• La conférence sur le déficit doit parvenir à un consensus sur les dépenses... et les recettes

    Il faut sortir des débats stériles

                Après les conférences nationales sur les finances publiques présidées par les premiers ministres entre 2006 et 2008, la conférence sur le déficit organisée par Nicolas Sarkozy aura l'immense mérite de rassembler les différents acteurs de la dépense publique : l'Etat qui compte pour 350 milliards d'euros ; la Sécurité sociale sous toutes ses formes pour près de 500 milliards ; les collectivités locales pour plus de 200 milliards.

    En effet, la dépense publique totale s'élève chaque année à plus de 1 000 milliards d'euros, 54 % du produit intérieur brut (PIB), un des pourcentages les plus élevés des pays développés, et qui connaît en France une stabilité remarquable depuis une quinzaine d'années, alors qu'il a eu tendance à diminuer ailleurs.

    D'où un diagnostic largement partagé par l'actuelle majorité : l'effort doit porter en premier lieu sur la maîtrise des dépenses, quels qu'en soient les décideurs, et non pas sur la hausse des prélèvements obligatoires, qui sont parmi les plus lourds. Cet effort est rendu d'autant plus nécessaire que l'écart quasi structurel depuis trente ans entre les recettes et les dépenses publiques s'est brutalement creusé lors de chaque crise économique, provoquant un emballement de la dette publique, alors qu'il ne s'est jamais véritablement résorbé pendant les périodes d'embellie.

    Par exemple, entre 1998 et 2001, la forte croissance des recettes (la fameuse " cagnotte ") a servi davantage à financer les 35 heures qu'à réduire le déficit et la dette. On est ainsi passés d'un endettement de 20 % du PIB en 1980 à 60 % en 2002, et il est prévu d'atteindre 83 % à la fin de cette année.

    La conférence sur le déficit doit obliger chacun, responsables politiques nationaux, locaux et partenaires sociaux, à établir un état des lieux lucide. Personne ne peut contester le soutien apporté par la collectivité publique à notre économie frappée par la crise mondiale. Mais chacun est conscient, en France comme ailleurs, de la nécessité, en sortie de crise, d'assainir les comptes publics, sauf à risquer une deuxième crise, plus grave encore, celle de l'insolvabilité des Etats. Les démarches engagées en France et en Allemagne sont remarquablement convergentes. Elles visent à garantir la signature de nos deux pays qui sont les piliers de la zone euro.

    Réunis par le président de la République lui-même, autour d'une même table de conférence, les ministres du gouvernement, les parlementaires, les présidents des grandes associations de collectivités territoriales, les dirigeants des différentes branches de la Sécurité sociale, seront contraints à un diagnostic d'ensemble, plutôt que de se renvoyer les responsabilités, car nos finances publiques sont totalement imbriquées et interdépendantes.

    Ainsi, c'est au budget de l'Etat qu'il revient d'assumer les exonérations de charges sociales patronales pour favoriser l'emploi ou de compenser aux collectivités locales le plafonnement de la taxe d'habitation des ménages ou de la taxe professionnelle des entreprises. Seule une approche consolidée de nos comptes publics peut en assurer la réelle maîtrise grâce à la mise en oeuvre de règles partagées de bonne gouvernance.

    La conférence doit permettre de sortir des débats stériles sur le désengagement de l'Etat avec un jeu de rôle convenu repris au gré des alternances politiques. Les vraies questions tournent autour de notre capacité à concilier un niveau de dépenses collectives élevé du fait du vieillissement de la population et de la dépendance, du fait aussi d'un modèle social faisant une large place à la solidarité avec un système de prélèvements fiscaux et sociaux acceptable pour la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages. La réforme des retraites est en filigrane de cet exercice, comme l'est le financement exceptionnel de dépenses d'avenir et de croissance grâce à l'emprunt national.

