• Une reprise pour tous

    Une reprise pour tous

    Isabel Ortiz


     

    NEW YORK – Au cours des deux années écoulées, la plupart des pays de la planète ont choisi d’augmenter les dépenses publiques de façon à limiter l’impact de la crise financière globale sur leurs économies et leurs populations. Mais cette année, les signes de reprise économique ont encouragé les pays avancés à basculer rapidement d’une relance budgétaire à une consolidation budgétaire.  

    Et les pays en développement suivent cette même tendance. Une récente enquête de l’UNICEF portant sur 126 pays montre qu’un nombre significatif de pays aux revenus faibles à moyens devraient réduire leurs dépenses publiques en 2010-2011.

    Cela arrive à un mauvais moment, juste après que les gouvernements se soient engagés à respecter les objectifs du développement, comme réduire la pauvreté et la mortalité infantile, en septembre dernier au Sommet du Millenium de l’ONU.

    Pour la plupart des pays aux revenus faibles et moyens, la reprise économique naissante semble bien fragile et inégale. En effet, un certain nombre de ces pays restent vulnérables à la volatilité des prix des matières de base, aux faiblesses du système financier, à la baisse de la demande des marchés mondiaux et à l’insuffisance de finances externes, d’assistance au développement et d’investissements.

    Mais surtout, selon les Nations Unies et la Banque Mondiale, l’impact social de la crise économique globale se ressent toujours en termes de famine, de chômage et de troubles sociaux. L’augmentation des prix de l’alimentation et du pétrole combinée à la crise financière et économique a affaibli le pouvoir d’achat des familles pauvres, l’accès aux services sociaux et les opportunités d’emplois.

    De plus, les foyers défavorisés ont réduit leur consommation alimentaire et l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture des Nations Unies estime que près d’un milliard de personnes souffrent de famine et de malnutrition. En plus des millions de personnes qui sont tombées dans la pauvreté en 2008-2009, quelques 64 millions d’autres personnes pourraient tomber dans l’extrême pauvreté en 2010 en conséquence des effets combinés prolongés de la crise.

    Dans les années 80, les programmes d’ajustement exigeaient des pays qu’ils réduisent leurs dépenses, y compris dans les domaines de l’éducation, la santé, l’eau, l’agriculture et d’autres secteurs d’importance pour les foyers pauvres. Comme l’a publiquement demandé feu le président tanzanien Julius Nyerere : « Doit-on affamer nos enfants pour payer nos dettes ? »

    La mortalité infantile était en hausse dans les groupes à faibles revenus dans de nombreux pays en développement, ainsi que les inégalités. On a fini par appeler cette époque la « décennie perdu. » L’UNICEF avait répondu avec un appel à un Ajustement à visage humain, pour que les enfants soient préservés lors des crises économiques. Elle demandait aussi des mesures macroéconomiques expansionnistes pour générer de l’emploi, des investissements dans le secteur public pour les pauvres et la mise en place de systèmes de protection sociale.  

    30 plus tard, nous retrouvons un air de déjà vu, et le même message s’applique encore. Les pauvres des pays en développement doivent encore supporter les pires conséquences d’une crise qu’ils n’ont aucunement contribué à créer. Il est impératif que cela n’entraine pas une autre décennie perdue pour le développement, et que les familles pauvres – et surtout les enfants – n’en souffrent pas comme ce fut le cas dans les années 80.

    Et pourtant, l’histoire pourrait bien se répéter. L’enquête de l’UNICEF a montré que sur les 126 pays étudiés, près de la moitié de ceux qui ont dû réduire les dépenses publiques, les mesures d’ajustement les plus courantes comprennent des réductions ou des gels de salaires dans le secteur public, le retrait des subventions alimentaires, et une rationalisation des systèmes de protection sociale déjà faibles.  

    Ces mesures d’ajustement sont souvent adoptées sans réelle considération pour leur impact social. Combien d’enfants pauvres vont souffrir – ou même mourir - du manque de nourriture et de soins de santé ? Combien d’enfants ne recevront pas d’instruction parce que les baisses de salaires entrainent l’absentéisme des instituteurs, ou simplement parce les enfant pauvres doivent travailler pour contribuer aux revenus de leur famille ?

    Les ajustements des dépenses publiques augmentent le risque d’une reprise qui discrimine les pauvres, nourrissant ainsi de plus grandes injustices dans les pays en développement. Une contraction budgétaire prématurée et/ou le retrait de mesures contre-cycliques menacent le soutien du public qui est essentiel pour promouvoir la croissance pour ceux qui sont le plus grandement frappés par la crise.

    Au fur et à mesure du recul de la récession, l’impératif le plus urgent est la reprise pour tous – une reprise qui doit être inclusive, qui génère des opportunités d’emploi, réduise les inégalités et soutienne les processus de développement.

    Cela est possible. Cela demande que l’aide aux pays pauvres soit maintenue ; que les gouvernements se concentrent sur des politiques macroéconomiques expansionnistes qui soutiennent l’emploi et les activités économiques à grande échelle ; que de nouveaux projets soient introduits pour étendre les services de santé et la protection sociale pour les pauvres ; et que les investissements dans l’éducation, l’accès à l’eau, les sanitaires, l’agriculture, et la sécurité alimentaire reçoivent le soutien nécessaire.

    Isabel Ortiz est directeur associé de la division politique et pratique de l’UNICEF.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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