• La fragilité économique et politique du Portugal fait craindre que le pays soit la prochaine cible des marchés

    La comparaison avec la Grèce exaspère Lisbonne qui met en avant la fiabilité de ses comptes
    Lisbonne Envoyé spécial

     

    Cristiano Ronaldo, l'un des footballeurs les plus riches de la planète, " a la certitude que son argent sera en sécurité au Banco Espirito Santo ". Sur les publicités de BES, la principale banque portugaise, l'image de la star s'affiche comme un contre-pied à l'offensive des marchés sur la crédibilité financière du pays. " Ceux qui parient sur la banqueroute du Portugal vont perdre beaucoup ", a déclaré le président de la République, Anibal Cavaco Silva, en réponse aux pressions exercées sur la dette portugaise.

    Le Portugal connaîtrait une situation comparable à celle de l'Argentine en 2001, selon un article de deux économistes américains publié le 15 avril dans le New York Times. Après la Grèce, le Portugal ? Il n'en fallait pas plus pour que les spéculateurs internationaux cherchent à vérifier ce sombre pronostic. " Les marchés sont nerveux et surréagissent aux titres de presse alors que les fondamentaux n'ont pas changé, minimise Carlos Andrade, chef économiste du groupe BES. Le pays n'a pas de problème de liquidités. Depuis le début de l'année, il est allé plusieurs fois sur le marché sans difficulté, il n'y a pas de raison pour que les primes de risque augmentent. "

    La comparaison avec le fiasco grec exaspère Lisbonne, qui met en avant la fiabilité de ses comptes et des nécessités de financement à court terme bien différentes de celles d'Athènes. Le président de la Commission européenne, le portugais José Manuel Barroso, a tenté lui aussi de calmer le jeu, vendredi 23 avril : " La situation est grave mais le Portugal est en mesure d'y faire face par des mesures mises en oeuvre avec détermination. "

    Une manière de dire que le plan de stabilité et de croissance (PEC), présenté fin mars à Bruxelles par le gouvernement de José Socrates dans le but de ramener le déficit public de 9,3 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2009 à 2,8 % en 2013, ne suffit peut-être déjà plus.

    Paulo Mota Pinto, président de la Commission parlementaire des finances, évoque " des ajustements nécessaires ". Après le gel des salaires des agents de l'Etat pendant quatre ans, le remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la suppression ou le plafonnement d'aides sociales et de déductions fiscales, les Portugais doivent s'attendre d'ici à la fin de l'année à d'autres tours de vis.

    " Dévaluation à nos frais "

    " Comme il est impossible de jouer sur l'escudo, nous devrons faire une dévaluation à nos frais, estime le politologue Manuel Villaverde Cabral. Il n'est plus possible de continuer à vivre 10 % au-dessus de nos moyens. "

    Après une décennie de quasi-stagnation, les perspectives de croissance restent faibles (0,6 % en 2010, 1,1 % en 2011). " Le grand problème n'est pas financier, mais économique, rappelle M. Mota Pinto. Nous n'avons pas profité de l'entrée dans l'Union européenne pour gagner en compétitivité. Les coûts salariaux ont augmenté plus vite que la productivité. C'est ça l'erreur, pas l'entrée dans l'euro. "

    Au moment de rassurer l'opinion mondiale, le Portugal n'a guère d'atouts à faire valoir, hormis le secteur des énergies renouvelables et la proximité culturelle d'économies émergentes comme l'Angola et le Brésil. " Il est vital de diversifier nos marchés pour ne pas rester dépendants de l'Espagne, notre principal partenaire ", analyse Carlos Andrade.

    L'impatience des marchés se nourrit aussi de la fragilité politique du pays. Le Parti socialiste gouverne en minorité depuis les législatives de septembre 2009. Son projet de budget 2010 n'est passé que grâce à l'abstention " dans l'intérêt national " du Parti social démocrate (PSD, droite). " Dans une situation d'urgence, il faut des ententes parlementaires ", avance Paulo Mota Pinto, l'un des cadres du PSD. Mais nul ne connaît les intentions de son nouveau leader, Pedro Passos Coelho, élu en mars.

