• Pour Sarkozy, l’Union européenne n’a plus la cote

    Invité du Forum économique mondial de Davos, le président français a de nouveau appelé, le 27 janvier, à une refonte du capitalisme. Mais, dans cette entreprise, il compte moins s’appuyer sur l’Union européenne que sur le G20.

    28.01.2010 | Lluís Bassets | El País

    © AFP

    Nicolas Sarkozy était le premier président français à s'exprimer devant le Forum économique mondial, le 27 janvier à Davos

    L’air du temps

    “Nous avons besoin d’un nouveau Bretton Woods.”  Cette déclaration de Nicolas Sarkozy à Davos a été vivement applaudie. “Les Français sont-ils devenus fous ?”  interroge le Financial Times, qui juge “démodée”  l’idée d’une refonte du système financier international. “Mais les investisseurs devraient prendre note du fait que Nicolas Sarkozy a dû sentir le vent tourner : la question de la volatilité des taux de change devrait bientôt figurer en haut de l’agenda politique”, admet-il. Et Paris, qui présidera le G20 en 2011, saura alors faire valoir ses arguments.

    Cet Etat, en somme, a tout inventé : la nation, la citoyenneté, l’égalité, la liberté aussi, la voie vers l’unité européenne évidemment. Et, aujourd’hui, il va devoir aller plus loin encore et réparer le système capitaliste. Cet Etat n’est pas une invention socialiste ni une chimère de gauche. Il n’est pas non plus une idée récente ni le fruit de l’imagination postmoderne : il est antérieur à la division du monde politique en deux hémisphères, et c’est l’œuvre de l’intendant du roi de France Jean-Baptiste Colbert (1619-1693), authentique créateur de l’idée française de l’Etat. A l’époque de la mondialisation triomphante, le colbertisme devait se faire tout petit. En revanche, maintenant qu’est survenue l’avarie, une nouvelle occasion se présente à lui de réparer le capitalisme et d’organiser une nouvelle gouvernance mondiale.

    Tel est le fond du discours d’ouverture du Forum économique mondial prononcé par Nicolas Sarkozy, le 27 janvier, à Davos. C’est la première fois qu’un président français en exercice s’exprimait à l’occasion de ce sommet annuel, qui incarne mieux que toute autre institution les vices et les vertus de la globalisation (ou de la mondialisation, comme préfèrent dire les Français). Quand Obama défend la “guerre juste” tout en recevant le prix Nobel de la paix, Sarkozy condamne le libre-échange, le capitalisme financier et les manipulations comptables à l’endroit même où se trouvent réunis les défenseurs les plus ardents de toutes ces idées. Et il dit sans détour à ces derniers, avec toute l’emphase théâtrale qui caractérise ses discours, que la sauvegarde du capitalisme passera par sa refonte et sa moralisation. Davos est une Bourse du pouvoir. Pas un petit marché quelconque, non, mais probablement l’une des arènes les plus fiables où le pouvoir se distribue mondialement sous toutes ses facettes – économiques, politiques et même morales. Et, au bout du compte, les cotes ne mentent pas. Ce qui monte le mérite, ce qui baisse aussi. La Chine, l’Inde, le Brésil sont en hausse. Les Etats-Unis stagnent, tanguent, superpuissance en transition entre sa solitude passée au sein d’un monde unipolaire et la concurrence et la cohue qui l’entourent dans ce nouveau monde multipolaire. L’Union européenne, elle, baisse – et il faut voir de quelle manière –, tandis que le G20 monte. Les nouveaux hauts représentants européens, le Belge Van Rompuy et la Britannique Ashton, n’ont pas souhaité utiliser ce Forum pour montrer un peu de leur trop rare image publique. Cette absence s’est aussi retrouvée dans le discours de Sarkozy, où l’Europe et ses institutions n’ont pas eu droit à la moindre mention. A l’inverse, le G20 a été présenté comme la grande réussite de l’année 2009, l’esquisse d’un monde enfin gouverné.

    La France veut échapper au naufrage des vingt-sept

    Le colbertisme de Sarkozy n’est évidemment pas une nouveauté. On peut même penser qu’il est inscrit dans l’ADN des politiques français. Mais, dans sa phase précédente, celle de l’avant-crise, l’énergique président de la République ressemblait davantage à un émule de Margaret Thatcher, prêt à faire des coupes claires dans le secteur public et à réduire l’intervention de l’Etat, qu’à un continuateur de l’étatisme inventé par les Bourbons de France. Or, aujourd’hui, il va au-delà de ses objectifs idéologiques. La France présidera en 2011 le G8 et le G20, et à cette occasion jettera aux orties ses vieux credo pour tenter d’appliquer les idées exposées par son président à Davos, y compris la réforme du système monétaire international via un nouveau Bretton Woods.

