• Davos, une boussole qui a perdu le nord

    Les analyses des grands pontes réunis à Davos sont loin d'être toujours pertinentes. Mais elles permettent de prendre le pouls de la planète capitaliste. Il ne bat pas bien fort.

    Le Forum économique mondial, qui a lieu chaque année à Davos, en Suisse, suscite toujours son lot de commentaires plus ou moins désobligeants. Pour certains, les sujets abordés et l'ambiance de Davos font office de baromètre indiquant la direction que prend le monde. D'autres estiment qu'il s'agit d'une rencontre sans intérêt entre des grands pontes imbus de leur personne, qui font en général des analyses erronées. La réalité, comme toujours, se situe entre ces deux extrêmes. En tout état de cause, voici quelques unes des impressions que m'a laissées le Forum de cette année 2010.

    Lutter contre la mondialisation est à la mode

    Chaque année, les manifestants antimondialisation protestent contre le Forum de Davos. Cette année, ils étaient à l'intérieur du Palais des congrès,soutenus par Nicolas Sarkozy. Dans son discours, le président français a repris des slogans directement tirées des pancartes des manifestants. Sarkozy n'était pas le seul à s'excuser, à dénoncer des situations inacceptables - de la pauvreté à la dégradation de l'environnement -, à insister sur la nécessité d'un capitalisme durable et plus juste. Ces prises de position étaient fréquentes. Je crois que nous ferons des progrès, même si hélas, ils seront en-deçà des promesses et tout à fait insuffisants.

    Les banquiers au poteau!

    L'immense colère des Américains, le comportement scandaleux des banquiers et la défaite de son parti aux élections sénatoriales dans le Massachusetts ont poussé le président Obama à adopter une attitude bien plus agressive vis-à-vis des banques. Celles-ci ont réagi en mobilisant leur énorme influence politique et en tentant de nous convaincre que les réformes d'Obama risquaient d'engendrer une autre récession. Il faut réformer le système financier, c'est d'une évidence implacable. Cependant, à l'heure actuelle, les réformes seront adoptées dans un climat délétère où on accuse les responsables politiques de populisme et les banquiers d'agiotage. Il y a quelques semaines, il était imaginable qu'une élection locale dans le Massachusetts pût avoir un tel impact à Davos - et dans le monde.

    Personne aux commandes

    L'une des angoisses les plus courantes que j'ai constatée cette année est la suivante: alors que les problèmes grandissent et se multiplient, la capacité à y faire face semble diminuer. Les rouages de la prise de décisions sont complètement rouillés. Rares sont ceux qui considèrent que l'ONU ou d'autres organismes multilatéraux savent ce qu'ils font ou disposent des ressources nécessaires pour agir efficacement. Les grandes puissances semblent elles aussi paralysées. Le G8 n'est plus qu'une relique et son héritier, le G20, est rongé par de multiples divisions. L'échec de Copenhague n'est qu'un des symptômes d'un monde condamné à devoir agir collectivement dans de nombreux domaines et qui ne parvient pas à le faire. La tragédie d'Haïti, dont on a beaucoup parlé à Davos, montre qu'il y a des situations d'urgence, mais qu'en l'absence d'un responsable, la solidarité mondiale entraîne un énorme manque de coordination. Des vies auraient pu être sauvées...

    10%, le chiffre problématique

    Le taux de croissance moyen de la Chine est de 10%. Le taux de chômage des Etats-Unis est aussi de 10%. Le fait que l'économie chinoise croisse à un taux à deux chiffres est une bonne chose pour les Chinois et pour le reste du monde. Mais si cette croissance se fait au prix d'un taux de chômage élevé dans d'autres pays, les répercussions au niveau de la stabilité économique et politique du monde sont redoutables. Il est essentiel de briser le lien, à la fois dans la réalité et dans notre imaginaire collectif, entre le succès économique chinois et l'appauvrissement des travailleurs du reste du monde.