    Dans la volonté de réduire les déficits, il ne faudra pas se concentrer sur la seule dépense. La sévérité des normes d'évolution de ses composantes, étatique, sociale ou locale, ne suffira pas à elle seule, si elle n'est pas accompagnée de décisions claires et réfléchies sur les recettes. Sait-on qu'en 2009 les recettes de l'Etat en euros courants sont revenues au même niveau qu'en 1996 ?

    Je ne plaide pas pour des hausses d'impôts. Mais je mets en garde contre les effets destructeurs sur la ressource des exonérations, abattements, dégrèvements, réductions, bref, niches fiscales et sociales en tout genre dont chaque loi de finances apporte son lot nouveau.

    La conférence sur le déficit doit être plus exigeante que celle sur les finances publiques car, avec ce simple mot de déficit, elle va à l'essentiel : comment rapprocher la dépense de la recette, ce que nous n'avons pas su faire depuis trente ans.

    Gilles Carrez

    Rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale

    Député (UMP) du Val-de-Marne

    Quatre principes de bonne gestion pour une maîtrise durable des finances publiques


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  • Quatre principes de bonne gestion pour une maîtrise durable des finances publiques

    La magie des règles ne suffit pas

                Le déficit et la dette publics atteignent des niveaux historiques, la question de leur résorption se pose donc avec acuité. Un débat sur l'opportunité de mettre en place une " règle d'or " en matière de finances publiques a été rouvert au moment où le Parlement examine un grand emprunt dont l'effet le plus immédiat sera un nouveau creusement de 35 milliards d'euros de la dette publique en 2010.

    A chaque dégradation des comptes, des voix s'élèvent dans la majorité pour réclamer l'instauration de nouvelles règles. Mais ce débat a toujours débouché sur un consensus pour repousser toute règle contraignant l'Etat à l'équilibre budgétaire. En 2001, lors de l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances, comme en 2005, lors de sa révision, et en 2009, lors de la réforme constitutionnelle.

    Des règles plus limitées ont été introduites par l'actuelle majorité. Depuis 2004, une loi organique impose d'augmenter les ressources de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) - financée par la contribution au remboursement de la dette sociale - en cas de transfert de dette sociale à cet organisme. En 2005, l'intention de Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances, d'introduire une règle d'or a abouti à réviser la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour prévoir l'obligation de fixer, a priori, l'affectation d'éventuels surplus de recettes.

    Des règles contraignantes existent dans l'Union européenne, celles du pacte de stabilité - qui fixe, depuis 1995, les limites de l'endettement public des pays membres - . Respectées entre 1997 et 2002, elles ne l'ont plus été depuis 2003, alors qu'elles ont une valeur supérieure à la Constitution !

    Le déficit public - 8,2 % du produit intérieur brut (PIB) prévu en 2010 - a été supérieur à 3 % six années sur huit depuis 2002, et la dette publique - 83,2 % du PIB en 2010 - a toujours été supérieure à 60 % depuis 2003. Le gouvernement admet son incapacité à respecter ces critères avant 2013 au plus tôt. Rappelons que la France n'a évité, en 2003, les sanctions prévues par le pacte de stabilité qu'en trouvant un accord politique contesté avec l'Allemagne.

    Les règles dont la majorité s'est dotée ne sont pas respectées. C'est le cas pour la norme d'évolution de la dépense budgétaire, contournée par la multiplication des dépenses fiscales et les transferts vers des opérateurs extérieurs. De même pour les règles de compensation de toute nouvelle dépense fiscale, vidées de sens au travers de leur interprétation, et oubliées en parfaite connaissance de cause lors du vote de la réduction de la TVA pour la restauration.

    Certaines règles conduisent même à des pratiques plus périlleuses que celles qu'elles condamnaient : l'obligation de financer tout transfert des déficits vers la Cades conduit la majorité à gonfler les autorisations de trésorerie de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), qui atteindront la somme faramineuse de 60 milliards d'euros en 2010 !

    La règle d'or doit être rejetée d'autant plus fortement qu'elle repose sur l'idée qu'il serait possible d'isoler " bonnes " et " mauvaises " dépenses.