    Quel intérêt a pour Sarkozy l’Union européenne, quand la France peut jouer directement, l’année prochaine, la puissance réformatrice qui sauvera le capitalisme ? On a pu constater à Copenhague déjà, lors du sommet sur le climat, ce qui se joue aujourd’hui à Davos : la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis ; l’ascension de ces irrésistibles qu’on appelait avant les émergents ; l’Europe qui se réduit comme peau de chagrin et se fait absente ; et puis les disparus, ces pays acteurs qui étaient encore tout récemment au premier plan et qui sont subitement sortis du champ de vision ou ont simplement préféré l’absence [allusion à Israël et à la Turquie]. Sarkozy fait monter les paris parce qu’il est conscient de l’enchevêtrement des faiblesses européennes. Nous, Européens, possédons davantage de sièges que quiconque dans les institutions internationales, mais nous comptons et allons compter de moins en moins. On peut sans risque avancer que ce déséquilibre entre une si faible volonté de puissance et un tel excès de sièges aux tables internationales finira par avoir pour l’Europe la pire des conclusions. Et la France ne veut pas sortir perdante du pari ou entend, à tout le moins, sauver les meubles.


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  • La Grèce peut-elle éviter le lion ?

    Kenneth Rogoff

     

    ATHENES – Même si l’Union Européenne et le Fond Monétaire International travaillent à poser les fondations pour un premier gigantesque sauvetage, le débat reste vif en ce qui concerne la Grèce et sa capacité à éviter un défaut souverain.

    Certains trouvent d’étonnants parallèles entre la Grèce et l’Argentine, cette dernière ayant, en 2001, établi le record mondial de défaut (en dollars). D’autres, dont le Premier Ministre grec George Papandréou, estiment que les problèmes du pays sont conséquents mais pas ingérables, et s’inquiètent de l’ingérence spéculative de certains pays étrangers mal intentionnés.

    Il est possible d’éviter cette situation, mais ce ne sera pas facile. Il suffit de regarder les chiffres officiels, y compris la dette extérieure de la Grèce, qui représente 170% de son revenu national, ou son déficit public (presque13% du PNB).

    Mais le problème ne réside pas uniquement dans les chiffres ; c’est aussi un problème de crédibilité. Personne n’a confiance dans les chiffres avancés par le gouvernement grec compte tenu d’un manque flagrant de données statistiques fiables depuis des années. Le passif historique de la Grèce n’inspire pas non plus confiance.

    Comme l’a démontré mon dernier livre co-écrit avec Carmen Reinhart This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly (Cette fois, c’est différent : huit siècles de folie financière, ndt), la Grèce est en cessation de paiement presque une année sur deux depuis qu’elle a conquis son indépendance au XIXème siècle. Lorsque se profile la perte de crédibilité, elle peut avoir des conséquences dramatiques. L’histoire vous revient en pleine figure et, tandis que la dette publique peut augmenter lentement et inexorablement pendant des années, la fin est souvent brutale et soudaine.

    Et cela peut arriver à n’importe quel pays, mais les pays développés sont souvent mieux armés pour resserrer leur politique budgétaire avec suffisamment de rapidité et de crédibilité ce qui permet de limiter les dégâts à une croissance ralentie. Malheureusement, pour les économies émergeantes, il leur est difficile de procéder à ces ajustements sans aide extérieure. C’est le précipice sur lequel se trouve la Grèce aujourd’hui.

    Une crise de la dette n’est pas inévitable. Mais le gouvernement doit procéder en urgence à des ajustements budgétaires crédibles, associant non seulement une augmentation de ses taux d’imposition mais aussi une diminution drastique des dépenses publiques qui ont considérablement augmenté entre 2007 et 2009 (passant de 45 à 52% du PNB). Le gouvernement doit éviter de trop s’appuyer sur la hausse des impôts, qui, à terme, freinent la croissance et la viabilité. Il serait bien plus préférable d’équilibrer les augmentations d’impôts avec la réduction des dépenses publiques.

    Des amis grecs me disent que la Grèce n’est pas la seule dans cette situation. Et ils ont raison. Certains pays vont immanquablement faire les mêmes expériences de sauvetage et de défauts de paiements. Un des phénomènes récurrents les plus significatifs que Reinhart et moi-même avons déterminé est qu’une vague de crises bancaires internationales est le plus souvent suivie d’une vague de défauts souverains et de restructurations.