    Il n'y en a que pour la Chine

    En général, la présence américaine à Davos est envahissante: gouvernants, membres du Congrès, responsables politiques et, de temps à autre, même Angelina Jolie. La visibilité du reste du continent américain demeure très limitée. Cette année, pourtant, le gouvernement et les politiques américains ont brillé par leur absence (il ya bien de rares exceptions comme Lawrence Summers, le principal conseiller économique d'Obama). Et à la place d'Angelina Jolie, c'est Bill Clinton qui est venu. Dans le cas de la Chine, c'est le contraire qui s'est produit: elle a envoyé un très grand nombre de hauts fonctionnaires. Beaucoup d'entre eux sont des technocrates qui allient une bonne formation universitaire et une expérience de l'administration dans leur pays. Ils sont évidemment très forts pour éviter les pièges et saisir les occasions que rencontre la Chine dans toutes les réunions internationales. Maisil y a un prix à payer pour avoir le statut de puissance. Les réactions négatives face à l'influence de la Chine se multiplient déjà.

    Un ministre d'un grand pays africain m'a confié: «il y a encore quelques années, les Chinois venaient me voir dans mon bureau et me disaient que nos deux pays étaient pauvres et qu'il faillait collaborer et s'entraider. Aujourd'hui, ils se contentent de me dire que l'aide qu'ils sont prêts à nous donner dépend de telles conditions. Et ils me donnent une listes de choses qu'ils attendent de notre gouvernement». La grande admiration qu'on éprouve pour la Chine s'accompagne de craintes croissantes au sujet de son pouvoir et d'une certaine incertitude quant à sa capacité de poursuivre son expansion rapide. Espérons que la forte présence de la Chine à Davos ne présage pas un accident qui la déstabiliserait. Car, par le passé, des pays trop célébrés à Davos ont subi de lourds revers peu de temps après.

    Moises Naim
    Rédacteur en chef du magazine Foreign Policy


    votre commentaire
  • Ces sociétés qui s'évadent vers les paradis fiscaux

    Les multinationales jouent sur les " prix de transfert " afin de réduire au maximum leur imposition

                Avec " l'affaire Google ", le 7 janvier, les Français ont découvert, stupéfaits, qu'une multinationale richissime pouvait - en toute légalité - alléger la charge de son impôt en s'installant dans un pays à la fiscalité douce, voire inexistante. Un paradis fiscal. Qu'elle pouvait exercer une activité commerciale importante en France et y réaliser de gros bénéfices, mais payer l'essentiel de ses impôts ailleurs, en l'occurrence en Irlande, où se trouve le siège social de Google.
     

    La crise financière de 2008-2009 a donné du relief à la question du niveau d'imposition des grandes entreprises mondiales, qui s'adonnent toutes à l'optimisation fiscale. Elle scandalise l'opinion et mobilise certains pays, soucieux de récupérer de la matière fiscale pour réduire leur déficit public. Dans leur combat contre les paradis fiscaux, engagé depuis la mi-2009 sous l'égide du G20, les Etats s'intéressent à une technique bien connue des entreprises : les " prix de transfert ".

    Ils correspondent aux prix auxquels s'effectuent les échanges de biens (produits, brevets, etc.) ou de services (prestations informatiques...) entre une maison mère et ses filiales à l'étranger. Si ces prix sont équivalents aux prix du marché - ceux qu'aurait facturés la concurrence -, les multinationales sont dans la légalité ; s'ils sont faussés, la loi est enfreinte. Or les multinationales présentes dans de très nombreux pays peuvent être tentées de se servir des prix de transfert pour localiser leurs profits dans ceux qui ont une faible fiscalité. Et, a contrario, déclarer leurs pertes dans les Etats à fort taux d'imposition sur les sociétés.

    Les prix de transfert sont alors une manière subtile de frauder le fisc. Plus subtile que la dissimulation d'argent dans une société écran dans un centre offshore. La fraude est plus facile lorsque les entreprises s'échangent des biens incorporels (brevets médicaux, logiciels informatiques, savoir-faire, etc.), pour lesquels aucun prix de marché n'existe.

    Les exemples de ces pratiques sont nombreux. La maison mère d'un groupe de spiritueux français exporte des bouteilles vers sa filiale aux Bahamas à 3 euros, un prix unitaire très faible rapporté à ses coûts de production. Elle réalise alors un petit bénéfice. Mais sa filiale bahamienne, elle, fait une bonne affaire puisqu'elle revend aux Etats-Unis les bouteilles 18 euros, soit six fois le prix auquel elle les a achetées et engrange ainsi de juteux profits.

