• Grèce : il faut suspendre le paiement de la dette publique

    Malgré les réticences de l'UE, c'est la seule façon de calmer la spéculation

    Depuis l'automne 2009, la dette publique grecque est arrivée sur l'écran radar des marchés financiers. On peut disserter à l'infini sur l'irrationalité apparente des marchés et sur le caractère arbitraire de cette fixation. On ne peut pas emprunter massivement et ensuite dénoncer ceux qui vous prêtent. Il fallait y penser avant. La Grèce s'est donc mise volontairement dans une situation de dépendance, et elle doit à présent en tirer toutes les conséquences, si possible avec lucidité.

    Il faut dire que les autres pays de la zone euro ne l'ont pas aidée. Sous couvert de solidarité, ils ont commencé par indiquer qu'il n'était pas question que le Grèce aille demander l'aide du Fonds monétaire international (FMI). Ils ont promis, au contraire, de se cotiser pour prêter à la Grèce ce que les marchés pourraient lui refuser. Du coup, la situation a radicalement changé. Il ne s'agissait plus seulement de savoir vraiment ce que pourrait faire la Grèce, mais aussi de ce que les Européens allaient mettre sur la table.

    L'offre était mal venue à trois titres. Pour commencer, le traité européen comprend une clause de non-sauvetage qui interdit aux pays membres de la zone euro de prendre en charge la dette d'un autre pays membre. Evidemment, toute loi est faite pour être contournée, et différents arguments ont été avancés pour expliquer que, cette fois et dans ce cas précis, l'aide à la Grèce n'est pas concernée par cette clause. Le problème, c'est que les Allemands ne considèrent pas que toute loi est faite pour être contournée et que leur Cour constitutionnelle a la réputation d'être très sourcilleuse. Du coup, l'enthousiasme d'Angela Merkel pour un geste de solidarité s'est considérablement refroidi, d'autant que l'opinion publique allemande est fondamentalement hostile à l'idée d'engager le contribuable au secours d'un pays perçu comme méritant ce qui lui arrive.

    Les sommes en jeu sont considérables, 30 milliards d'euros au bas mot pour 2010. Et il y aura 2011, puis 2012, etc. La réponse est que l'Union européenne impose à la Grèce, en contrepartie, des conditions draconiennes dont l'un des mérites attendus est qu'elles résolvent rapidement la situation. Certes, mais les rues d'Athènes sont régulièrement envahies par des manifestants qui n'ont pas l'habitude de se décourager. Même si l'opinion publique est aujourd'hui consciente que des sacrifices sont inéluctables, qu'en sera-t-il dans six mois, dans un ou deux ans ?

    La fatigue des efforts s'installera, alimentée par quelques scandales, par la montée du chômage et par la découverte que ce n'est pas un ou deux ans d'austérité qui sont nécessaires, mais une décennie au moins. Que diront les Européens quand le gouvernement grec, au bord de l'effondrement politique, demandera leur compréhension, y compris sous forme de rallonge financière, pour relâcher la pression ?

    Pire encore, il n'y a pas que la Grèce qui soit en difficulté. Le Portugal est depuis longtemps en seconde position sur la liste des pays qui inquiètent les marchés financiers. On ne pourra lui refuser ce que l'on aura offert à la Grèce. Mais il n'y a pas que le Portugal. L'Espagne est un morceau autrement plus lourd. Et l'Italie ? Plus bas sur la liste, la France peut très bien inquiéter, elle aussi, les marchés. Le précédent grec - ce mécanisme de gouvernements lourdement déficitaires promettant d'aider d'autres pays encore plus lourdement déficitaires - est particulièrement vénéneux.

    Au début, les gouvernements semblent avoir sincèrement cru qu'il suffisait de promettre publiquement de l'aide pour calmer les marchés financiers. C'est profondément méconnaître les marchés. Chaque annonce de plan a produit le même scénario : d'abord une détente sur les taux d'intérêt sur la dette grecque, puis des questions sur les détails du plan et, face à des réponses parfaitement vagues, et pour cause car il n'y avait pas de plan, une remontée du scepticisme, et donc des taux encore plus élevés qu'au départ du cycle.

    Il a alors fallu ravaler le prestige et admettre que le FMI, dont c'est le rôle, devrait être impliqué. Mais même ça n'a pas suffi, il a aussi fallu mettre des chiffres et des promesses précises sur la table. Mais ça ne suffira pas non plus. D'abord parce que l'argent des Européens n'est pas disponible. Déjà la France se contente de ne faire voter que la moitié de la somme promise dans sa loi de finances rectificative, et Angela Merkel indique que c'est au FMI de commencer. Et même si le FMI promet beaucoup d'argent, la Grèce restera dans une situation impossible pendant des années, même si elle fait des efforts massifs de stabilisation de son budget. Aucun gouvernement ne peut fonctionner de la sorte. Il va falloir trouver une porte de sortie. Le menu est des plus étroits.