    Cette corrélation n’est pas surprenante compte tenu de l’augmentation importante des dettes publiques que les pays subissent habituellement après une crise bancaire. Nous avons pu le constater à nouveau cette fois-ci avec la dette des pays en crise qui a augmenté de plus de 75% depuis 2007.

    Mais, tandis que nous allons peut-être constater une vague de défauts et de programmes du FMI, il n’est pas certain que tous les pays fortement endettés connaitront une débâcle budgétaire. Si un pays comme la Grèce veut s’en sortir, elle devrait mettre tout en œuvre pour ne pas faire partie de la première ni de la deuxième vague de restructurations et de programmes du FMI. Si elle y parvient, alors peut-être que le fait de constater les difficultés des autres pays suffira à convaincre les élites politiques grecques de consentir à certains ajustements. Dans le cas contraire, la Grèce perdra une partie du contrôle qu’elle pourrait avoir sur ses ajustements et pourrait connaître des traumatismes bien plus importants, qui pourrait l’entrainer définitivement à l’insolvabilité.

    Une vieille blague raconte l’histoire de deux hommes piégés dans la jungle par un lion après le crash de leur avion. Lorsque le premier des deux hommes commence à enfiler ses chaussures, le second lui demande pourquoi. Le premier lui répond : « Je me tiens prêt à courir. » L’autre lui répond qu’il ne peut pas se mesurer au lion. Alors le premier lui rétorque : « C’est pas pour courir plus vite que le lion. Il faut juste que je courre plus vite que toi. »

    La Grèce n’a pas encore enfilé ses chaussures, alors que d’autres pays en difficultés, comme l’Irlande, sont déjà dans la course avec d’importants ajustements budgétaires. Le nouveau gouvernement socialiste de la Grèce est paralysé par ses propres promesses électorales qui prétendaient qu’il y avait de l’argent pour résoudre les problèmes, alors qu’en fait, la situation est pire que ce que l’on pouvait imaginer. Les syndicats et les agriculteurs organisent des barrages routiers presque quotidiennement, et les choses pourraient bien empirer.

    Les Grecs font ce qu’ils peuvent pour contourner les décisions du gouvernement visant à augmenter les impôts sur le revenu ; les plus riches déplacent leur argent à l’étranger et les autres se tournent vers l’économie souterraine. L’économie souterraine de la Grèce, dont on estime qu’elle représente jusqu’à 30% du PNB, demeure une des plus importante d’Europe, et se développe chaque jour un peu plus.

    Dans le cas de l’Argentine, deux prêts massifs du FMI en 2000 et 2001 avaient permis de retarder le recours inévitable mais difficile aux ajustements ; mais ces prêts ne firent qu’empirer la situation à terme. Comme en Argentine, la Grèce a un taux de change fixe, une longue histoire de déficits budgétaires, et une histoire plus longue encore de défauts souverains. La Grèce peut néanmoins éviter un effondrement comparable à celui de l’Argentine, mais elle doit pour cela s’engager dans des ajustements bien plus fermement déterminés. Il est temps d’enfiler ses chaussures de course.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats


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  • L'homme qui fait trembler l'euro

    Confronté à une grave crise économique, Georges Papandréou , le premier ministre grec, annonce des mesures d'austérité sous la pression de Bruxelles


    Athènes Envoyée spéciale
     

                Le monde le regarde. Le destin de l'euro tient à lui. Elu depuis tout juste quatre mois, le premier ministre grec est le point de mire des dirigeants et des marchés de la planète, pressé de questions affolées sur la situation dont il a hérité : un pays au bord de la faillite, discrédité sur les marchés, exposé à la spéculation, étranglé par une dette et un déficit public colossaux, un Etat dysfonctionnel, un système de fraude généralisé.

    Le raffinement est son arme. Costume bleu marine, chemise blanche, cravate délicatement violette, Georges Papandréou a la silhouette longue et distinguée, la moustache taillée au millimètre, la politesse souriante, l'anglais parfait du brillant élève passé par Harvard et la London School of Economics, la graisse évanouie dans des heures quotidiennes de fitness et de cyclisme à haute dose. Si peu balkanique, si différent.

    Devenir premier ministre n'était pas sa vocation, lui qui, à la fin des années 1960, étudiait la sociologie aux Etats-Unis et manifestait, cheveux longs et guitare rock en bandoulière, contre la guerre du Vietnam. " Si la Grèce avait été à l'époque un pays normal, dit-il dans son bureau à Athènes, je ne serais pas entré en politique. "

    Son nom a fini par le rattraper. Celui de son grand-père, Georges Papandréou, trois fois premier ministre, centriste, figure mythique de la politique des années 1960. Celui de son père, Andréas Papandréou, ministre et économiste renommé, fondateur du Pasok (parti socialiste grec), et premier ministre dans les années 1980. Quant à lui, ce rêveur affable et modeste que l'on appellera longtemps Yorgakis (petit Georges), personne n'imaginait qu'il dirigerait le pays à son tour, dernier-né de l'une des trois dynasties familiales qui, avec les Caramanlis et les Mitsotakis, se partagent le pouvoir en Grèce depuis l'après-guerre.