    Les dépenses de fonctionnement ne sont pas mauvaises par nature : les stabilisateurs automatiques et les prestations sociales ont eu un rôle positif face à la crise. Inversement, les dépenses d'investissement ne sont pas toujours rentables et génèrent des dépenses de fonctionnement. Enfin, si la classification des dépenses de rémunération des chercheurs et enseignants est impossible à trancher, leur contribution à la croissance potentielle est en revanche certaine.

    La sagesse commande de ne pas multiplier les règles. Seule compte la volonté politique de se conformer à des bonnes pratiques et non la prétention de contraindre les futurs gouvernements à une vertu théorique.

    Dans la situation actuelle, une stratégie durable des finances publiques devrait reposer sur quatre principes de bonne gestion :

    - L'équilibre des recettes et des dépenses hors charges de la dette, qui permet de stabiliser celle-ci ;

    - L'équilibre des comptes sociaux. C'est une absolue nécessité sur un cycle économique, car il n'est pas responsable de reporter sur les générations futures le coût de notre protection sociale ;

    - Un contrat avec les collectivités locales assurant un partage des compétences clair et des ressources pérennes, en contrepartie de leur implication dans la stratégie globale de finances publiques ;

    - Le refus de toute baisse des prélèvements obligatoires tant que les comptes n'ont pas été assainis. C'est la seconde préconisation du rapport Pébereau sur la dette publique, qui déjà invalidait la thèse selon laquelle les comptes pourraient être rétablis par la seule action sur la dépense budgétaire.

    Un déficit, c'est la différence entre des recettes et des dépenses : s'il faut bien sûr rechercher toujours plus d'efficacité et de maîtrise de la dépense publique, ce que vise la LOLF, le déficit perdurera tant que les recettes diminueront !

    Les comptes ne se rétabliront pas par la magie de règles. Il faut rendre plus responsable et transparente la stratégie de finances publiques suivie. Je propose donc d'inscrire dans la loi organique l'obligation de présenter chaque année des orientations pluriannuelles de finances publiques pour l'évolution de la dépense publique, des recettes, des déficits et de la dette.

    Des indicateurs de suivi devraient rendre obligatoire et urgente, en cas d'écart avéré, la présentation par le gouvernement de mesures correctrices et d'une nouvelle trajectoire.

    Ainsi, les engagements seraient clairs, mais le choix des moyens resterait ouvert. De la même manière que la LOLF a créé des outils qui permettent d'améliorer l'efficacité de la dépense, mais reste neutre quant à l'orientation des politiques.

    Plutôt que de prétendre imposer une pensée budgétaire unique, c'est la responsabilité qui doit être assurée. Car j'ai la conviction que seul le rétablissement de nos finances publiques nous permettra d'assurer une croissance durable.

    Comme en 2000-2001, avec l'adoption de la LOLF, ou en 2005 avec sa révision, le consensus est possible. D'autant plus que l'on ne cherchera pas à imposer une politique donnée, mais à fixer des outils et des principes de gestion durable de nos finances publiques. p

    Didier Migaud

    Président de la commission des finances de l'Assemblée nationale

    Député (PS) de l'Isère

    La conférence sur le déficit doit parvenir à un consensus sur les dépenses... et les recettes


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  • L'humanité doit changer ou elle disparaîtra

    Le philosophe Pierre Rabhi, l'un des pionniers de l'agriculture biologique, revient sur l'échec de Copenhague et plus globalement sur l'incapacité des « grands sommets » à prendre des décisions rationnelles pour le bien collectif. Il rappelle que le temps n'est plus à l'aménagement de notre modèle, mais bien à un changement plus radical pour construire un monde plus digne de notre intelligence.
     