    " Pour donner des signaux indiscutables aux marchés, il faudrait, à défaut de la constitution d'un gouvernement de majorité parlementaire, un accord solide entre les deux grands partis ", affirme le sociologue et ancien ministre socialiste Antonio Barreto. Si personne ne mise sur une crise et un retour aux urnes avant la présidentielle de janvier 2011, l'absence de majorité pourrait conduire, d'après M. Mota Pinto, à " une impasse ".

    La marge de manoeuvre du chef du gouvernement, José Socrates, risque d'être d'autant plus étroite que l'année sociale s'annonce agitée dans certains secteurs comme les transports, la santé, l'éducation et l'énergie. " La crise internationale s'est installée sur une crise nationale profonde qui touche l'ensemble de la société ", analyse Carvalho Da Silva, le secrétaire général de la CGTP, la principale organisation syndicale portugaise. On est loin de la poudrière sociale grecque : " Il règne un sentiment d'impuissance ", admet le leader syndicaliste.

    Jean-Jacques Bozonnet


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  • La Chine devient le troisième actionnaire de la Banque mondiale

    L'institution de Bretton Woods augmente son capital de 85,8 milliards de dollars
    Washington Envoyé spécial

     

    La Banque mondiale va augmenter son capital de 85,8 milliards de dollars (64 milliards d'euros) ; 3,13 % de ses droits de vote seront transférés des pays riches vers les pays en développement ; enfin, elle se dote d'une stratégie en cinq points. Ce " paquet " remet en selle Robert Zoellick, son président, qui l'a fait accepter, dimanche 25 avril, par les représentants des 186 Etats membres.

    Lors de l'assemblée d'octobre 2009 à Istanbul (Turquie), M. Zoellick avait demandé cette augmentation de capital car, disait-il, la multiplication des prêts et des dons aux pays émergents et pauvres en raison de la crise avait fait passer les engagements de la Banque mondiale de 38,2 milliards de dollars en 2008 à 58,8 milliards en 2009. Ce bond de 54 % menaçait de tarir les finances de l'institution à l'été 2010.

    Les pays développés lui avaient répondu que l'argent se faisait rare chez eux aussi, qu'ils attendaient de lui un plan stratégique pour comprendre l'usage qu'il voulait en faire. La tâche fut laborieuse, car M. Zoellick voyait dans cette exigence un contrôle déguisé de sa politique.

    Le redéploiement des droits de vote à la Banque qu'avait demandé le G20 n'a pas été plus aisé à réaliser, car il a fallu prendre des voix aux pays développés - un exercice douloureux - selon un savant calcul mêlant le produit intérieur brut (PIB) et le montant des dons aux pays pauvres. Le " paquet " recapitalisation-redistribution-stratégie a donc été discuté avec acharnement jusqu'au samedi 24 avril.

    Il prévoit d'abord une recapitalisation d'une des composantes de l'institution, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), en deux tranches : une, générale, de 58 milliards de dollars et une autre, sélective, de 27,8 milliards. Ces 85,8 milliards de dollars représentent la première augmentation depuis 1987 du capital aujourd'hui fixé à 189,9 milliards de dollars (+ 45 %). A titre d'exemple, elle nécessitera de la France le versement de 25 millions d'euros par an pendant cinq ans.

    Le glissement de 3,13 % des droits de vote profite aux pays émergents et d'abord à Pékin - les siens passent de 2,77 % à 4,42 %. La Chine devient ainsi le troisième actionnaire de la Banque mondiale derrière les Etats-Unis et le Japon et devant l'Allemagne, puis la France ex aequo avec le Royaume-Uni. L'Inde passe de 2,78 % à 2,91 %. Les perdants sont le Japon qui revient de 7,62 % à 6,84 %, la France et le Royaume-Uni - qui passent de 4,17 % à 3,75 %.