    Une solution est de quitter la zone euro et d'essayer de repartir avec une monnaie très dévaluée. Cette solution est la préférée de tous ceux, et ils sont nombreux, qui ne croient pas que des pays indépendants puissent avoir une monnaie commune. Mais cette solution est pire que le mal. La dette publique de la Grèce est en euros. C'est également le cas des millions d'emprunts des particuliers et des entreprises grecs. Si la nouvelle monnaie - la drachme - valait la moitié de l'euro, toutes ces dettes doubleraient une fois exprimées en drachmes, donc en pouvoir d'achat. La Grèce serait encore plus en ruine qu'avec l'euro.

    L'autre solution est de suspendre le paiement de la dette publique. Le terme de défaut affole, mais ce n'est qu'une manière parmi d'autres de lever des fonds : simplement, au lieu d'emprunter - au FMI, aux marchés -, on ne rembourse pas tout de suite les débiteurs. Ainsi, le défaut ne peut être que très partiel. Ce dont la Grèce a besoin, c'est d'un rééchelonnement de ses paiements. Elle ne peut pas, tous les mois, vivre un nouveau psychodrame, elle doit desserrer l'étreinte le temps de restaurer son budget. Une période de grâce d'un ou deux ans lui permettra d'essayer. Si elle échoue, alors le défaut sera plus profond.

    Les gouvernements européens qui ne voulaient pas du FMI ne veulent pas entendre parler de défaut, même partiel. Mais ils vont découvrir que ce n'est pas une catastrophe. L'euro en souffrira-t-il ? D'une certaine manière, il a déjà accusé le choc. Sa baisse depuis quelques mois tient compte de la possibilité d'un défaut grec. Nos exportateurs s'en réjouissent, et une baisse supplémentaire accélérera une reprise qui s'annonce anémique. Et si d'autres pays se retrouvaient aussi obligés de faire défaut sur leurs dettes publiques ? Il en irait de même. Il se pourrait même que l'euro remonte lorsque les marchés constateront que les problèmes qui les préoccupent tant aujourd'hui sont en partie résolus.

    La vraie inquiétude face aux défauts est ailleurs. Des banques européennes figurent parmi les gros débiteurs du gouvernement grec. Fragilisées par la crise, ces banques pourraient bien plonger, et il faudrait alors remettre en route les sauvetages de l'année dernière. Vu l'impopularité extrême de ces sauvetages, on comprend l'élan de solidarité pro-grecque qui a saisi les gouvernements ! Mais la moralité et la finance, une fois n'est pas coutume, vont dans le même sens : laisser la Grèce prendre sa respiration, et, reconnaissant que certaines banques ont, une fois de plus, mal joué, les laisser à leur sort tout en protégeant les déposants. Les sauvetages indirects sont non seulement malsains, mais très inefficaces. Les contribuables européens méritent mieux que ça.

    Charles Wyplosz

     

    Professeur d'économie à l'Institut universitaire de hautes études internationales à l'université de Genève


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  • Au Sénat américain, la réforme de Wall Street essuie un premier revers

    Les élus républicains ont voté contre l'ouverture des débats. Le président, Barack Obama, s'est dit " profondément déçu "

    C'était un premier test politique important pour la réforme de Wall Street, devenue la priorité du président américain, Barack Obama, depuis l'adoption de la réforme du système de santé fin mars. Il a été manqué.

    Lundi 26 avril au Sénat, en raison d'une opposition en bloc des républicains, les démocrates n'ont pu obtenir, à trois voix près, les 60 voix nécessaires pour ouvrir les débats, en séance plénière, sur le projet de loi financier préparé par l'administration Obama.

    Ce texte, intitulé " Réforme de Wall Street et loi de protection des consommateurs ", vise à tirer les leçons de la crise financière commencée en 2007, la plus violente depuis la Grande Dépression de 1929. Sans équivalent depuis le New Deal du président Franklin Roosevelt en 1933, il doit faire entrer dans le champ de la régulation toute la finance américaine, banques d'affaires, banques de dépôts, sociétés de crédits mais aussi fonds spéculatifs.

    Parmi ses dispositions phares, figurent la création, au sein de la Réserve fédérale (Fed), d'un organisme de protection des consommateurs chargé de réguler les produits financiers trop risqués ; la mise en place d'un système de régulation du marché des produits dérivés, en fait des produits financiers complexes ; et l'instauration d'un fonds de résolution des crises financières de 50 milliards de dollars (37,4 milliards d'euros) abondé par les banques elles-mêmes.

