• Ci dessous un résumé, et aprés l'intégrale assez décoiffant.

    Rtbf, Matin Première, le jeudi 13 août 2009, de 7h30 à 8h et de 8h30 à 9h

    Publié par Paul Jorion dans Economie, Monde financier

    Résumé par C. Biourge.

    « L’argent ne tombe pas du ciel. S’il est gagné par quelqu’un, il est toujours pris quelque part », a expliqué Paul Jorion dans Matin Première. Pour ce spécialiste de l’économie, le fait que la bourse reprenne est un « très mauvais signe ». Le pire reste à venir.

    Paul Jorion est anthropologue et sociologue, spécialisé dans les sciences cognitives et l’économie. Selon lui, le fait de gagner beaucoup d’argent comme le font les traders, n’est pas un problème en soi. Ce qui ne va pas, par contre, « c’est sur quoi ils gagnent de l’argent ». « Ils puisent sur l’économie », ce qui est d’autant plus dérangeant que l’économie actuelle est en mauvaise santé. « C’est de l’argent qui pourrait être utilisé bien plus intelligemment », affirme-t-il. Et d’ajouter: « Quand on nous dit que les choses repartent car la spéculation repart en grand dans les banques, c’est très très inquiétant ». « Ce n’est pas un signe de bonne santé mais un signe de très mauvaise santé ».

    En réalité, dit-il, « le processus de dégradation se poursuit ». Il faut savoir, selon lui, que « la bourse peut être complètement déconnectée de l’économie pendant de longues périodes ». « La bourse n’est pas un baromètre de l’économie ». Pour qu’elle le soit, il faudrait que les gens sachent ce qui va se passer. Or, le « système est beaucoup trop complexe pour que l’on sache ».

    Le rôle des états

    Pour Paul Jorion, si les états n’arrivent pas à mettre de l’ordre dans l’économie, c’est parce qu’il n’y a pas de réelle volonté politique. Et d’expliquer: « Les questions financières sont de plus en plus déplacées du politique pour des raisons d’indépendance notamment. On a confié ça à des experts mais ces experts fonctionnent en circuit fermé et n’ont plus de rapport avec la classe politique. La classe politique à l’impression qu’elle n’a rien à dire sur l’économie, cela lui parait beaucoup trop compliqué et du coup la communication ne passe pas ».

    Aux Etats-Unis, « des mesures intelligentes » ont été proposées, dit-il. Mais elles ne sont pas votées, la pression de l’industrie financière étant trop forte. « Elle donne beaucoup d’argent aux politiques pour qu’ils changent d’avis et dans le système américain cela est permis. Ce n’est pas considéré comme de la corruption ».

    Or la consommation américaine pèse énormément sur le système global, ajoute-t-il. Cela représente 30% et « tout ce qui se passe en Amérique décide de tout le reste ».

    « La privatisation des profits et la socialisation des pertes »

    Par ailleurs, dit-il, il y a un autre problème. « Il y a ce qu’on appelle, la solution classique en cas de récession, « la privatisation des profits et la socialisation des pertes ». Autrement dit, on laisse les particuliers gagner de l’argent quand tout va bien et quand cela va mal c’est l’état (le contribuable) qui paie l’addition. Mais ici, la crise est d’une telle gravité que les états n’ont pas les moyens d’éponger la note ».

    Le pire en 2012

    Paul Jorion estime que les « catastrophes les plus sérieuses encore à venir » se situent aux alentours de 2011-2012. En cause : l’immobilier américain qui sera au plus bas, l’immobilier commercial en particulier. Et ce « n’est pas une prévision », dit-il, « il faut regarder quand est-ce que les gens doivent se refinancer et c’est dans leur contrat ».

    Selon lui, « il y a déjà un quart des gens qui ont emprunté de l’argent pour leur maison qui ont une maison qui vaut moins cher que ce qu’ils doivent. L’année prochaine cela va monter à 33% (un tiers des gens) et en 2012, ce sera la moitié (48%) ». Une situation à laquelle s’ajouteront les pertes d’emplois annoncées.

    La confiance

    La confiance comme moteur pour relancer l’économie, Paul Jorion n’y croit pas: « La confiance, on dit qu’elle peut résoudre tout, on la met à toutes les sauces. Or c’est un phénomène psychologique ».

    Il reconnaît, par contre, le rôle de cette confiance entre les banques, « quand elles doivent emprunter de l’argent. Elles doivent pouvoir se l’emprunter entre elles ». Mais « les mesures prises rendent la confiance entre les banques impossibles », dit-il. Selon lui, les règles comptables ont été modifiées et cela ajoute de l’opacité.

    « Le système est cassé »

    « Il faut se rendre compte que ce système n’est pas seulement dans une passe difficile mais qu’il est cassé », dit Paul Jorion. Et il ne pourra pas repartir, dit-il, sauf les parties les plus nocives. Il faut, dès lors, penser à des alternatives.

    « L’alternative classique », ajoute-t-il, est « le communisme mais on n’a vu que cela n’a pas marché non plus ». Pour lui, il faut penser à un autre système qui pourra fonctionner dans le cadre d’une planète limitée dans ses ressources.

    Avant de conclure: « On ne peut pas indéfiniment relancer l’économie en poussant à la consommation. Un moment la consommation aura atteint ses limites ».

    Ce qui suit est une transcription, c’est un peu brut de décoffrage mais merci à Arnaud Ruyssen pour ses questions et surtout, pour l’excellent résumé de mes positions qu’il proposa dans la deuxième demi-heure.

