• Mais techniquement  nous sommes en haut de cycle, donc prudence.


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  • Le point de vue de André Babeau

    Crédit à la consommation et déséquilibre entre l’Amérique et la Chine  

    Curieusement, le rôle du crédit dans la consommation des particuliers n’a été reconnu que très tardivement par les économistes. En 1985, Franco Modigliani reçoit le prix Nobel pour sa fameuse théorie du cycle de vie dans laquelle la « contrainte de liquidité » (les difficultés d’accès au crédit) ne joue qu’un rôle secondaire dans les décisions des particuliers. C’est en effet, selon lui, le revenu moyen des ménages sur l’ensemble de leur cycle de vie qui est, à chaque instant, le déterminant majeur de leur consommation. Conséquence de la calamiteuse séparation, trop longtemps maintenue, entre variables financières et variables réelles (investissement, consommation, etc.), il a donc fallu attendre la dernière décennie du XXe siècle pour que le rôle, souvent prépondérant du crédit dans les décisions des particuliers soit enfin correctement apprécié. Le développement du crédit à la consommation favorise les achats en permettant d’avancer les dates de réalisation, surtout pour les biens durables ; quant au crédit à l’habitat, il agit dans le même sens, en permettant de réduire l’épargne consacrée à la constitution de l’apport personnel. Or il s’avère qu’au cours de la première décennie de ce siècle, le plus ou moins grand développement du crédit aux ménages a été à la source du déséquilibre international majeur qui a débouché sur la crise dont nous sortons à peine : il s’agit bien sûr de l’énorme déficit de la balance commerciale des Etats-Unis et du non moins énorme surplus de celle de l’Empire du milieu. Depuis le début du siècle, si la consommation des ménages américains – et donc les importations des Etats-Unis – a été excessive, il est désormais bien connu que c’est en raison d’un développement déraisonnable du crédit aux particuliers : un développement d’ailleurs auto-entretenu puisque le crédit « habitat » y favorisait la hausse des prix des logements et que cette dernière, à son tour, provoquait une nouvelle « distribution » de crédits dans ce pays où l’on emprunte sur la valeur de son capital et non sur son revenu. Il est en revanche beaucoup moins connu que c’est, selon toute vraisemblance, le faible accès des Chinois au crédit – surtout dans les campagnes – qui explique leur sous-consommation au cours de la dernière décennie et, partant, le fort niveau des exportations de la Chine. Les Chinois ont sans doute le taux d’épargne des ménages le plus élevé au monde, de l’ordre de 30 % de leur revenu. Jusqu’à présent, on expliquait ce niveau record – le taux d’épargne des ménages américains ne dépassait guère alors 5 % – par une indispensable épargne de précaution : de court terme, avec un système très insuffisant d’assurance-maladie, de long terme, avec des régimes de retraite très embryonnaires. Mais cette absence de protection sociale est ancienne ; alors pourquoi la consommation des Chinois, qui représentait encore près de moitié du PIB en 2000, est-elle tombée à moins du tiers en 2007 ?L’explication de ce très fort tassement paraît bien venir de modifications dans l’accès au crédit entre ces deux dates. Au cours des années 1980 et jusqu’au début des années 1990, l’utilisation du crédit par les Chinois a été en effet importante : d’une enquête menée en Chine rurale, il ressort que, sur la période 1986-1991, près de 70 % des ménages recouraient à une forme ou à une autre de crédit (formel ou informel) ; cette proportion a presque diminué de moitié au cours de la période 1995-2002. Bien qu’on n’en ait pas la certitude, il est très probable qu’une évolution de même sens a eu lieu en ce qui concerne les ménages urbains. S’agissant du crédit bancaire officiel, cette évolution est à attribuer à la réorientation des crédits des banques publiques en direction des grandes entreprises – également publiques – en vue de soutenir leurs investissements. Le diagnostic étant fait, la thérapie est facile à décrire : il « suffit », pour faire disparaître le déséquilibre mentionné, de développer fortement le crédit aux ménages chinois – ce qui renforcera beaucoup l’efficacité des mesures prises de soutien à l’acquisition de biens durables – et de le restreindre au contraire aux ménages américains. Sauf que, dans les deux cas, le passage à l’action s’avère beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Côté américain, le taux d’épargne des ménages a déjà pratiquement doublé en 2009, passant à près de 10 % (nous nous situons en France à quelque 16 %), avec effectivement une forte contraction du crédit ; mais cette dernière est combattue par le secrétaire d’Etat au Trésor et le président de la Federal Reserve : une plus forte remontée du taux d’épargne aurait certes un effet bénéfique en réduisant les importations du pays, mais elle exercerait aussi une forte influence dépressive sur la demande intérieure à un moment où le PIB se doit de rebondir. Et d’ailleurs, dans l’automobile, la prime à la casse (« cash for clunkers ») est bien là pour soutenir les achats. Résultat, au troisième trimestre de 2009, le taux d’épargne des Américains a à nouveau fléchi. Quant à la situation de la Chine, la « relance » pratiquée par Pékin s’est faite beaucoup plus par le financement d’investissements – notamment d’infrastructures – que par la consommation. Les banques publiques, dont certaines ont déjà des difficultés avec des entreprises débitrices, ne se précipiteront donc pas pour offrir des crédits aux particuliers. Autant dire que le « déséquilibre majeur » de l’économie mondiale – ciment du G2 – pourrait encore subsister pendant  assez longtemps, avec les risques graves, monétaires et financiers, qu’il continue d’impliquer en cas de conduites déraisonnables des acteurs.

    André Babeau est professeur à l’université de Paris-Dauphine.