    Face à un camp démocrate soudé, qui, à six mois des élections législatives de mi-mandat aux Etats-Unis, clame son intention de mettre sous coupe réglée " les gros bras de Wall Street ", les sénateurs républicains jouent la montre.

    Ils estiment qu'il faut encore " écouter les Américains sur le sujet " et critiquent des points clés du texte, comme la création du fonds bancaire de résolution des crises. Ce fonds, disent-ils, ne suffira pas à épargner les finances publiques et les contribuables.

    Défiance généralisée

    Barack Obama lui-même a réagi lundi, à l'issue du vote, pour se dire " profondément déçu que les républicains aient voté en bloc contre l'ouverture des débats (...) ". " Les Américains ne peuvent se permettre cela ", a ajouté le président, en référence aux plus de huit millions de chômeurs attribués à la crise financière, avant d'accuser certains républicains de vouloir " poursuivre les discussions derrière des portes closes, où les lobbyistes de l'industrie financière peuvent amoindrir la réforme ou bien la tuer ".

    L'obstruction des républicains à la réforme de la finance américaine pourrait, toutefois, ne pas résister à la pression de l'opinion publique. Révulsée par l'ampleur des aides publiques aux banques et la persistance de bonus géants pour leurs dirigeants, " Main Street " - la rue, par opposition à Wall Street - est favorable à un encadrement strict des financiers.

    Selon un sondage Washington Post/ABC publié lundi aux Etats-Unis et cité par l'AFP, l'opinion publique américaine soutient à 65 %, contre 31 %, un renforcement du contrôle du secteur financier.

    Par ailleurs, la controverse sur le rôle joué par la puissante banque d'affaires Goldman Sachs dans la crise, désormais la cible d'une plainte pour fraude des autorités boursières américaines, joue en faveur de M. Obama. Elle ajoute au climat de défiance généralisé envers le système financier.

    Les enjeux de la réforme de Wall Street dépassent le cadre américain. S'il aboutit, le projet de l'administration Obama conférera aux Etats-Unis une longueur d'avance sur l'Europe, dans le match sur la régulation financière.

    " Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont vendu l'idée que les Européens étaient en pointe en matière de réponse à la crise ; cette rhétorique devrait être de plus en plus difficile à tenir, estime l'économiste Nicolas Véron du centre européen Bruegel. L'Europe est loin d'avoir finalisé une législation globale. La dynamique politique est modifiée. "

    Anne Michel

    Les sénateurs républicains bloquent la loi sur la réforme financière

    Par Didier Géneau, à New York

    le 27/04/2010

    Le premier vote au sénat sur le texte de régulation financière a buté sur l'opposition des Républicains. Un accord reste envisagé

    Score final : 57 pour - 41 contre. Avec la défection surprise de deux des leurs et de l'opposition collective - plus prévisible - des Républicains, les sénateurs démocrates ont échoué à faire passer leur proposition de loi de régulation financière à une majorité qualifiée de 60 voix. Jusqu'à la dernière minute, le suspens aura pourtant été entier, et durant tout le week-end, les responsables des deux partis avaient multiplié les discussions afin de trouver un accord. Aux rumeurs annonçant la rupture des négociations répondaient immédiatement des déclarations selon lesquelles un vote bipartisan est quasiment acquis.

    Même le Président Barack Obama est intervenu pour inciter les sénateurs démocrates à la plus grande fermeté vis à vis des exigences républicaines. Avec une opinion publique américaine en colère contre Wall Street et un parti républicain déstabilisé par l'affaire Goldman Sachs, le Président tient désormais à passer en force une réforme financière conforme à ses promesses, et non vidée de sa substance comme l'a été en partie sa loi sur la santé. De leur coté, les Républicains tentent de réduire le coût de cette réforme et de limiter l'interventionnisme de l'état dans le système financier avec en particulier la création de l'agence de protection des consommateurs ou les règles dites Volker.

    Ce vote n'était en rien un vote définitif. Conformément aux procédures du sénat américain, il s'agissait d'un "vote test" destiné à mesurer les rapports de force en présence. Les démocrates n'ayant pas obtenu les 60 votes qui leur assuraient un débat express et une adoption du texte dans la foulée, les négociations vont donc reprendre. Les Républicains ont la possibilité d'utiliser leur minorité de blocage pour enliser le débat parlementaire avec d'interminables obstructions. Mais soucieux de ne pas apparaître comme une courroie de transmission de Wall Street aux yeux de leurs électeurs, les Républicains semblaient dire lundi soir qu'un consensus était toujours souhaitable à court terme. SelonRichard Shelby,chef de file des Républicains à la commission bancaire du Sénat, l'accord pourrait intervenir «cette semaine ou la semaine prochaine». Une fois adoptée au Sénat, cette proposition de loi devra encore être fusionnée avec celle de la Chambre des représentants votée en décembre dernier, puis enfin validée par le Président.