    La grande déconvenue de Copenhague est à la mesure de l'espoir que cette rencontre avait suscité. Après les grandes cérémonies précédentes, il fallait être singulièrement naïf pour croire qu'une quelconque décision — que la gravité des enjeux nécessite absolument — allait surgir d'une ambiance de hall de gare, où chaque nation veille avant tout sur ses intérêts propres. L'enjeu, lui, est des plus simples. Suite à des transgressions de l'espèce humaine, il se pose comme un ultimatum. L'humanité  doit changer de comportement à l'égard de la planète qui l'héberge, si elle ne veut pas disparaître. Sur une planète une et indivisible — et dont la diversité et la cohésion renforcent la vie et la survie —, notre espèce, en dépit de sa nature également unitaire, est fragmentée. L'avénement très récent du phénomène humain a instauré un vivre ensemble fondé sur l'antagonisme. Certains font appel aux théories de M. Darwin pour le justifier. Quoi qu'il en soit, contrairement aux autres espèces, il n'a pas pour seul mobile la lutte pour la survie — relativement facile à solutionner —, mais des causes plus subtiles : les mythes, les croyances, les symboles pour exorciser une sorte de peur primale. Ces paramètres sont omniprésents dans toutes les concertations lorsqu'il s'agit de résolutions communes. La rivalité issue de l'insécurité est allée jusqu'à apposer un ordre cloisonné, fait de morceaux de planète appelés territoires, à l'origine de grands conflits. Ces territoires sont comme les éléments d'un puzzle mais qui, au lieu de rendre intelligible le tout, en exacerbent la confusion. C'est ainsi que les questions factuelles, censées être examinées à l'occasion de ces rencontres, se posent en occultant les mécanismes subjectifs qui les sous-tendent et les déterminent. Le sort commun est guidé par des préjugés, alors qu'il devrait au contraire transcender les intérêts particuliers des nations.

    C'est aussi la même irrationalité qui fait que, au lieu d'exalter la splendeur d'une planète vivante et unique, elle est ravalée à un simple gisement de ressources à exploiter jusqu'à leur épuisement. Pour ce faire, un ordre anthropophagique mondial s'est imposé insidieusement, avec une règle du jeu qui permet aux plus voraces de dévorer légalement les plus démunis. Pire encore, des États corrompus vont même jusqu'à confisquer à leurs populations les biens légitimes indispensables à leur survie. Comme nous ne sommes pas à une perversion près, le tiers-monde suscite, comme contrepartie de son appauvrissement programmé, des dispositifs internationaux à caractère compassionnel, pour lui allouer quelques subsides. Par une sorte de cynisme moralisé, la politique du pompier pyromane devient un mécanisme normal, banalisé, comme l'humanitaire est devenu le moyen compensatoire aux défaillances de l'humanisme, seul en mesure de le rendre sans objet. Le plus extraordinaire encore, c'est d'avoir réussi à donner le noble vocable d'« économie » — à savoir la régulation des échanges pour la satisfaction des besoins de tous — à ce qui est le déni même de l'économie. La croissance économique fondée sur la prédation et la dissipation des ressources provoque une multitude d'effets directs et collatéraux négatifs parmi lesquels, justement, le réchauffement climatique, objet de Copenhague.

    Bien des problématiques, comme la faim dans le monde, mériteraient autant d'effervescence, mais on sait que les priorités sont définies, au-delà même de l'autorité politique, par la puissance insidieuse de l'argent. On entend souvent dire que ces rencontres permettent néanmoins de sensibiliser l'opinion aux grands enjeux écologiques. Cela est indéniable, comme est indéniable la sincérité de nombreuses personnes qui aspirent au changement de l'aventure humaine. Mais il faut cesser d'être naïf, car le temps n'est pas à l'aménagement de notre modèle de société, mais à un changement radical pour qu'enfin, en plaçant l'humain et la nature au coeur de nos préoccupations, nos talents et nos moyens puissent être mobilisés pour construire un monde digne de la vraie intelligence. Nous en avons les moyens matériels, il ne nous manque que l'audace et la détermination. Ce qui donne de l'espoir, c'est que la société civile planétaire semble déjà s'être engagée activement pour que ce changement de paradigme puisse advenir. ¡

    Point de vue Pierre Rabhi

    fondateur de Colibris, mouvement pour la terre et l'Humanisme


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  • Dessin de Luo Jie paru dans China Daily


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