• Comment les inégalités ont aggravé la crise

    Comment les inégalités ont aggravé la crise

    Raghuram Rajan

    CHICAGO – Avant la récente crise financière, les responsables politiques des deux côtés du spectre politique américain ont incité Fannie Mae et Freddie Mac, les géants du crédit immobilier soutenus par le gouvernement, d’appuyer les prêts à l’intention des faibles revenus de leurs circonscriptions. Mais derrière ce regain de passion pour l’accès à la propriété des plus démunis se cache une inquiétude plus profonde : l’inégalité croissante des revenus.

    Depuis les années 70, les salaires des employés au 90ème percentile de l’éventail des salaires américains – comme les cadres supérieurs – ont augmenté beaucoup plus rapidement que les revenus des salaires moyens (au 50ème percentile), comme ceux des ouvriers et des employés de bureau. Un certain nombre de facteurs expliquent cette hausse du différentiel 90/50.

    Le plus important est peut-être que le progrès technologique aux Etats-Unis exige toujours plus de compétences de la part de la force de travail. Si il y a quarante ans, il n’était exigé des employés de bureau qu’un niveau baccalauréat, le niveau licence est à peine suffisant aujourd’hui. Mais le système éducatif n’a pas été capable de garantir une éducation suffisante à l’ensemble de la force de travail. Parmi les raisons que l’on peut avancer : la médiocrité de l’alimentation, de la socialisation et de l’enseignement des plus jeunes, mais aussi un dysfonctionnement des écoles primaires et secondaires qui laissent trop d’Américains mal préparés pour les études supérieures.

    La conséquence au jour le jour pour la classe moyenne se traduit par une stagnation des salaires et une plus grande insécurité de l’emploi. Les responsables politiques sont conscients des difficultés de leurs concitoyens mais il est difficile d’améliorer la qualité de l’éducation, car cela nécessite un changement de politique réelle et efficace dans un milieu dans lequel trop d’intérêts particuliers prônent l’immobilisme.

    De plus, tout changement prendra des années à faire effet, et ne pourra donc répondre aux angoisses actuelles de l’électorat. Les responsables politiques ont donc cherché des moyens autres et plus rapides pour apaiser cet électorat. Nous savons depuis longtemps que ce ne sont pas les salaires qui comptent, mais la consommation. Un homme politique intelligent et cynique sait bien que si la consommation des ménages se maintient, s’ils pouvaient se permettre de changer de voiture régulièrement et de s’offrir des vacances exotiques de temps à autre, ils seraient peut-être moins obsédés par l’inertie de leur salaire.

    La réponse politique à l’inégalité croissante – qu’elle soit soigneusement planifiée ou qu’elle constitue la voie de la moindre résistance – a été de permettre l’accession à des prêts à un plus grand nombre de foyers, surtout parmi les faibles revenus. Les bénéfices – hausse de la consommation et des emplois – ont été immédiats tandis que le règlement de la facture peut attendre. Aussi cynique que cela puisse paraître, l’histoire nous montre que les facilités de crédit ont toujours été utilisées comme palliatif par les gouvernements qui sont incapables de répondre aux plus profondes inquiétudes de la classe moyenne.  

    Les responsables politiques préfèrent cependant formuler les objectifs en termes plus dynamiques et persuasifs plutôt que simplement en terme de relance de la consommation. Aux Etats-Unis, la hausse de l’accession à la propriété – un des pivots du rêve américain – dans les ménages aux revenus faibles à moyen fut la base de l’objectif plus général de relancer la croissance du crédit et de la consommation.

    Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas adopté le moyen plus direct de la redistribution, imposition ou emprunt et dépenses, pour calmer les angoisses de la classe moyenne ? La Grèce, par exemple, a été mise en difficulté précisément à cause de cela, employant des milliers de fonctionnaires en les surpayant, alors même que les caisses étaient vides ce qui a amené la dette publique à des niveaux astronomiques.