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  • La retraite universelle, un débat préalable

    Avant toute réforme, il faut un contrat social

                En France, il existe trente-sept régimes de retraite différents, tous fondés sur la technique de la répartition, qui servent 98 % des pensions. Plus précisément, les cotisations prélevées sur les salaires financent les retraites versées la même année. C'est la logique du salaire différé. D'autres systèmes de retraite sont fondés sur la capitalisation individuelle ou collective. Quelle que soit la technique, les pensions payées une année donnée sont prélevées sur la richesse du moment. Sauf à spolier et précipiter dans la misère plusieurs générations, il est impossible de transformer un système de retraite par répartition en un système par capitalisation.

    Au cours des trente dernières années, la société française a fortement évolué : l'espérance de vie a connu une très forte progression et l'espérance de vie en bonne santé après 60 ans a progressé encore plus vite ; la durée d'emploi avant l'âge de 30 ans a baissé régulièrement et l'âge moyen d'acquisition du premier trimestre cotisé a reculé, particulièrement chez les moins qualifiés ; la sortie de la vie active, qu'elle soit motivée par une décision individuelle, institutionnelle ou qu'elle résulte du choix des entreprises, intervient de façon plus précoce.

    Tous les régimes de retraite, sans exception, sont confrontés à ces évolutions même si le régime des hospitaliers et celui des collectivités territoriales sont aujourd'hui temporairement épargnés en raison de leur démographie.

    Certes, la réforme des retraites d'août 2003 a procédé à une première harmonisation des régimes : durée de cotisation, règles de surcote ou de décote applicables en fonction de l'âge réel de départ à la retraite, indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires... Cette dernière mesure a fait baisser progressivement le niveau moyen des pensions, car sur le long terme, les prix évoluent moins vite que les salaires.

    En outre, pour les salariés du privé, non seulement cette mesure leur est appliquée depuis vingt-trois ans, mais surtout elle est utilisée pour calculer le montant de leur pension au moment de leur départ à la retraite. Du coup, même si l'Etat continue à affirmer que le taux de remplacement de leur retraite est de 50 % du salaire des vingt-cinq meilleures années, en fait ce taux est tombé à près de 43 % pour le régime de base en raison de l'indexation sur les prix des salaires portés au compte du futur pensionné.

    Pour les retraites complémentaires de ces mêmes salariés, les partenaires sociaux ont, au fil des années, courageusement adapté le rendement de ces régimes à l'augmentation de l'espérance de vie. Dans le même temps, pour les régimes spéciaux, notamment les trois fonctions publiques (Etat, territoriale et hospitalière), qui emploient près de 4,5 millions de personnes, le taux de remplacement s'élève à 75 % des derniers traitements hors primes.

    Comment garantir la pérennité et l'équité des régimes de retraite ? Une chose est sûre : la réponse n'est pas simple et ne pourra se limiter à de seuls ajustements techniques car les causes réelles de la situation des régimes de retraite sont ailleurs.

    Peut-on encore longtemps laisser dériver l'entrée dans la vie active sans s'interroger sur le mode de formation initiale, notamment sur la place respective du temps de l'école et du temps dans l'entreprise ? Peut-on raisonnablement demander aux salariés de travailler après 60 ans, ce qui semble inévitable, sans que les entreprises repensent le contenu du travail, sans que soit réexaminée la formation tout au long de la vie, particulièrement à partir de 50 ans ?

    Est-il légitime que les régimes de retraite versent des prestations notoirement différentes pour un euro cotisé et un nombre d'années de cotisation identique tout en faisant appel à la solidarité nationale ? N'est-il pas indispensable de définir un nouvel équilibre entre durée de cotisation et versement des prestations afin de préserver la solidarité intergénérationnelle qui constitue le fondement de notre système de retraite depuis 1945 ?

    Voilà, avec la question de la place du travail dans la vie, ou celle de la répartition des richesses entre les générations, quelques-unes des problématiques qu'il convient de traiter et d'arbitrer avant de s'attaquer aux paramètres techniques.

    Ce sont des choix de société qui sont en jeu. Aucune mesure durable ne saurait donc être prise au préalable sans un large débat public. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a déjà fait progresser le constat partagé entre les différents acteurs sur la situation des régimes de retraite. Le moment est venu de créer les conditions d'une prise de décision partagée. Pour y parvenir, il est urgent de mobiliser tous les citoyens autour d'une ambition : créer un régime de retraite universel.

    Un comité de " sages " disposant d'une large indépendance aurait la tâche de mener la concertation avec les différents acteurs puis d'élaborer ce projet de régime de retraite universel qui fixera les nouveaux droits individuels et collectifs des retraités. Toujours financé par les cotisations sociales et impliquant les partenaires sociaux, ce régime devra tenir compte de la diversité des conditions de travail et des différents parcours et aléas professionnels. Il s'attachera également à favoriser les attitudes citoyennes des entreprises qui embauchent des jeunes ou qui favorisent le maintien dans l'emploi des seniors par le biais notamment des exonérations de charges.

    Le Parlement aura sûrement à légiférer sur ces questions et pourrait même inscrire dans la Constitution certains éléments de ce nouveau contrat social. Si ce concept a encore un sens aujourd'hui, c'est bien dans notre système de retraite qu'il doit s'illustrer, car les mesures qui vont être prises gouverneront les pensions de nos futurs concitoyens qui, pour bon nombre d'entre eux, verront le XXIIe siècle.

    Jean-Marie Spaeth

    Président de l'Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S),

    ancien président

    de la CNAVTS et de la CNAMTS


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