• On peut toujours rêver, Pierre-Antoine Delhommais

    On peut toujours rêver

     

                Les grandes crises offrent une chance unique aux experts et aux dirigeants économiques de rentrer dans l'Histoire. Soit en apparaissant comme des prophètes quand ils ont annoncé le pire (Nouriel Roubini), soit, au contraire, en prononçant des bourdes qui résistent au temps. Quatre-vingts ans après, on se souvient encore de l'imprudente sentence du grand économiste américain Irving Fisher, quelques jours avant le krach boursier d'octobre 1929 : " Les prix des actions ont atteint ce qui apparaît être un haut plateau permanent. "

    Les subprimes ont déjà leurs mots célèbres. On eut un joli : " La crise des subprimes n'aura pas d'effets dramatiques sur la croissance ", Dominique Strauss-Kahn (1er octobre 2007). Suivi deux mois plus tard d'un non moins réjouissant : " Il est largement excessif de conclure que nous sommes à la veille d'une grande crise économique ", de Christine Lagarde.

    Aujourd'hui, DSK, Mme Lagarde et l'immense majorité des économistes prédisent une reprise poussive, une croissance durablement molle, une longue convalescence pour l'économie mondiale qui a frôlé la mort. Et s'ils se trompaient tous à nouveau ? Et si la reprise était bien plus forte qu'annoncée ? Et si les prochains mois nous réservaient " de très bonnes surprises " en matière de croissance, comme ne l'exclut pas, en privé, un haut dirigeant monétaire européen ?

    Il n'y a objectivement que très peu de raisons de croire à ce scénario rose. Les sorties de récession aux Etats-Unis et en Europe doivent beaucoup aux plans de relance des Etats et aux mesures de soutien exceptionnelles prises par les banques centrales. En d'autres termes, elles sont bien artificielles et fragiles tant que le secteur privé n'aura pas pris le relais, ce qui est loin d'être gagné, compte tenu de l'envolée des dettes publiques et du chômage.

    Un redémarrage poussif, voilà donc pour le raisonnable, pour le rationnel, le très probable. Mais il n'est pas interdit de songer - rêver - un instant au déraisonnable, à l'irrationnel, à l'improbable. Notamment en observant ce qui est en train de se passer en Asie.

    <st1:personname productid="La Chine" w:st="on">La Chine</st1:personname> réaccélère sans avoir jamais vraiment décéléré. Son produit intérieur brut (PIB) a progressé de 8,9 % au troisième trimestre. Pendant la même période, <st1:personname productid="la Corée" w:st="on">la Corée</st1:personname> du Sud a enregistré son rythme de croissance le plus élevé depuis sept ans. Le deuxième constructeur automobile japonais, Honda, qui prévoyait de lourdes pertes, vient d'annoncer qu'il dégagera des bénéfices grâce à des performances meilleures que prévu dans la région. Il est vrai qu'en Chine, les ventes de voitures ont augmenté de 41,9 %, sur un an, au cours des trois premiers trimestres, pour atteindre 7,24 millions. L'horreur écologique peut-être, mais le bonheur économique pour les constructeurs américains et européens et les millions de salariés occidentaux travaillant dans le secteur.

    Si l'on ajoute à cela un PIB par habitant de 4 900 dollars en Chine, de 2 500 en Inde, contre 46 300 dollars aux Etats-Unis, le fait aussi que les classes moyennes vont croître de 850 millions en Asie dans les dix prochaines années, on a une petite idée du potentiel de rattrapage et de création de richesse qui se trouve là-bas.

    Il y a bien sûr cette thèse en vogue qui voudrait que l'Asie redémarre toute seule, de façon autonome, dans une sorte de découplage inédit où l'Occident resterait en rade. Mais on est assez de l'avis du gouverneur de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de France, Christian Noyer, pour qui " cette théorie n'a aucun sens dans le cadre d'une économie mondialisée ". Difficile d'imaginer que toute cette richesse générée en Asie y reste cantonnée et ne se diffuse pas au reste de la planète. Par le biais de la consommation - l'achat de Citroën C4 par M. Chang. Par le biais aussi de l'épargne : les banques centrales asiatiques achètent en masse des emprunts des Trésors américain et européen, ce qui permet de financer sans difficulté des déficits budgétaires et de maintenir les taux d'intérêt à long terme à de bas niveaux.

    En dehors de l'Asie, un autre élément est de nature à nourrir un optimisme sans doute injustifié. Il tient à l'origine même de la crise des subprimes. A savoir une perte de confiance fulgurante et absolue des agents financiers entre eux, laquelle s'est ensuite propagée aux entreprises et aux particuliers.

    Mais voilà, avec les profits et les bonus, la confiance, c'est le moins qu'on puisse dire, est aujourd'hui revenue dans les milieux bancaires. Le moral des industriels et des ménages remonte lui aussi en flèche (+ 4 points encore en octobre dans la zone euro). D'où l'espoir de voir l'économie mondiale parcourir vers le haut le chemin qu'elle a dévalé il y a un an. C'est ce que pensent les économistes du Cepii à propos du commerce mondial. Selon eux, celui-ci ne s'est effondré, fin 2008 et début 2009, qu'à cause de facteurs de court terme (psychologiques et financiers) et non pour des raisons de fond, telle une vague de protectionnisme généralisé, comme il y en avait eu une en 1929. Il pourrait donc redémarrer vite et fort.

    La crise des subprimes est venue rappeler que le scénario économique le plus probable n'est pas toujours celui qui se réalise. A écrire une chronique qui évoque celui d'une forte reprise, on court bien sûr le risque de rentrer à son tour dans l'Histoire, et par la porte du ridicule. Mais tant pis, après tout. On y sera en excellente compagnie.

    Pierre-Antoine Delhommais

    lien : Après le spectre de 1929, celui de 1937 Pierre-Antoine Delhommais 


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