    Paul Jorion sur son blog fait aussi le récit de l’intervention télévisée par les sénateurs.

    Lien :

    audition de représentant de Goldman Sachs

    A suivre


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  • La restructuration de la dette, un scénario envisagé mais tabou

     

    PERSONNE, À ATHÈNES, ne veut en entendre parler. Mais le ministre des finances, Georges Papaconstantinou, a beau assurer que les spéculateurs pariant sur une banqueroute de la Grèce " y perdront leur chemise ", le scénario d'une restructuration de la dette fait son chemin.

    Au coeur de ces spéculations, une question : les quelque 45 milliards d'euros potentiellement mis sur la table par les Etats de la zone euro et le Fonds monétaire international (FMI) suffiront-ils à conjurer la crise et à stopper l'emballement des marchés ? Ils mettront sans doute la Grèce à l'abri d'une crise de liquidités à court terme. Mais des analystes jugent ce plan bien insuffisant à plus long terme, au vu de l'ampleur des déficits du pays.

    " D'un côté, les marchés ne croient pas que tout va rentrer dans l'ordre, de l'autre la Grèce doit mener de vraies réformes, douloureuses, qui lui prendront plus que trois ans ", détaille Daniel Gros, le directeur du Centre d'étude des politiques européennes, un cercle de réflexion bruxellois.

    L'économiste préconise de s'atteler dès maintenant à " un rééchelonnement de la dette grecque ", une issue qu'il juge inéluctable. En clair, selon M. Gros, Athènes devrait négocier avec ses débiteurs une rallonge de cinq ans de ses délais de paiement, sans modification des taux d'intérêt.

    Un tel plan dispenserait la Grèce de retourner sans cesse sur les marchés pour refinancer sa dette. A la place, le gouvernement pourrait se concentrer sur les réformes et les ajustements nécessaires à la réduction d'un déficit qui atteignait, fin 2009, 13,6 % du produit intérieur brut (PIB). L'Union européenne, enfin, serait déchargée de son rôle de " prêteur en dernier ressort " si les problèmes s'aggravent.

    La banque d'affaires américaine Goldman Sachs recommande, elle aussi, une renégociation de la dette, combinée au paquet d'aides européen. " Probablement le meilleur scénario pour s'en sortir ", indiquait Erik Nielsen, chef économiste Europe de Goldman, dans une note, jeudi 22 avril.

    Marge de manoeuvre étroite

    Bien des questions, pourtant, restent en suspens. Les créanciers accepteraient-ils de s'asseoir à la table des négociations ? Pourraient-ils supporter de ne pas récupérer une partie de leurs fonds ? La marge de manoeuvre est étroite. D'autant que certaines banques européennes sont très exposées au risque grec. " Le gouvernement grec possède une petite bombe, affirme Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis. Annuler 30 % de la dette aurait des répercussions très graves sur les systèmes bancaires français et allemand. " Et obligerait peut-être à remettre en route les plans de sauvetages échafaudés pendant la crise financière.

    Selon M. Artus, c'est aussi la crédibilité de la zone euro qui est ici en jeu. " Un défaut de la Grèce jetterait le discrédit sur tous les autres, et les plus faibles devraient à leur tour se financer beaucoup plus cher ", estime l'économiste. La crainte d'une contagion au Portugal a d'ailleurs commencé à agiter les marchés.

    Dans la bouche des dirigeants européens, l'hypothèse d'une restructuration de la dette reste un tabou. A plusieurs reprises, le gouvernement grec l'a fermement écartée. La ministre française de l'économie, Christine Lagarde, a aussi décrété ce scénario " hors de question ", lundi 26 avril.

    Mais l'enjeu, pour les capitales européennes, est maintenant d'aller vite et surtout de faire taire les divisions. Les réticences affichées de l'Allemagne à secourir la Grèce ont à nouveau fait bondir les taux auxquels le pays emprunte sur les marchés.

    Pour la première fois, lundi, le rendement des obligations à dix ans a dépassé les 9 %, six points de plus que l'Allemagne. Plus inquiétant, le taux des emprunts grecs à deux ans est passé de 10 % à 13 %, preuve que les investisseurs prennent très au sérieux le risque de défaut à court terme.

    Sur le marché des CDS, ces titres censés assurer un émetteur contre le risque de faillite d'un Etat, la Grèce est désormais considérée comme l'un des pays les plus risqués du monde. Elle est classée juste derrière l'Argentine, qui avait décrété un moratoire sur sa dette en 2001, et le Venezuela.

    Marie de Vergès


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