    Cinq priorités

    M. Zoellick s'est félicité de cette consécration de l'importance des pays en développement. Il a souligné que leur part dans la Banque allait passer de 44,06 % à 47,2 %, pas très loin de la parité réclamée par les organisations non gouvernementales. Cette affirmation est contestée par l'une d'entre elles, Oxfam International. " C'est une illusion ! M. Zoellick parvient à ce résultat flatteur, parce qu'il compte indûment parmi ceux-ci des pays comme Israël ou Singapour ", critique Elizabeth Stuart, porte-parole d'Oxfam.

    Le plan stratégique a retenu cinq priorités : la lutte contre la pauvreté notamment en Afrique subsaharienne, l'investissement dans les infrastructures du développement (routes, agriculture, capital humain), la défense des biens communs (climat, commerce, sécurité alimentaire, énergie, eau, santé), la lutte contre la corruption et les pratiques illégales, la prévention des crises économiques et financières.

    " Manque plus que la défense du tigre en Asie chère à M. Zoellick ! ", persifle un cadre qui se fait l'écho du malaise d'une partie du personnel perturbé par le refus de son président de faire des choix précis, par son mode de gestion solitaire et par sa volonté de dégonfler les effectifs à Washington au profit des bureaux régionaux.

    Les réformes ne sont pas achevées avec ce " paquet ". Les Européens ont l'intention de poser dans les prochaines semaines la question du choix de son président.

    Après le départ de Dominique Strauss-Kahn de la direction générale du Fonds monétaire international (FMI), ils savent que le fonds cessera d'être dirigé par l'un des leurs, pour en finir avec un usage remontant à 1944. Ils ne voient donc pas pourquoi les Etats-Unis continueraient à imposer un Américain à la tête de la Banque mondiale comme successeur de M. Zoellick. L'aggiornamento continue.

    Alain Faujas


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  • L'Allemagne Oublie l'Europe

    Michel Rocard

    Ces dernières années, toute une séquence de décisions m'avaient alarmé. La première série visait le maintien absolu de l'unanimité pour prendre, au sein de l'Union Européenne, toute décision de politique étrangère ou d'usage de forces armées à des fins autres qu'humanitaires (Maastricht, Amsterdam, Nice, projet constitutionnel et Traité de Lisbonne). Moyennant quoi l'Europe n'a toujours pas de politique étrangère commune. La seconde fut le néfaste étranglement du Budget Communautaire dans le carcan de 1% du PIB européen, qui interdisait toute politique commune nouvelle pour 7 ans (je crois me souvenir que c'était en 2004). La troisième concernait les deux vetos britanniques successivement opposés à Deharne puis Juncker, pour la Présidence de la Commission Européenne, pour éviter tout homme de caractère et y avoir quelqu'un de plus malléable. J'avais alors proclamé la mort de l'Europe politique, me faisant véhémentement critiquer par beaucoup de mes propres amis.

    Le besoin d'Europe pourtant se faisait de plus en plus criant. Comment imaginer en effet une lutte mondiale efficace contre l'effet de serre, ou l'adoption de nouvelles règles financières mondiales pour éviter les dérives qui ont mis le monde en crise, ou encore la difficile négociation commerciale pour assurer pacifiquement sa place à une Chine pesant bientôt 20% des échanges mondiaux sans pour autant casser les reins aux économies développées, si une Europe unie et puissante n'y met pas tout son poids avec une cohésion sans faille.

    Ces enjeux pour moi ne sont pas des rêves, ce sont des nécessités absolues, mais pour le long terme naturellement.

    L'arrivée de la grande crise bancaire, financière et économique où nous sommes toujours n'a pas arrangé les choses. L'Irlande, de loin la plus large bénéficiaire de l'appartenance à l'Union Européenne et de ses règles, quand elle fut frappée très tôt et très profondément par la crise bancaire, a eu comme première réaction un réflexe parfaitement antieuropéen.