    La maison mère minore ses profits là où ils auraient été fortement taxés. La filiale ne paie quasiment rien au paradis fiscal qui l'héberge. Le gain fiscal, pour le groupe de spiritueux français, est énorme. Au passage, la France a été privée de l'impôt qui lui était dû.

    Connaît-on l'ampleur de la fraude liée à l'usage illicite des prix de transfert ? Pour Pascal Saint-Amans, expert fiscal à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), tout juste promu chef du secrétariat du Forum mondial sur l'échange d'informations fiscales, ce chiffrage est impossible dans le contexte d'opacité sur les prix pratiqués par les entreprises. Il rappelle cependant que 60 % du commerce mondial se fait " intra-groupe ". Le risque d'évasion, voire de fraude, fiscale est donc " potentiellement "  élevé.

    " L'abus des prix de transfert est un sujet à haut risque. Ils peuvent aussi servir de levier pour délocaliser de la matière taxable ", souligne M. Saint-Amans. Mais il met en garde contre les fantasmes et le sentiment, répandu, que le fisc serait laxiste envers les fraudeurs. " Les administrations fiscales sont extrêmement attentives et dures lorsqu'elles découvrent des infractions ", affirme-t-il.

    De fait, les gouvernements durcissent le ton à l'égard de la fraude fiscale internationale due aux entreprises : elle représente, en effet, plus de 80 % des montants totaux. Aux Etats-Unis, le Congrès a chiffré à 100 milliards de dollars (71 milliards d'euros) la perte annuelle liée à l'évasion fiscale dans les centres offshore. Une partie substantielle serait liée aux prix de transfert.

    Les Etats s'avancent avec prudence sur ce dossier. Car la question des impôts recoupe celle de la compétitivité des entreprises. Qu'un pays soit plus sévère que son voisin sur la traque fiscale, et les entreprises crieront à la distorsion. Mais les lois se durcissent, notamment en France, où, depuis le 1er janvier 2010, les entreprises doivent justifier auprès du fisc leurs méthodes de calcul des prix de transfert au moment où ceux-ci sont fixés. Auparavant, elles n'étaient tenues de s'expliquer qu'au moment des contrôles fiscaux.

    Pour Eva Joly, eurodéputée écologiste," la prise de conscience de l'importance de la fraude fiscale internationale due aux entreprises galope, à en juger par la mobilisation des ONG et l'intérêt de l'opinion ". L'ex-magistrate de l'affaire Elf compare le phénomène à celui qui avait entouré la corruption dans le commerce mondial au début des années 1990 : " Un combat au début mal compris, qui avait abouti, en 1998, à une convention de l'OCDE obligeant les Etats à lutter contre la corruption. "

    Selon Mme Joly, l'enjeu lié à la fraude sur les prix de transfert est énorme : " C'est la criminalité des dix années à venir. Une criminalité extraordinairement complexe à détecter et à poursuivre. " Daniel Lebègue, président de l'ONG Transparency International en France, approuve :" Il faut accentuer la lutte contre l'utilisation factice des prix de transfert. Il paraît curieux qu'en France, le taux d'impôt effectif supporté par les grandes entreprises sur leurs bénéfices soit de 10 % quand celui des PME s'établit à 30 %. "

    Ainsi, selon ces experts, les lois doivent être renforcées. Trop peu de contrôles et de redressements - toujours confidentiels - seraient opérés par le fisc. La vraie fraude serait quasiment impossible à détecter. Pour Christian Chavagneux, coauteur de l'ouvrage Les paradis fiscaux (La découverte, 2 007), une mesure réellement efficace serait de " contraindre les multinationales à publier, pays par pays, le montant de leur chiffre d'affaires, de leurs profits et de leurs impôts. "  Ainsi pourrait-on découvrir si cela correspond à une réalité économique. Une réflexion est en cours au sein de l'OCDE.

    Anne Michel

    Facile


    votre commentaire

  •  

    Cela continue, quel changement dans le paysage américain. Pour la FDIC le cout sera de plus 100 milliards de dollar sur la période 2007-2013


    votre commentaire