    Aux Etats-Unis cependant, ce type de redistribution directe a fait l’objet de fortes oppositions ces dernières années. Le crédit immobilier dirigé a été préféré car les deux camps pensaient qu’ils s’y retrouveraient.

    La gauche préférait les flux vers son électorat naturel tandis que la droite accueillait les nouveaux propriétaires qui pouvaient, éventuellement, être convaincus de modifier leur allégeance politique. Ouvrir l’accession au crédit immobilier aux bas salaires a été l’un des quelques dossiers sur lesquels s’accordaient les administrations du président Bill Clinton, avec son projet de rendre abordable l’accession à la propriété, et celle du président George W. Bush, qui encourageait une société « de propriétaires ».  

    Au bout du compte, cependant, les tentatives malavisées d’encourager l’accès à la propriété par le crédit aux Etats-Unis n’a fait que créer une situation dans laquelle trop de maisons se sont retrouvées sur le marché que personne n’avait les moyens d’acheter et trop de ménages se sont retrouvés noyés sous les dettes. Ironiquement, le taux d’accès à la propriété est en baisse depuis 2004.

    Le problème, comme souvent dans les politiques gouvernementales, n’était pas l’intention. C’est rarement le cas. Mais lorsque beaucoup d’argent facile circule, et que cet état de fait est encouragé par un gouvernement aux poches profondes, et que cet argent entre en contact avec les motivations de profit d’un secteur financier sophistiqué, compétitif et amoral, les intentions du gouvernement sont vite dépassées.

    Ce n’est bien sur pas la première fois dans l’histoire qu’une expansion du crédit est utilisée pour apaiser les inquiétudes d’une partie de la population laissée pour compte ; et ce ne sera pas non plus la dernière. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’aller chercher des exemples en dehors des Etats-Unis. La dérégulation et l’expansion rapide du secteur bancaire américain aux premiers jours du 20ème siècle était à bien des égards une réponse au mouvement populiste, soutenu par les petits et moyens fermiers qui, sentant qu’ils étaient de plus en plus dépassés par le nombre croissant d’ouvriers de l’industrie, demandaient des facilités de crédit. L’excès de crédits ruraux fut une des causes importantes de la faillite des banques lors de la crise de 1929.

    Ce que cela veut dire, c’est qu’il faut chercher bien au-delà de la cupidité des banquiers et de la faiblesse des régulateurs (et il y a eut beaucoup des deux) pour trouver les racines de cette crise. Et une loi financière donnant des pouvoirs élargis à ces régulateurs ne résoudra rien. L’Amérique doit s’attaquer aux inégalités à la source, en donnant à plus d’Américains la capacité d’être plus compétitifs sur les marchés globaux. Une tâche beaucoup plus ardue que d’ouvrir les vannes du crédit, et plus efficace sur le long terme.  

    Raghuram Rajan, a former chief economist of the IMF, is Professor of Finance at the University of Chicago and the author of Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.orgS


  • Commentaires

    1
    Vladimir Vodarevski
    Mercredi 14 Juillet 2010 à 15:21
    Quelqu'un d'intelligent ce Raghuram Rajan. Il faudra que je regarde si son livre est dispo en français. La crise provient de l'encouragement au crédit par le gouvernement américain, et la Fed (les régulateurs donc). L'objectif principal était de relancer la croissance. La lutte contre les inégalités apparaît effectivement comme un des objectifs également, Greenspan l'ayant évoqué pour sa défense.
    2
    emile11111 Profil de emile11111
    Mercredi 14 Juillet 2010 à 17:56
    Merci, pour le commentaire.
    La lutte contre les inégalités est primordiale.Beaucoup d'auteurs parmi lesquels Stiglitz, Sen, Galbraith sans oublier akerlof et Shiller le démontrent dans leurs livres.
    Sans une équité , une justice, le système capitaliste actuel finira très mal. Mais en mettant de nouveau paradigme d'équité le systéme peut être sauvé et amélioré.
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