• Surévalué, l’euro?

    Surévalué, l’euro?

    Martin Feldstein

    CAMBRIDGE – A Paris ou à Berlin, les prix ne laissent pas de surprendre le touriste américain. Aujourd’hui, le taux de change est au désavantage du touriste, et une chambre d’hôtel, un simple repas ou une chemise pour homme, sont plus chers dans ces villes qu’à New York ou à Chicago. Il faudrait, pour que ces biens et services coûtent le même prix qu’aux Etats-Unis, que l’euro cède autour de 15%, à 1,10 dollar l’euro environ.

    Sur la base de cette arithmétique, on a tôt fait de conclure que l’euro est surévalué et que la baisse amorcée en décembre par cette monnaie va sûrement s’accentuer, mais ces conclusions seraient erronées. Certaines perspectives indiquent plutôt que l’euro va certainement repasser à 1,60 dollar, son niveau de 2008.

    Trois raisons expliquent les écarts d’appréciation de notre touriste. Première raison, les prix qu’il peut voir sont généralement augmentés du montant de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), appliquée partout en Europe et inexistante aux Etats-Unis. Ôtez le taux de la TVA – ordinairement de 15% ou davantage – et vous retrouvez les prix américains.

    Deuxième raison, les biens et services qu’achète le touriste ne sont qu’une part infime de l’assortiment de biens et services qui s’échangent au niveau international. La gamme des biens exportés par l’Europe comprend les équipements, les produits chimiques et une infinité de produits qu’un consommateur n’achète pas directement. Pour être en mesure de savoir si ces prix sont “trop élevés” par rapport au cours du change du moment, il faut se pencher sur la balance commerciale.

    L’Allemagne, premier exportateur européen, enregistre, au niveau mondial, un excédent commercial record. Pour les acheteurs étrangers, l’attractivité de son exportation par rapport au cours du change est telle, qu’en 2009, ce pays a pris la deuxième place du classement des exportateurs mondiaux (après la Chine). L’excédent de ses exportations sur ses importations au cours des douze derniers mois, avoisine les 200 milliards de dollars et équivaut à près de 6% de son PIB. Et dans l’éventualité d’une forte appréciation de l’euro par rapport à sa valeur actuelle, la solidité des exportations nettes allemandes ne risque pas de se démentir.

    Au cours du change d’aujourd’hui, les autres pays de la zone euro sont loin d’avoir la compétitivité de l’Allemagne. Tout de même, l’ensemble de la zone euro a enregistré, pour la période des douze derniers mois, un excédent commercial de plus de 30 milliards. Et avec un euro très bas par rapport à bien d’autres monnaies sur l’année écoulée, la balance commerciale européenne peut encore progresser dans les mois qui viennent. Pour limiter cette progression, l’euro doit remonter.

    Ce qui m’amène à la troisième raison, la plus décisive du point de vue d’un renforcement considérable de l’euro par rapport à son niveau actuel: la conjoncture économique mondiale exige de la zone euro qu’elle accuse un vrai déficit de ses comptes courants, afin qu’elle devienne un grand importateur net de fonds en provenance du reste du monde.

    Deux facteurs interviennent ici. Primo, les pays producteurs de pétrole et la Chine continueront à exporter plus largement qu’ils n’importent. Ils chercheront à investir leurs bénéfices étrangers nets sur les places financières étrangères. Une grande part de ces investissements ira sûrement s’écouler vers les Etats-Unis, mais les pays excédentaires voudront diversifier l’investissement de ces nouveaux gains sur l’exportation nette, et la zone euro est la seule, en dehors des Etats-Unis, à pouvoir leur offrir un marché de capitaux à la hauteur de tels investissements.

    La zone euro ne pourra cependant multiplier les influx de capitaux étrangers que si ses comptes courants sont déficitaires, c’est à dire si ses importations augmentent par rapport à ses exportations. Et cela demande un euro moins compétitif – plus élevé par rapport au dollar et aux autres monnaies. L’arrivée dans la zone euro des bénéfices nets des exportateurs, de pétrole ou autre, va faire monter la valeur de l’euro et favoriser les transferts de fonds.

    Secundo, les pays détenteurs de masses énormes de réserves en dollar se déferont d’une bonne part de ces réserves pour des euros. La tendance des Banques centrales d’Asie et du Moyen-Orient à garder intactes leurs réserves en dollar – tendance motivée par le besoin qu’elles avaient de réserves d’une grande convertibilité pour parer à d’éventuels déficits – n’a plus de raison d’être. Leurs fonds de roulement, en tant que réserves d’urgence, dépassent largement le niveau requis.

    La Corée du Sud et Taiwan, par exemple, détiennent respectivement 250 milliards de dollars de réserves de change, tandis que celles de la Chine s’élèvent à plus de 2000 milliards de dollars. Dotés de fonds de roulement très conséquents, ces pays, ainsi que d’autres, entreprennent une diversification de leurs avoirs de réserve sur des titres libellés en euros. Ils illustrent une tendance appelée à durer et nécessairement synonyme d’une hausse de l’euro face au dollar.

    Alors chaque fois que je serai amené à voyager en Europe, je continuerai sans doute à me plaindre des prix, tout en gardant à l’esprit que les prix qui comptent pour le commerce sont plus compétitifs que ceux que je vois en réglant la note d’un déjeuner. Et je sais également que les pressions complémentaires, destinées à pousser l’Europe à importer des fonds, et à engager les pays excédentaires à diversifier les placements de leurs avoirs de réserve, contribueront à rendre les voyages en Europe plus chers en termes de dollars.

    Martin Feldstein, a professor of economics at Harvard, was Chairman of President Ronald Reagan's Council of Economic Advisors and President of the National Bureau for Economic Research

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Michelle Flamand
    For a podcast of this commentary in English, please use this link:


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :