisation de l'arme monétaire ne sont donc plus l'apanage des Occidentaux. La Chine entend retourner l'argument à bon compte, relève Zhang Jun, directeur du Centre chinois d'études économiques de l'université de Fudan à Shanghaï.

    " D'une certaine manière, le débat sur la guerre des monnaies est favorable à la Chine, explique le professeur Zhang, car si chacun reproche à l'autre de déprécier volontairement sa monnaie, elle se sentira un peu moins seule à subir les pressions. "

    Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

    L'euro souffre de l'attentisme de la BCE


    Il y a six mois, en pleine crise grecque, l'euro était donné pour mort. Depuis, à quelques dérapages près, la monnaie unique n'a cessé de s'apprécier. Elle a pris 18 % face au billet vert et s'échange désormais autour de 1,40 dollar. Cette vigueur ne reflète pourtant en rien la santé économique d'un Vieux Continent promis à une croissance molle en 2011.

    Dans les faits, l'euro semble être devenu la " variable d'ajustement " d'un marché des changes soumis à de fortes tensions. Prise dans un billard à plusieurs bandes, la Banque centrale européenne (BCE) est comme impuissante. " Que peut-elle faire pour influer sur le cours de l'euro ? Rien ", confirme Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs à Paris. Essentiellement attachée à la stabilité des prix, l'autorité monétaire n'a pas de mandat pour intervenir sur le marché des changes. Elle ne l'a d'ailleurs fait qu'une fois, en 2000, quand l'euro avait atteint son plus bas niveau historique.

    Articles de foi Alors que les déclarations guerrières se multiplient, au Brésil ou en Chine, Jean-Claude Trichet reste de marbre. Le patron de la BCE est muet sur le niveau de la monnaie unique. Muet également sur l'initiative de la Réserve fédérale américaine de reprendre ses achats d'emprunts d'Etat, quand bien même cela perturbe le système monétaire international. " Je n'ai aucune raison de penser que la Réserve fédérale et le secrétaire au trésor poursuivent une stratégie du dollar faible ", a affirmé M. Trichet, le 4 novembre.

    " La BCE veut rester conciliante à l'égard de la Fed, explique Mme Valla, car elle pourrait un jour avoir besoin d'une attitude coopérative de la part des autres banques centrales, si par exemple le dollar venait à glisser trop vite. "

    Aucun expert n'imagine que M. Trichet sorte de sa réserve, à moins que l'euro atteigne 1,55, voire 1,60 dollar. Le banquier central obéit à deux articles de foi : primo, le vrai problème n'est pas tant le niveau des taux de change que leur volatilité excessive. Secundo, le cours des devises doit être déterminé par les forces du marché, non par des interventions, et refléter les fondamentaux économiques.

    " Rien de cela n'est critiquable mais le problème, c'est que la BCE est en ce moment la seule institution monétaire à se tenir à ces principes ", note Bruno Cavalier, chez Oddo Securities. Selon l'économiste, " on peut regretter que M. Trichet manque un peu d'opportunisme, lui qui aime à dire "Je suis M. Euro" ".

    Marie de Vergès


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