• " Taxons les activités bancaires les plus risquées pour le secteur financier "Thomas Philippon

     

     

    ENTRETIEN

    A la suite des derniers rebondissements sur les scandales des bonus dans les banques, tout juste sauvées de la crise, Christine Lagarde, la ministre de l'économie, a décidé de convoquer, lundi 24 août, les dirigeants de banques françaises et des autorités de tutelle (Commission bancaire, Banque de France) pour mettre au point des règles destinées à faire cesser " la course à l'échalote aux bonus ". Ces propositions seront à l'ordre du jour d'une deuxième réunion qui se tiendra le lendemain à l'Elysée.

    Thomas Philippon, professeur à l'université de New York et coauteur d'un article sur les salaires dans la finance (" Wages and Human Capital in the US Financial Industry, 1906-2006 "), fait part de son analyse et de ses pistes de solution.



    La question des bonus est-elle essentielle pour assurer la stabilité du système financier ?.

    Oui, dans la mesure où les banques sont incitées à prendre des risques inconsidérés, alors que ce ne sont pas elles qui en paient les conséquences



    Comment peut-on lutter contre ces bonus excessifs ?

    S'il y a une solution, il est difficile d'envisager qu'elle soit nationale. Le capital humain dans la finance est un capital mobile. Les traders vont là où les salaires sont les plus élevés, et la compétition est internationale. BNP Paribas ne va pas baisser ses salaires en France au risque de perdre ses meilleurs éléments.

    La question des rémunérations est une question économique d'échelle mondiale, alors que les réponses politiques sont à l'échelle nationale. Il est aussi très difficile de se mettre d'accord entre Français, Anglais ou Américains...



    Que faut-il faire ?

    La première chose est de tirer un diagnostic clair des problèmes que posent les rémunérations financières. Plusieurs choses se mélangent : le niveau des salaires, l'incitation à la prise de risque, mais aussi l'intérêt social de certaines activités dans la finance.

    Le premier problème à mon sens est que les bonus sont fonction d'une performance qui n'est pas bien mesurée. En finance, il est facile de créer un produit qui permette de faire gagner de l'argent régulièrement, mais qui en fasse perdre beaucoup une fois de temps en temps. C'est un peu comme si un ingénieur créait un moteur permettant de consommer moins et de faire gagner beaucoup d'argent à un constructeur automobile, mais qui exploserait au bout de dix ans. Ce qui est scandaleux dans la finance, c'est que le jour où le moteur explose, ce sont les contribuables qui paient.

    Il faut donc trouver le moyen de mesurer la vraie performance des traders. Sur cette question, les régulateurs, qui ont accès à des informations détaillées, peuvent fixer des règles permettant d'évaluer la juste performance d'un produit et de poser des limites.



    Le vrai scandale n'est-il pas, aussi, que les banques puissent gagner autant d'argent sur les marchés financiers ?

    C'est la question de l'intérêt social de certaines activités financières. Qu'une banque prête aux PME et se rémunère de cette manière ou via les dépôts des clients ne choquent pas. Mais certaines activités font gagner beaucoup d'argent aux banques, sur les marchés notamment, sans que l'on comprenne bien leur intérêt. Un exemple : le " flash trading " qui consiste à exécuter des ordres le plus vite possible grâce à des programmes informatiques et à des ordinateurs puissants. Certaines banques dépensent des fortunes pour être performantes dans ce domaine, mais cette activité est-elle vraiment utile à la société ?



    Autrement dit, il faudrait séparer les banques d'affaires des banques de détail ?

    Il y a un moyen beaucoup plus efficace de faire. Il s'agirait de calculer la part des activités du secteur qui sont le plus risquées pour le système financier, de les considérer comme une pollution et de les taxer. On réduit ainsi leur rentabilité et, de ce fait, les rémunérations qui en découlent. Et l'on incite également les établissements bancaires à se détourner de ces activités jugées plus dangereuses. C'est à la fois plus simple et plus efficace que d'essayer de créer des séparations artificielles entre banques de détail et banques d'affaires.

    Surtout, cette option permet d'éviter que le contribuable paie pour les bêtises des financiers. Quand les choses tournent mal, la manne collectée par cette taxe permet de réparer le système.



    Dans vos travaux, vous avez analysé la corrélation entre les salaires dans la finance et les crises. Quelles sont vos conclusions ?

    Ce qui est frappant, c'est de voir l'explosion des salaires dans la finance à partir des années 1980, et surtout du milieu des années 1990 jusqu'à 2006. Sur cette période les rémunérations ont doublé, quand celles du reste de l'économie stagnaient. Et tout cela à compétence égale. Est-ce lié à la crise ? C'est possible, mais la corrélation est surtout visible avec la régulation. Plus celle-ci s'affaiblit, plus les rémunérations flambent.



    Les rémunérations de la plupart des traders restent tout de même inférieures à celles de grands sportifs comme Tiger Woods ou Thierry Henry...

    Les mécanismes sont comparables, mais les implications morales et économiques sont différentes. Les salaires des sportifs de haut niveau ont augmenté ces dernières années comme ceux des financiers, parce que l'on est passé d'un système national à un système mondial. Aujourd'hui ce ne sont plus 60 millions de Français qui veulent voir un grand sportif, mais un public international qui veut voir le numéro un mondial. Il n'y a rien à redire à cela : ce sont des choix individuels libres.

    En finance, en revanche, se pose la question de l'utilité sociale de certaines activités, notamment sur les marchés.

    Propos recueillis par Claire Gatinois

     


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