    L'Allemagne qui longtemps porta haut le flambeau européen, en eut aussi un autre. Les marchés lui ayant rappelé qu'elle était plus européisée qu'elle ne semblait le croire, l'Allemagne s'est assagie et a rallié l'Europe le temps du premier « G20 ». Cela n'empêcha pas, peu de mois après, les dirigeants d'Allemagne, de France et de Grande Bretagne de se mettre cyniquement d'accord pour doter l'Union Européenne d'un Président du Conseil et d'une Ministre des Affaires Etrangères certainement honorables et compétents mais parfaitement inconnus de manière à éviter qu'un légitimité forte échappant à leur contrôle ne leur fasse de l'ombre...

    Comme si tout cela n'était pas suffisant pour menacer gravement le rêve européen de quatre ou cinq générations, voici que les choses s'aggravent.

    Nous avons créé l'Euro, seul grand succès politique de l'Europe dans ces deux dernières décennies.

    Certes chacun admire la rigueur de gestion de l'Allemagne et sa capacité à se réformer elle-même. Nous avons aussi admiré beaucoup son sérieux monétaire, qui fut un grand facteur permissif dans la mise en place de l'Euro, son attachement à la rigueur budgétaire et son effort permanent pour mesurer la qualité de sa gestion à ses excédents commerciaux, sans trop se soucier de savoir quels dégâts cela fait chez ceux qui subissent les déficits correspondants.

    Mais la crise est arrivée, qui change tout. La dite crise a non seulement frappé mais affaibli nombre de pays d'Europe moins robustes que l'Allemagne. Les trois états baltes, la Hongrie, l'Islande hors de l'Union, sont en faillite, mais il ne sont pas membres de l'Euro. La Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande le sont, eux.

    Or l'Allemagne s'acharne à vouloir imposer sa propre politique à l'ensemble de la zone Euro, ce qui est hors de portée des pays en question. Plus gravement ces pays ne sortiront pas de la crise, de leur crise, qu'à la condition que la politique monétaire les y aide, ou au moins ne les asphyxie pas trop. Or l'Allemagne s'y refuse, risquant de provoquer par là une grave crise de l'Euro.

    Le cas grec est exemplaire. Contre l'avis de presque tous les Premiers Ministres ou Présidents de la zone contre l'avis du Président de l'Eurogroupe, et celui du Président de la Banque Centrale Européenne, l'Allemagne seule a imposé

    ·         que le FMI participe au sauvetage pour un tiers, ce qui revient à nier le rôle de solidarité que devait avoir l'Euro.

    ·         Que les taux d'intérêt que paiera la Grèce pour les prêts coordonnés des autres pays de la zone, soient fort élevés, ce qui veut dire que la Grèce est interdite de redécollage pour longtemps et que son drame financier n'a pas fini de peser sur le destin collectif de l'Euro.

    Madame Meckel, la Chancelière allemande, s'est en outre permis d'évoquer l'exclusion des états défaillants de la zone euro. Ce faisant, non seulement elle invente une issue parfaitement exclue par les traités – dans l'Euro, la sortie n'est pas prévue – mais elle déstabilise gravement l'ensemble de la zone et la monnaie commune elle-même. Si elle semble comprendre que la zone euro a besoin que tout le monde y joue le même jeu, elle ne perçoit pas qu'actuellement le pays qui joue solitairement et complique par intérêt national la vie de tous les autres, c'est justement l'Allemagne.

    Bien sûr on peut diagnostiquer une cause. Madame Merkel dirige un gouvernement de coalition qui voit venir des élections bientôt, et se trouve en grande délicatesse avec son Parlement. Mais si le court termisme et les pressions de politique intérieure conduisent chacun à faire n'importe quoi on passera de la crise économique à la crise politique.

    L'Europe politique eut elle eu de la puissance, tout cela se serait réglé par une conversation brutale au sommet. Mais il n'y a pas d'Europe politique, et guère de force dans l'Europe économique.

    Dans l'état actuel du monde et de la crise, l'éclatement de l'Euro serait une énorme catastrophe. Il est encore temps de l'éviter, mais il y faudra chez les autres européens un courage et une tenacité inhabituels.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org


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