    Est-on en train de sortir de la crise économique ? Plusieurs indicateurs sont en train de repasser dans le vert. Accalmie passagère ou vraie relance ? A-t-on tiré les leçons du séisme financier de ces derniers mois ? Arnaud Ruyssen en parle avec Paul Jorion, anthropologue et sociologue, spécialisé dans les sciences cognitives et l’économie. Posez vos questions au 070/22.37.37 ou sur ce site.

    AR : Paul Jorion, bonjour !

    - Bonjour !

    AR : Une attaque par l’ironie : des primes pour les patrons d’entreprises, par Alain Souchon. On pourrait étendre cela aussi, aux bonus pour les traders, qui font polémiques un peu partout, pour le moment. Pour vous, Paul Jorion, ces bonus… c’est une des raisons principales des dérives qui ont conduit à la crise d’aujourd’hui ?

    - Non, je ne crois pas. C’est un symptôme du système. Le seul problème c’est que ça ne présente pas bien et quand on nous dit que les choses repartent et ce qu’on peut nous donner comme preuve de ça, c’est uniquement le fait que la spéculation repart en grand dans les banques, c’est très, très inquiétant.

    AR : Donc c’est une part, plutôt de symbolique ou bien dans cette spéculation finalement, dont les traders sont en partie les artisans, il y a vraiment un problème qui a conduit à la crise ?

    - Le problème n’est pas que ces gens soient énormément payés… ils sont payés à la commission. S’ils font des bénéfices énormes pour leur entreprise, ils touchent une commission. Le système en soi n’est pas un système mauvais. Le problème c’est sur quoi ils gagnent de l’argent et ça c’est la chose dont on ne parle pas. Le fait qu’ils gagnent de l’argent, pourquoi pas, mais le fait qu’ils le gagnent en puisant cela sur l’économie -et l’économie en ce moment est en très mauvaise santé- c’est de l’argent qui pourrait être utilisé bien plus intelligemment que dans les opérations qu’eux font et dans les commissions qu’ils touchent.

    AR : Donc pour vous, ce que font les traders ce n’est pas un jeu entre eux, basé sur une économie qui serait déconnectée de l’économie réelle. Il y a vraiment un impact réel sur l’économie réelle ?

    - Mais l’argent qui est gagné par quelqu’un est toujours pris quelque part. Ce n’est pas de l’argent qui a été inventé, qui tombe du ciel. C’est de l’argent qui est puisé sur l’économie. Or, malheureusement la seule partie de l’activité qui reprend, c’est celle qui pompe le sang de l’économie. Donc ce n’est pas une très bonne chose. Ce n’est pas un signe de bonne santé, c’est un signe de très mauvaise santé.

    AR : Comment est-ce que vous expliquez, au vu de ce que vous expliquez là, que les Etats ne parviennent pas à mettre un peu la main sur cette pratique des traders. On voit bien qu’il y a de timides volontés de régulation, mais que rien ne fonctionne vraiment ?

    - Mais il ne doit pas y avoir de volonté, parce que les Etats ont la possibilité de passer des lois, ils ont la possibilité de les voter, ils ont la possibilité de les mettre en application, donc cette volonté doit être absente.

    AR : Il n’y a pas de volonté des Etats, aujourd’hui ? Très clairement, vous pensez que les Etats n’ont pas envie, pour quelle raison, de règlementer tout cela ?

    - Il y a des raisons structurelles : c’est le fait que les questions financières on les a de plus en plus déplacées en dehors du politique. La justification c’était de dire qu’il fallait laisser ces activités être tout à fait indépendantes. On a confié ça à des experts, mais ces experts fonctionnent en circuit fermé, ils n’ont plus de rapport avec la classe politique, la classe politique a l’impression qu’elle n’a rien à dire que l’économie, ça lui paraît trop compliqué et du coup ça ne passe pas. Il y a évidemment des choses encore bien pires. On voit aux Etats-Unis qu’il y a des mesures qui sont proposées, qui sont des mesures intelligentes et puis on voit qu’elles n’obtiennent pas les votes qu’il leur faut, pour passer. Et ça c’est lié au fait que l’industrie financière donne beaucoup d’argent aux politiques, pour changer d’avis et malheureusement, dans le système américain en particulier, c’est une chose qui est permise. Il est permis aux institutions financières d’arroser les politiciens, de contribuer à leurs campagnes électorales et ce n’est pas considéré comme de la fraude ou de la corruption, c’est considéré comme le fonctionnement normal du système. Ce sont des choses qu’il faudrait changer aussi, évidemment.

    AR : Alors ça c’est vrai pour les Etats-Unis, ce n’est pas vrai en Europe, dans des pays comme les nôtres. Ce sont les Etats-Unis qui pèsent sur l’ensemble et comme les Etats-Unis ne le font pas, personne ne le fait. C’est ça que vous voulez dire ?

    - Mais la consommation du consommateur américain, ça représente à l’échelle mondiale, 30% du total. Alors ça pèse à ce point à l’intérieur du système global, que ce qui se passe en Amérique décide pratiquement de tout le reste et c’est encore le cas. Evidemment, le consommateur américain il est KO pour le moment, mais c’est toujours sur lui qu’on compte. Le consommateur chinois ne va pas le remplacer dans l’avenir immédiat.

    AR : Mais donc pour vous, si je vous comprends bien, pour résumer… il y aurait un intérêt réel pour les Etats, à réglementer sur ces bonus, mais aussi bien au-delà, essayer de mettre de règles dans ces marchés financiers, mais ils ne le font pas, simplement parce que les acteurs de la finance savent se montrer très persuasifs. C’est la seule raison, pour vous ?

    - Non, il y a une raison purement économique aussi. Il y a ce qu’on appelle (vous savez c’est la solution classique, en cas de récession) la privatisation des profits et la socialisation des pertes. C’est un système qu’on a utilisé de manière classique, au 20ème siècle, quand il y avait de grandes crises. Alors on laisse les particuliers gagner de l’argent quand tout va bien et quand ça va mal, c’est l’Etat, c’est-à-dire finalement le contribuable qui paie l’addition. Le problème qu’on a rencontré cette fois-ci, c’est que la crise est d’une telle nature et d’une telle gravité que quand on a envisagé de faire ça, on a vu que l’argent n’était pas suffisant. Il y avait eu tellement d’endettements, tellement de crédits de mauvaise qualité, que cette fois-ci les Etats n’ont pas les moyens d’éponger la note.

    AR : Donc on est parti pour une crise qui risque de durer, si je vous comprends bien. Parce que si les Etats ne sont pas vraiment en mesure, on pourrait imaginer d’autres catastrophes et que les Etats ne puissent pas suivre financièrement ?

    - Le processus de dégradation se poursuit. On nous dit que les choses s’arrangent, parce que justement l’activité spéculative des banques repart, la bourse repart ; et comme vous le savez la bourse peut être déconnectée complètement de l’économie, pendant des très, très longues périodes. Il n’y a pas de raison que la bourse soit vraiment un baromètre de l’économie. Ca arrive parfois, mais ce n’est pas nécessaire et ce cas-ci est une bonne illustration. L’économie continue de se dégrader, ça continue d’aller de plus en plus mal et la bourse se porte très bien.

    AR : Et pourtant on dit que la bourse fonctionne en général par anticipation. Certains y lisent d’ailleurs le fait que l’économie pourrait se remettre progressivement en route. Vous êtes totalement en désaccord avec ça ?

    - Non… la bourse n’est une anticipation de rien. Pour que la bourse puisse anticiper, il faudrait que les gens sachent ce qui va se passer et ça ce n’est jamais le cas. C’est la grande illusion des économistes et des spécialistes de la finance, c’est de croire que les gens peuvent anticiper. Nous sommes dans des systèmes extrêmement complexes. Il y a énormément d’interaction. Personne n’a la capacité d’anticiper ce qui va se passer.

    AR : Il y a une série d’indicateurs tout de même, Paul Jorion, disant que les chiffres ne sont pas bons, mais en tout cas moins mauvais que prévus et on estime que c’est ça aussi qui peut faire réagir positivement la bourse. Tout ça ce n’est qu’affaire de spéculations. A vous entendre, les indicateurs économiques n’auraient aucune valeur pour les boursiers ?

    - C’est vrai qu’on peut demander aux économistes de faire des prévisions… ils vont nous donner des chiffres très, très mauvais et puis le jour-même ces chiffres seront un peu moins mauvais que ça … on va dire : c’est une bonne nouvelle. Mais enfin ce n’est pas une vraie analyse des faits. Les chiffres sont les chiffres et un chiffre mauvais est un chiffre mauvais, même s’il est meilleur que ce que des économistes qui n’ont pas compris le problème peuvent nous dire.

    AR : Mais donc on a l’impression que vous êtes très, très pessimiste sur la suite, que vous ne lisez pas, en tout cas dans les réactions boursières du moment, l’issue positive de cette crise à court terme. Pour vous elle pourrait durer combien de temps cette crise, Paul Jorion ? C’est difficile à dire, mais un ordre de grandeur ?

    - Mais les catastrophes les plus sérieuses encore à venir se situent dans l’horizon à peu près 2011-2012. Par exemple, dans l’immobilier américain, on sera au plus bas. C’est-à-dire que les choses sont au plus mauvais en 2012. Comment est-ce qu’on sait ça ? Et bien ça ce ne sont pas des prévisions, c’est simplement qu’il faut regarder quand les gens doivent se refinancer ça c’est facile, c’est écrit dans leurs contrats, donc ce n’est pas de la spéculation intellectuelle. On peut voir quand les choses doivent être refinancées et la plus grosse vague, l’addition des problèmes, se situe en 2012, en particulier dans l’immobilier commercial.

    AR : Ca veut dire quoi ? Qu’il n’y a des gens -plus seulement des plus pauvres- mais de la classe moyenne qui à ce moment-là risquent de devoir se séparer de leur maison parce qu’ils n’arrivent plus à la payer par exemple ?

    - Mais par exemple, on nous dit qu’il y a des bonnes nouvelles, mais par exemple, hier, il y avait une très, très mauvaise nouvelle, justement pour l’immobilier américain, qui montrait que la chute s’accélère, la chute ne décélère pas, elle s’accélère et alors on peut faire des calculs très simples et on voit qu’aux Etats-Unis il y a déjà un quart des gens qui ont emprunté de l’argent pour leur maison, il y a déjà un quart de ces gens qui ont une maison qui vaut moins cher que l’argent qu’ils doivent. Alors ce chiffre… l’année prochaine il va monter à 33%, un tiers des gens et on peut déjà voir qu’en 2012, ce sera la moitié : 48% des gens qui auront une maison qui vaudra moins que l’argent qu’ils doivent à la banque.

    AR : Et donc rajoutons à ça, les pertes d’emplois qu’on annonce très nombreuses. Evidemment tout cela n’arrange rien, dans ce secteur de l’immobilier en particulier ?

    - Non, parce que les pertes d’emplois ça veut dire encore un nombre encore plus grand de gens qui ne parviendront pas à payer leurs mensualités sur les traités qu’ils doivent.

    AR : La confiance, Monsieur Jorion… Il y a ce paramètre important… Evidemment on dit que si la confiance revient sur les marchés d’abord, dans les entreprises ensuite, la machine pourrait se remettre en marche, on pourrait avoir moins de pertes d’emplois qu’annoncé, la consommation pourrait reprendre. Pour vous, vous ne croyez pas à cette confiance qui pourrait revenir et être un moteur de reprise ?

    - La confiance on la met à toutes les sauces. On dit qu’elle peut résoudre tout. La confiance c’est un phénomène psychologique. Elle peut jouer à certains endroits. Par exemple, c’est très important qu’il y ait de la confiance entre les différentes banques. Quand elles doivent emprunter de l’argent, elles doivent pouvoir se l’emprunter entre elles et qu’il y ait de la confiance. Pour qu’il y ait de la confiance, il faut que les banques sachent à propos de chacune des autres si elle est en bonne santé ou non.

    AR : Et là ce n’est pas le cas pour le moment ?

    - Mais non, ce qu’on a pris comme mesure, c’est une mesure qui rendra la confiance impossible. Cette mesure c’est une mesure qui a été prise, une mesure de comptabilité, qui a été prise aux Etats-Unis et il y a des pressions pour que l’Europe fasse la même chose, c’est une mesure qui ajoute de l’opacité dans les résultats des entreprises. On leur permet de calculer la valeur de certains actifs, un peu de la manière qui leur convient.

    AR : Sans qu’il y ait de contrôle extérieur ?

    - Voilà, c’est-à-dire en utilisant des modèles dont ils disposent, au lieu d’utiliser les prix de marché. Alors qu’est-ce que ça veut dire : ça veut dire qu’il est de plus en plus difficile pour un établissement financier, de savoir dans quel état se trouve réellement un autre avec qui il doit traiter. Donc on a pris des mesures qui rendent le retour de la confiance, impossible.

    AR : Mais est-ce qu’il y a encore des cadavres dans les placards ? Est-ce que selon vous les banques pourraient encore faire de très mauvaises découvertes ou en tout cas le public pourrait de très mauvaises découvertures, à propos de banque, encore dans les prochaines années ?

    - C’est le public qui fera de mauvaises découvertes, parce les banques savent exactement ce qu’elles ont comme produits, mais d’une part, les régulateurs : les autorités de tutelle, leurs disent qu’ils peuvent mettre la pédale douce, qu’ils ne sont pas obligés de révéler ça aussi vite que nécessaire et d’autre part, comme je l’ai dit, on modifie les règles comptables qui permettent de donner …comme disent les Américains… : un prix plus raisonnable aux choses, que celui que le marché leur offre. C’est évidemment ridicule.

    AR : Mais alors, quand on entend tout cela et cette vision plutôt pessimiste que vous avez, Paul Jourion… quelle serait la solution idéale, selon vous ? C’est la fin du capitalisme ? C’est un capitalisme d’Etat, qui serait très encadré ? Quelle porte de sortie voyez-vous ?

    - Mais c’est-à-dire qu’il faut se rendre compte …et ça c’est important pour le monde… je veux dire : au niveau des politiques, au niveau des individus, au niveau des ménages, au niveau des familles, au niveau des Nations Unies, il faut qu’on se rende compte que ce système n’est pas simplement dans une passe difficile, que ce système comme il existe, il est cassé, il ne pourra pas repartir et que tous les efforts qu’on va essayer de faire pour le remettre en marche, vont uniquement faire ce qu’on voit, c’est-à-dire faire repartir les parties les plus nocives du système. Il faut qu’on se rende compte, il faut penser à des alternatives. Alors on sait bien qu’il y a une alternative classique au capitalisme, qui était le communisme et on sait que ça ça n’a pas marché du tout non plus. Le capitalisme a une robustesse plus grande que le communisme n’en a jamais eu, mais il faut qu’on pense à des alternatives et en particulier dans le cadre qui sera celui de demain.

    AR : Mais je repose ma question : c’est un autre capitalisme ou bien c’est un autre système que le capitalisme, que vous imaginez …et si oui… lequel ?

    - Il faut imaginer un système qui pourra fonctionner dans le cadre d’une planète dont on a épuisé l’énergie fossile, l’énergie facile (facile et fossile). Il faut qu’on imagine un cadre d’une planète dont on est en train de détruire l’atmosphère, de détruire le climat, etc… Il faut imaginer un nouveau système et ce système doit pouvoir fonctionner dans le cadre d’une planète limitée. On n’a jamais encore tenu compte du fait que cette planète est limitée dans ses ressources, dans son existence, dans le maximum de populations qu’elle peut contenir. Le moment est venu. Il faut qu’on fasse le passage maintenant. Il faut qu’on se rende compte que le capitalisme est cassé et qu’il faut autre chose et aussi que le communisme ne sera pas la solution de rechange.

    AR : Est-ce que vous osez le mot de « décroissance » quand vous faites allusion, notamment, à cette planète limitée et à ses ressources qui diminuent ?

    - Mais le problème avec le mot « décroissant » c’est que c’est exactement ce qu’on est en train d’observer, mais ce qu’on voudrait, c’est un projet positif, c’est-à-dire un projet qu’on ne soit pas obligé de subir. Pour le moment on subit une décroissance. Donc la difficulté est là, avec ce mot-là. Ce mot a aussi des relents aussi un petit peu, de communautarisme, un peu conservateur, etc… Ce n’est peut-être nécessairement une bonne chose. Mais la croissance … On ne pourra pas relancer indéfiniment des économies en poussant à la consommation. Ce ne sera pas possible. Il aura un moment où la consommation aura atteint ses limites.

    AR : Mais donc, si je vous comprends bien, ce serait organisé tout de même, une forme de décroissance, même si vous ne l’appelleriez comme telle, mais si …vous le dites… le mot fait un peu peur et qu’il ne faut la subir, il faudrait organiser une forme de décroissance, plus en phase avec la planète.

    - Mais pas nécessairement décroissance, parce que …regardez… si on disait aux gens : voilà, on va changer notre mode de vie, on va supprimer les téléphones mobiles, on va supprimer les ordinateurs, on va supprimer les échanges sur l’Internet …personne n’en voudra.

    AR : On n’est pas obligé d’aller jusqu’à là, effectivement ?

    - Voilà ! Donc ça ce sont des choses -il y a des choses dans les choses neuves et dans les choses récentes, dont les gens n’ont pas envie de se passer- et ils ont eu raison. Donc « décroissance » c’est un peu trop vague par rapport à ce qu’on veut. On veut pouvoir faire le tri entre ce qu’il faut garder et ce dont il faut se débarrasser. Mais tout ce qui détruit le système, systématiquement, comme par exemple la spéculation … eh bien il faudra arrêter de le faire.

     

    Voici les liens de :

    Jorion : articles et échanges avec des bloggeurs
    RTBF : Article plus échanges 

     

    Video qui explique aussi : Jorion le temps qu'il fait 14/08/2009 


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  • « Le révélateur d'une mutation radicale »

    Le monde d'après Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Pour Hugues de Jouvenel, la crise devrait accélérer une prise de conscience collective sur les grands défis qui se posent à la planète depuis vingt ans.

    interview Hugues de jouvenel Directeur général de Futuribles

    « Le monde ne sera plus jamais comme avant », avance Nicolas Sarkozy. Partagez-vous cette opinion ?

    Essayons d'abord de nous entendre sur la vraie nature de ce qu'on appelle la crise. Celle-ci résulte, à mes yeux, de plusieurs phénomènes, les uns conjoncturels, les autres structurels, qui sont étroitement imbriqués mais se déroulent sur des échelles de temps et d'espace différentes. Il y a eu une crise financière de grande ampleur mais la situation semble s'être rapidement assainie et les acteurs financiers déjà prêts à nouveau à toutes les folies. Il y a une crise économique qui, elle, risque d'être durable et résulte d'une rupture radicale sur l'échiquier mondial. Et il y a une crise liée à notre modèle de développement qui repose sur une exploitation outrancière des ressources naturelles et entraîne des perturbations très profondes de l'écosystème. Et, à partir du moment où de nouveaux pays aussi peuplés que <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> émergent, adoptant un modèle de développement jusqu'à présent réservé à une minorité, il est clair que la situation devient explosive. De ce point de vue, en effet, la crise est un extraordinaire révélateur d'une mutation radicale entre un monde qui n'en finit pas de mourir et un autre qui n'en finit pas de naître.

    La crise a finalement une fonction de catharsis bienfaitrice ?

    On peut en effet l'analyser ainsi car elle provoque ou accélère la prise de conscience, par exemple, des limites d'un modèle de développement dont on ne voulait pas admettre le caractère insoutenable. Et elle peut avoir un effet bienfaisant dans la mesure où elle peut contribuer à remettre les pendules à l'heure, par exemple, sur le coût de nos émissions de CO2, ainsi que susciter d'utiles changements de comportements. Par exemple, si les Français se déclarent depuis longtemps préoccupés par l'écologie, ils n'avaient guère modifié jusqu'à présent leurs comportements. Les choses commencent à changer, y compris grâce au renouvellement des générations : ainsi, malgré la crise économique, la consommation « socialement responsable » progresse.

    Tous les pays sont-ils logés à la même enseigne ?

    Ne nous leurrons pas, la vulnérabilité des différentes économies à la crise, la capacité de rebond des différents pays ne sont pas les mêmes. La crise a été ravageuse aux États-Unis, sans pourtant entamer la foi des Américains en l'avenir et le gouvernement a aussitôt su réagir très énergiquement. De son côté, il semble bien que le plan de relance chinois a, lui aussi, été très efficace, en bref, qu'entre les deux rives du Pacifique, les perspectives s'améliorent. Je n'observe rien de tel dans une Europe profondément hétérogène composée de pays inégalement touchés par la crise. Le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne ont été beaucoup plus durement touchés que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> où les amortisseurs ont mieux fonctionné. Mais si l'économie allemande est prête à repartir, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> souffre en revanche d'un retard considérable en termes d'adaptation et d'innovation, de sorte que la crise risque d'y être beaucoup plus durable. Cela nous renvoie aux vieux thèmes des obstacles à la croissance sur lesquels la multiplication des rapports d'experts n'a rien changé.

    Le modèle social français va-t-il résister à la crise ?

    Soyons clairs : <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> souffre d'un chômage endémique depuis quarante ans, celui-ci n'étant que la partie la plus visible d'une situation de sous-emploi dramatique, notamment des jeunes et des seniors. Confrontée au choc du vieillissement démographique et, de facto, incapable de créer les conditions propices à l'allongement de la durée d'activité et donc de cotisation, elle a un système de protection sociale qui court à la faillite. Nous allons droit dans le mur. Nous ne voulons pas le voir et, comme aucun pays n'est plus individualiste, le repli sur soi et la défense par chacun de ses propres intérêts au détriment de l'intérêt collectif me font craindre le pire. Nous sommes en panne de projet et donc incapables de susciter l'immense mobilisation collective qui serait nécessaire.

    À quoi pourrait ressembler le monde de demain ?

    Les tendances lourdes ne sont bien évidemment pas remises en cause. Le déséquilibre démographique entre l'Asie et le reste du monde est une évidence depuis bien longtemps. Comme le fait que les pays émergents affichent une volonté très forte de développement qui s'exprime hélas par un mimétisme très important avec nos modes de vie, ceci entraînant inéluctablement une compétition de plus en plus vive sur les matières premières, l'eau potable, les terres arables, les hydrocarbures? Il faut s'attendre à une hausse importante du prix des matières premières qui pour autant n'aura pas nécessairement la vertu magique que les économistes accordent trop souvent aux prix. Il nous faudra donc inventer un autre modèle de développement prenant davantage appui sur une ressource naturelle qui, elle, est inépuisable : les ressources humaines, tout ce qu'elles recèlent d'intelligence, d'énergie et de volonté, les capacités des hommes à inventer et à entreprendre sans attendre d'autrui quelque miracle. C'est de celles-là aujourd'hui que dépendent essentiellement les performances des entreprises et des territoires.

    Propos recueillis par Éric Benhamou

     


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  • Un juge fédéral américain met en cause les primes versées par la banque d'affaires Merrill Lynch Les plus hauts salaires dans les sociétés renflouées vont être soumis d'ici deux mois à un contrôle public


    New York Correspondant

     

    Les dirigeants des banques sont-ils " des fantômes ou des êtres humains " ? En posant cette question mordante, lundi 10 août, le juge fédéral Jed Rakoff, connu dans le milieu juridique new-yorkais pour sa carrière " exemplaire ", a jeté un froid tant du côté des grands banquiers que de celui des pouvoirs publics américains.

    A l'automne 2008, la banque d'affaires Merrill Lynch, qui enregistrait 28 milliards de dollars (19,8 milliards d'euros) de pertes, est reprise par Bank of America (BofA). Le rachat est soumis au vote des actionnaires. Petit détail : les informations qui leur sont remises omettent de signaler le versement à la dernière minute de 3,6 milliards de dollars de " bonus " (primes) aux cadres dirigeants de Merrill.

    Depuis, <st1:personname productid="la Securities" w:st="on">la Securities</st1:personname> & Exchange Commission (SEC), le contrôleur des marchés financiers, a porté plainte. BofA et sa filiale Merrill ont négocié avec elle un accord à l'amiable. Il prévoit qu'elles paieront une amende de 33 millions de dollars. <st1:personname productid="La SEC" w:st="on">La SEC</st1:personname> a accepté qu'aucune poursuite ne soit engagée contre les dirigeants des deux banques. D'où la question du juge Rakoff : comment accepter que les auteurs du délit de dissimulation d'une information légalement obligatoire ne soient pas connus ? Ce ne sont pas " des fantômes "... " Qui est responsable ? ", a demandé le juge, qui a refusé de donner, pour l'instant, son aval à l'accord SEC-BofA-Merrill.

    Il a nommément évoqué les deux PDG qui ont négocié le rachat, John Thain et Kenneth Lewis, sur le mode : suivez mon regard. Durant l'audience, le juge s'est souvent montré caustique, feignant une connaissance limitée des milieux financiers pour poser des questions faussement naïves. Lorsque l'on perd 28 milliards, à Wall Street, " on s'attend encore à percevoir de grosses primes ", n'est-ce pas ? Pourquoi une amende équivalente à moins de 1 % du montant sur lequel porte le délit (33 millions pour 3,6 milliards de primes distribuées) ? Le juge se dit " troublé " par une telle générosité de <st1:personname productid="La SEC" w:st="on">la SEC</st1:personname> envers ceux contre qui elle dépose plainte.

    Lorsque l'avocat de Bank of America (BofA), Lewis Liman, rappelle que les 850 millions de dollars distribués à 696 cadres dirigeants correspondaient à des engagements contractuels, et que le reste a été réparti entre 39 000 salariés, soit une moyenne de 91 000 dollars par personne " seulement ", le juge fédéral Jed Rakoff rétorque : " Je suis heureux que vous estimiez que 91 000 dollars sont une petite somme. Ah, si chaque Américain pouvait en gagner autant ! " Penaud, l'avocat admet que c'est là " beaucoup d'argent " pour la plupart de ses concitoyens.

    Enfin, lorsque les avocats des banques expliquent que, sur le plan comptable, ces bonus ne sont pas tributaires des sommes versées par l'Etat pour renflouer BofA (45 milliards de dollars au total), le juge aimerait comprendre : " Si Merrill Lynch n'avait pas payé ces 3,6 milliards - de bonus - , aurait-il eu 3,6 milliards de pertes en moins ", oui ou non ?

    Qu'un juge refuse d'avaliser un accord amiable entre une agence fédérale et une entreprise est rarissime. Cela montre que, malgré les bons résultats affichés par quelques grands établissements au dernier trimestre, l'assainissement des pratiques financières reste une préoccupation de premier ordre dans l'opinion.

    Complaisance

    Dans la décision du juge Rakoff, chacun en prend pour son grade. Il a donné à Bank of America deux semaines pour lui fournir le complément d'information. Il veut savoir qui a " trompé les actionnaires " avant de se prononcer. <st1:personname productid="La SEC" w:st="on">La SEC</st1:personname>, le contrôleur américain des marchés financiers, est aussi visée : l'accord amiable qu'elle a signé " manque de transparence ".

    Mary Schapiro, sa directrice, nommée par Barack Obama, entend reconstruire l'image très dégradée du gendarme des marchés. Accusée de complaisance avec Wall Street (envers les pratiques à haut risque des traders, envers l'escroc Bernard Madoff...), <st1:personname productid="La SEC" w:st="on">la SEC</st1:personname> a sauvé sa tête en promettant une réorganisation en profondeur. Mme Schapiro a embauché de nombreux juristes spécialisés pour muscler ses équipes et montrer qu'elle pourchassera obstinément les pratiques condamnables.

