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Réforme des retraites, les fausses évidences
Réforme des retraites, les fausses évidences
Repousser l'âge légal de la retraite va-t-il permettre d'allonger la durée de la vie active ? En France, cette affirmation, qui semble aller de soi, pourrait bien être une fausse évidence. Pourtant elle est répétée à l'envi par tous les responsables du gouvernement pour justifier la réforme.
Dans notre pays, en effet, l'âge de liquidation de la retraite, dont il est uniquement question avec les reports prévus à 62 ans et 67 ans, est nettement déconnecté de l'âge effectif de sortie du marché du travail. L'âge médian de sortie du marché du travail stagne à 58 ans depuis 2003 (58,9 ans en 2010), alors que l'âge moyen de liquidation de la retraite a progressé sur la même période et se situe à 61,6 ans.
Ainsi 40 % des personnes qui font valoir leur droit à la retraite ne sont déjà plus en activité. Durant les deux ans et demi qui les séparent de l'entrée dans le système de retraite, elles sont prises en charge par l'Assurance-chômage ou des minima sociaux en attendant de pouvoir liquider leur retraite. On peut donc s'interroger sur les bénéfices financiers d'une réforme qui consiste à transférer pour partie les coûts du système de retraite vers d'autres dépenses sociales.
Ce constat remet en question l'assimilation qui est faite par le gouvernement entre âges légaux de la retraite et âge de sortie du marché du travail. Or, l'équilibre financier du système de retraite repose avant tout sur la capacité que la réforme envisagée aura de retarder l'âge effectif de sortie d'activité. Car allonger la vie active procure un double dividende en matière de financement des retraites puisque, simultanément, le nombre de cotisants actifs est majoré alors que diminue d'autant le nombre de pensionnés.
On est donc conduit à émettre des doutes sérieux sur la pertinence des paramètres retenus par le gouvernement. Quant aux finalités de la réforme, elles constituent une évidence assez largement partagée, tant dans le pays qu'au niveau européen. L'objectif adopté par le Conseil européen de Stockholm en 2001 d'atteindre au moins le minimum de 50 % de la tranche d'âge des 55-65 ans en emploi en 2010 n'avait pas d'autre visée que de préparer les pays membres au vieillissement de leurs populations tant au niveau de leur compétitivité que de l'équilibre des comptes sociaux.
Seniors, le retard français
Hélas, la réforme des retraites de 2003 ainsi que le Plan d'emploi senior de 2006 n'ont pas permis à la France d'accomplir des progrès significatifs en ce domaine : notre pays reste en queue de peloton. Le taux d'emploi des 55-64 ans stagne à 39 % en 2010, contre 48 % pour la moyenne de l'Europe. Depuis 1996, on enregistre une progression de seulement 30 % de ce taux contre + 64 % pour la Finlande et + 84 % aux Pays-Bas. Le taux d'emploi des 60-64 ans ne dépasse pas 17 %, contre 39 % pour la moyenne européenne.
Contrairement à ce qui est affirmé, le principal retard français ne réside donc pas dans des âges d'ouverture des droits à retraite, qui seraient les plus bas d'Europe. Ainsi la réforme des retraites adoptée en Finlande en 2005 a maintenu à 60 ans l'âge plancher d'ouverture des droits. La Suède l'a fixé à 61 ans, alors que 70 % des Suédois sont encore en activité entre 55 et 65 ans. Ces deux pays ont opté pour une retraite choisie à partir d'un âge plancher d'ouverture des droits et mis en oeuvre des mécanismes pour inciter à la prolongation d'activité de type " surcote ". Ils ont supprimé tout âge légal standard de la retraite.
Le retard français tient, en premier lieu, à un âge effectif de sortie du marché du travail extrêmement précoce et notablement inférieur à l'âge d'ouverture du droit à retraite. Cette réalité persistante apporte la preuve que les freins à l'emploi ne sont pas principalement d'ordre légal. Ils relèvent de politiques de formation, du travail et de l'emploi inadaptées au contexte du vieillissement de la main-d'oeuvre. Il serait donc urgent de permettre aux seniors de durer en emploi en rendant le travail soutenable, et de convaincre les entreprises que les seniors peuvent être autre chose qu'une variable d'ajustement de leur masse salariale.
Une autre réforme des retraites est possible et souhaitable qui ne demeurerait pas confinée aux paramètres d'âge d'ouverture des droits mais s'attacherait aussi à lever les freins à la prolongation de l'activité des seniors dans notre pays. La seule réforme efficiente est celle qui avance sur ses deux jambes : emploi et retraite.
La réforme adoptée en l'état pourrait bien déboucher, contrairement à ce qui est annoncé, à l'extension d'une période de précarité en fin de vie active, comparable à celle réservée aux jeunes en début de vie de active, au lieu d'aboutir à un allongement de la durée de la vie de travail.
Anne-Marie Guillemard
Sociologue,auteur des " Défis du vieillissement ", Armand Colin, 360 p., 33,40 euros
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