    Il a 14 ans ce 21 avril 1967. Le coup d'Etat des colonels, prélude à la dictature qui durera sept ans, vient d'avoir lieu. Les militaires viennent chercher son père, Andréas, caché sur le toit de la maison. L'un d'eux lui colle sa mitraillette sur la tempe. " Où est-il ? " L'enfant ne répond pas. La mitraillette frémit. Andréas se rend. Pour lui, c'est la prison. Puis, pour toute la famille, l'exil.

    Georges Papandréou vient d'ailleurs. Avant la guerre, son père Andréas, déjà forcé à quitter la Grèce pour des raisons liées à ses activités trotskistes, était devenu citoyen américain, avait enseigné l'économie à l'université de Berkeley, puis en Suède et au Canada. Georges a une mère américaine, est né au Minnesota, a grandi en Californie et étudié dans l'Illinois, à Londres, à Stockholm. Il parle à quasi-égalité l'anglais, le grec et le suédois.

    A son retour en Grèce, en 1974, la dictature abolie, il découvre un pays où tout est à réinventer. Et une élite forcée comme lui à l'exil, revenue " avec des idées nouvelles, la capacité de comparer, de tirer réflexion des contrastes. "

    Etre différent, c'est son atout. " L'étranger " est un drôle de zèbre, mélange de " libéral " à l'américaine et de social-démocrate suédois, défenseur des libertés individuelles, de l'Etat-providence, de l'environnement, du progrès technique. Théodoros Pangalos, vice-premier ministre, s'amuse à rappeler ces années 1990 où Georges était ministre dans le gouvernement de son père, Andréas Papandréou : " En réunion, Georges prenait des notes sur un ordinateur portable. Nous, nous avions nos feuilles et nos crayons. On se donnait des coups de coude : "Regarde, le petit Georges joue, il n'a toujours pas grandi !". En fait, comme toujours, il avait plusieurs longueurs d'avance... "

    Au sein de la dynastie Papandréou aussi, il fait la différence. Après Georges " l'ancien ", le centriste anticommuniste, après Andréas le tempétueux tribun socialiste aux accents nationalistes, Yorgakis, président de l'Internationale socialiste depuis 2006, conquiert les Grecs par un agenda progressiste inhabituel. Il est hostile au blairisme, croit en la primauté de la politique sur le marché, préconise une société ouverte et multiculturelle, une économie tournée vers la valeur ajoutée et la croissance verte. " Je suis fier de porter mon nom mais je gouvernerai à ma façon. Comme Sinatra, je pourrai dire : "I did it my way". "

    Son style politique, il l'a déjà esquissé. Ministre de l'éducation, en 1988, il s'affronte au conservatisme ambiant et à la puissance de l'Eglise orthodoxe en défendant les droits des homosexuels. Ministre des affaires étrangères très estimé, en 1999, il milite en faveur de l'Europe et tempère l'anti-américanisme, sport national en Grèce. Il établit des conditions de dialogue avec la soeur ennemie, la Turquie, soutient la candidature de celle-ci à l'Union européenne (UE), contribue à l'intégration de Chypre dans l'UE.

    " Yorgakis sait écouter, il ne fait pas l'intelligent, il prend calmement des décisions audacieuses. Il nous change de ce théâtre balkanique dont nous sommes tous fatigués ", témoigne l'un de ses anciens collègues au gouvernement, Nikos Dimadis. " La Grèce a plus que jamais besoin d'un dirigeant différent, citoyen du monde, qui a sur son pays une pensée globale ", analyse l'éditorialiste de centre droit, Georges Kirtsos.

    Depuis quatre mois, Georges Papandréou est parti en guerre contre un Etat pléthorique, contre la corruption et l'économie parallèle. La droite l'accuse déjà d'immobilisme. Des mouvements sociaux se préparent contre les mesures d'austérité annoncées.

    Certains le craignent plus visionnaire que pragmatique, plus théoricien que politique. Mais la Grèce n'a plus le choix, la zone euro non plus. Le petit Georges est peut-être la dernière chance. Lui-même en a fait un slogan : " Nous devons changer, ou sombrer. "

    Marion Van Renterghem


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