    Pour elle, la décision du juge Rakoff tombe mal : la mansuétude dont elle a fait preuve vis-à-vis de BofA accrédite l'idée qu'au fond, <st1:personname productid="La SEC" w:st="on">la SEC</st1:personname> se soucie toujours plus de protéger les banquiers que de les contrôler.

    En replaçant sous les projecteurs le thème des bonus et des rémunérations des dirigeants d'entreprises, l'affaire tombe d'autant plus mal que, jeudi 13 août, les sept plus importantes sociétés renflouées par l'Etat doivent présenter leur nouvelle politique de rémunérations à Kenneth Feinberg, le grand ordonnateur (" czar ", ou tsar) des rémunérations désigné par Barack Obama.

    Le processus d'audit que mène ce dernier a été qualifié d'" opaque " par le Washington Post et les décisions qu'il prendra d'" extrêmement sensibles politiquement ".

    Depuis le tollé suscité en mars par le versement de 165 millions de dollars de primes aux cadres de l'assureur AIG, qui a reçu plus de 170 milliards d'aide publique, l'administration Obama paraît naviguer entre la volonté de restructurer au mieux les entreprises renflouées pour les reprivatiser au plus tôt - et donc leur permettre de garder leurs meilleurs cadres en les payant au prix fort - et celle de répondre aux attentes de l'opinion qui, à chaque nouvelle affaire, s'indigne de la taille des émoluments contractuellement garantis aux dirigeants, quels que soient leurs résultats.

    M. Feinberg, a indiqué le Trésor, devra veiller " au juste équilibre entre le besoin des entreprises de garder leurs talents, la récompense de la performance et la protection des investissements des contribuables - l'argent public du renflouement - ".

    Faut-il préserver les " primes garanties " dans ces sept sociétés ? Dans quelle mesure les émoluments des dirigeants dépendront-ils des résultats de l'entreprise, et sur quelle durée ? Faut-il plafonner le total des primes individuelles ? M. Feinberg devra trancher sur ces questions et bien d'autres.

    " Mission impossible "

    Il lui sera très difficile d'imposer aux entreprises renflouées des normes salariales trop inférieures à celles en vigueur sur le marché, au risque de voir leurs plus brillants cadres vite débauchés. Mais si aucune mesure drastique en termes d'émoluments ne vient réduire à l'avenir la prise de risque, l'opinion estimera que rien n'a changé.

    Conseiller aux rémunérations de plusieurs grandes banques, le juriste Robert Profusek a affirmé au Washington Post que la tâche de M. Feinberg, " c'est mission impossible ". Banque renflouée, BofA a récemment " piqué " à JPMorgan Chase l'un de ses traders vétérans en lui garantissant 6 millions de dollars annuels minimum : le double de ce qu'il gagnait jusqu'ici...

    Sylvain Cypel

     

    C’est pas gagné, mais la bas au moins il existe des personnes qui ont encore le sens des « choses » . Souhaitons leur bon courage et surtout bonne chance, et pour nous qu’ils gagnent, sinon faudra faire la révolution.
    Chez nous j’aimerais voir des « juges, politiques, etc… » qui se battent contre ces pratiques. Jusqu’à preuve du contraire nous n’avons que de belles paroles.

     


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  • Rémunération des dirigeants : timide, trop timide AMF

    L'Autorité des marchés financiers constate, dans un rapport de 55 pages, que les groupes français prennent leurs aises avec les règles de rémunération qu'ils se sont tous engagés à respecter en 2008. Mais de là à les sanctionner, il y a un pas que le régulateur n'a pas l'air prêt à franchir.

    En 2004, lors du premier rapport de l'AMF sur le gouvernement d'entreprise des sociétés cotées, on s'étonnait de la partialité de ce travail : sa seule référence en matière de standards de place était alors constituée des recommandations Afep-Medef et des notes du comité juridique de l'Association nationale des sociétés par actions, documents fort utiles et respectables, mais qui ne représentent que la sensibilité des seuls émetteurs? Comme si les investisseurs et leurs représentants n'existaient pas, comme si leurs organisations s'étaient abstenues de toute recommandation en la matière.

    La même remarque s'imposerait-elle aujourd'hui à la lecture du rapport AMF, publié le 9 juillet, sur la rémunération des dirigeants consacré exclusivement à la mise en ?uvre des recommandations Afep-Medef de 2008 ?

    L'objectif des recommandations patronales, pleines de bons sentiments, était surtout d'éviter que la politique n'intervienne de façon autoritaire dans la fixation des rémunérations. Et nul ne s'attendait à ce que les patrons les mieux payés de France encouragent à la réduction des rémunérations et dénoncent véritablement les abus.

    On pouvait déplorer que ces derniers aient oublié la responsabilité des commissaires aux comptes dans la publication de chiffres incomplets et plus encore le rôle des actionnaires dans la supervision finale des éléments de rémunérations? À défaut de s'en remettre aux vrais responsables des abus, l'organisation patronale avait publié un catalogue de bonnes intentions de style incantatoire, qui ne facilitait aucunement la tâche de contrôle que s'est aujourd'hui assignée le régulateur.

    Pourtant, ce rapport de 55 pages de l'AMF, document essentiellement statistique, sur le comportement des grandes sociétés cotées, n'est pas sans intérêt. En effet, ces soixante sociétés ayant déclaré appliquer le code Afep-Medef sous la certification de leurs auditeurs, c'est au titre du contrôle du « respect du code » que l'AMF justifie aujourd'hui la démarche. Dès lors, cela implique que les nombreux manquements observés par ce rapport sont autant d'écarts individuels relevés par le gendarme de <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> quant à l'intégrité de l'information.

    Les écarts quant aux engagements proclamés sont nombreux : ainsi 40 % des soixante sociétés n'exigent pas de conditions de performance sur leurs options, alors même que le code prévoit que l'exercice des options attribuées aux dirigeants soit soumis à des conditions de performance ou à défaut justifié dans le document de référence?

    7 % des sociétés concernées par la question du cumul du contrat de travail et du mandat ne donnent aucune information sur la politique arrêtée.

    12 % des sociétés donnent plus de deux ans d'indemnité de départ et 9 % des sociétés n'évaluent la performance pour les indemnités de départ que sur un exercice.

    7 % des sociétés n'informent pas sur le calcul des retraites, 40 % ne les soumettent pas à une condition de présence dans l'entreprise et 30 % calculent ces prestations sur une assiette de moins de deux ans.

    Aucune des grandes sociétés ainsi prises en flagrant délit de communication défectueuse n'est citée individuellement, et la question des suites qu'apportera le gendarme à tous les manquements relevés se pose ? s'il en apporte jamais?

    L'AMF livre des chiffres de rémunération moyenne dont la valeur statistique reste faible : rappelons que le régulateur avait abandonné l'application de ses propres recommandations de 1994, exigeant la publication des dix premières rémunérations versées. Il conviendra d'y revenir afin que la place dispose d'une base statistique claire sur la rémunération moyenne du premier dirigeant exécutif et des dix premiers salariés des groupes.

    Au-delà de ses constats sur la transparence, l'AMF, qui entend heureusement « encourager la modération », « mettre un terme aux abus », entre alors discrètement dans le fond du sujet, au risque de faire jurisprudence sur une matière très difficile à réglementer.

    Dans sa piste de réflexion n° 1, l'AMF suggère à l'organisation patronale d'être plus précise sur les conditions de performance qui doivent être « plus exigeantes » et sur le caractère « moins disproportionné » de la répartition des options? Mais l'AMF admet complaisamment la pleine recevabilité de critères de performance qualitatifs, « tout à fait légitimes », même s'ils restent confidentiels, pour la détermination de la partie variable de la rémunération.

    L'AMF propose, dans sa piste de réflexion n° 2, aux sociétés d'interdire dans leurs statuts le recours des dirigeants à des instruments de couverture : une telle interdiction est directement du ressort des opérations de marché que seule la puissance publique peut réglementer et contrôler. Quand donc nos régulateurs accepteront-ils de mieux réglementer les opérations d'initiés ?

    La piste de réflexion n° 3 s'intéresse au cas rare des dirigeants d'entreprise cotée filiale d'entreprise cotée, cas qui est celui du président d'une grande entreprise automobile française peu disert sur sa rémunération : c'est une bonne chose, et il y a lieu d'interpeller les sociétés et les commissaires aux comptes sur l'application de notre procédure des conventions réglementées.

    Saluons sur ce point la recommandation n° 4 qui vise les présidents non exécutifs, ceux qui, de par leur responsabilité sur la gouvernance, eussent dû faire voter leur propre rémunération, soit comme conventions réglementées, soit comme jeton de présence. Rappelons que trois grandes sociétés, Total, Sanofi-Aventis et Capgemini, ont préféré cette année ne pas respecter la loi et ne pas recevoir la proposition de mise au vote de leur rémunération. Nos présidents auraient-ils honte de leurs émoluments ?

    Enfin, « in cauda deliciae », le meilleur est à la fin : c'est auprès de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> européenne que la recommandation n° 5 de l'AMF vient trouver la force de proposer, si les patrons français le veulent bien, d'intégrer dans le code les critères de performance de long terme, le paiement différé d'une partie du variable et l'exclusion de ce variable de l'assiette de l'indemnité de départ. Mieux, l'AMF, c'était vraiment inespéré, évoque, sous couvert de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname>, un rôle possible pour les actionnaires dans le processus?

    Merci donc à l'AMF pour ce parfait exercice de « soft law »? Mais au regard de l'indignation qu'inspirent les détournements de fonds de dirigeants peu scrupuleux, il ne faudra pas se contenter de donner aux patrons la statistique de leurs manquements à leurs propres règles. Il conviendra de sanctionner les manquements à l'intégrité de l'information, de faire resserrer le dispositif des conventions réglementées et d'appeler alors les actionnaires à leurs devoirs. n

    point de vue Pierre-Henri Leroy président de Proxinvest, société de services aux actionnaires

    Et pourtant c’est un patron qui le dit.

    Il nous amuse et l’Etat la dedans rien (Rappelons qu’il y a peu M. Jouyet, patron de l’AMF était un des membres du gouvernement en tant que conseiller du Président).

    Je vous le répète le pouvoir actionnarial.
    Enfin une mesure contre la démesure de la finance, le SLAM !
    Pourquoi on peut tout dire sauf s’attaquer au pouvoir actionnarial ? 

    Vous si vous manquez au règle vous croyez qu’on fait quoi ?.

    J’ai mis six mois, pour arriver à convaincre (un peu) Mme Sophie de Menton présidente d’Ethic sur ce point, elle à fini par démissionner. Mais combien reste à faire.


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  • Le redressement de la production industrielle fait entrevoir une reprise
    Selon l’Insee, la production industrielle a augmenté en France de 0,3 % en juin après une hausse de 2,8 %
    en mai. La Banque de France prévoit de son côté une stabilisation du PIB au troisième trimestre.

    Je ne sais pas de qui on se moque. Si cela était votre budget vous diriez quoi ?


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