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  • Nous sommes tous des hypocrites

    Frankfurter Allgemeine Zeitung Francfort

    Dessin de Stephff paru dans Il Sole-24 Ore

    La Grèce doit faire preuve de davantage de crédibilité, entend-on un peu partout. Mais elle n’est pas la seule à travestir la réalité, rappelle la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est temps de se débarrasser des mensonges sur lesquels repose notre société.

    Tous les Crétois sont des menteurs, disait Epiménide le Crétois. Dans l’épître de Saint-Paul à Tite, la parabole philosophique évoquant ce cercle infernal de la logique paraît plus rude encore : “Quelqu’un d’entre eux, leur propre prophète, a dit : les Crétois sont toujours menteurs, de méchantes bêtes, des ventres paresseux”. Ce que l’on appelle le Paradoxe d’Epiménide trouve désormais son application dans la politique. Car tout le monde pousse des hauts cris parce que les Grecs auraient menti. Parce qu’ils vivaient au-dessus de leurs moyens. Parce qu’ils ont contracté plus de dettes qu’ils n’ont jamais pu en rembourser, et qu’ils attendaient que le reste de l’Europe — ou plus précisément, une partie du reste de l’Europe — leur serve de trésorier. Tout comme les banques qui ont récupéré les titres grecs dans leurs portefeuilles en se disant qu’un Etat peut certes se retrouver en faillite, mais pas un membre de l’UE.

    Une attitude encouragée par les politiques

    Pourtant, cette agitation elle-même fait partie du mensonge. Nous sommes tous crétois, de toute façon, en ce qui concerne le mensonge, plus que dans le domaine de l’auto-accusation. Athènes doit continuer à économiser, proclame-t-on. Mais il n’y a pas un seul Etat européen qui ne laisse pas sa population dans le flou quant à la situation fiscale. D’ailleurs, il n'y a pas un peuple pour désapprouver les primes à la casse, les fantasmes d’allègements fiscaux et les euphémismes sur le réendettement. Il y a bien un peu de mécontentement de temps à autre, mais guère plus. Pas un politicien qui, à la veille d’élections - comme en Rhénanie du Nord-Westphalie en ce moment, n’aura recours aux trucs les plus spécieux pour agiter les impôts sous le nez des électeurs.

    Athènes devrait continuer à épargner, affirme la débitrice [Angela Merkel]. Toutes ces gesticulations absurdes histoire de morigéner les Grecs servent avant tout à démontrer que l’on a, soi-même, son budget bien en main. En main ? A Bruxelles, ce Bruxelles où l’on déclare aujourd’hui vouloir soumettre la Grèce à une surveillance sans précédent, on n’a jamais eu la volonté, des années durant, d’éviter le pire. Les Crétois qui s’y trouvent connaissent-ils la situation fiscale des Portugais, des Bulgares, des Hongrois ou des Italiens ? Des Allemands ? La réponse ne peut être que : oui, bien sûr qu’ils la connaissent.

    Mais quand la politique consiste à intégrer des Etats et des continents entiers grâce à la prospérité, il n’est pas exclu que l’on ait fermé les yeux sur l’impossibilité de financer ces nobles objectifs — le concept européen ayant pour nom “cohésion”. “Ôtez à une société moyenne le mensonge vital, et c’est en même temps l’ordre politique que vous lui prenez”, pourrait-on dire en paraphrasant Ibsen.

    Les banques mentent, nous continuons comme si de rien n’était

    Au nombre de ces mensonges vitaux, citons tous ces efforts rhétoriques par lesquels nous mettons en œuvre nos fictions de la rationalité. Nous sommes censés vivre dans une société de l’observation et de la surveillance permanentes, de l’évaluation et de la certification constantes. Nous sommes également censés vivre dans une société du savoir. Pourquoi le recours à de tels concepts ne fait-il rire personne ? Même les catastrophes politiques les plus retentissantes ne sont reconnues que quand elles ne peuvent plus être niées par le ventre le plus paresseux.

    Dans une certaine mesure, la Grèce n’est qu’un exemple. Nous émettons des certificats dont nous savons qu’ils n’ont d’autre valeur que celle du papier sur lequel ils sont rédigés. Des milliers de politiciens sont constamment prêts à prendre l’avion pour aller assister à des conférences où l’on vise à parvenir à des accords tout en se déclarant sur la bonne voie. Quand les banques nous mentent et nous exploitent, nous ne les croyons plus pendant une fraction de seconde, puis nous continuons comme si de rien n’était. Cela vaut pour les politiques, pour les présentateurs télé, les consultants en entreprises.

    Par le biais de considérations complexes, nous démontrons que les dettes sont des investissements sur l’avenir, que l’Europe, c’est super, ou que le kérosène, l’augmentation de la production automobile, les mises en veille et l’élevage subventionné ne peuvent pas être responsables du changement climatique. Et la Grèce doit devenir plus crédible. Aussi crédible que nous, que les banques, que les gourous, que les chancelières, que les Crétois.

    Jürgen Kaube

    Allemagne
    Merkel sous contrôle juridique

    La décision politique ne fait plus de doute : la Grèce sera sauvée par ses partenaires européens. "Mais le véritable obstacle pourrait se trouver ailleurs", constate laFrankfurter Allgemeine Zeitung. Car on sait déjà que quatre intellectuels adversaires de l’euro vont saisir la Cour constitutionnelle allemande, déjà célèbre pour son arrêt sur le traité de Lisbonne en juin 2009. "Berlin a depuis longtemps pris en compte" cette attaque, rappelle le quotidien. "Mais le débat public houleux a ignoré le rôle prépondérant des questions constitutionnelles dans la position allemande vis-à-vis de la Grèce." Comme aucun autre gouvernement auparavant, celui d’Angela Merkel tente d’élaborer une politique qui résiste à l’examen des juges de Karlsruhe. Sa stratégie pour défendre le sauvetage grec, contraire à l'article 125 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, consiste à faire valoir qu'il n’y a pas d’autre moyen "d’écarter du peuple allemand tout dommage’ (article 56 de la Loi fondamentale), en l’occurrence l’instabilité de la monnaie unique et l’insolvabilité des banques et des assureurs allemands. "D'où la position du gouvernement qui parle du sauvetage comme d’un 'ultima ratio', remarque la FAZ, "et de l'implication du FMI", en tant que dernier recours. "Il s'avère, conclut le quotidien, que dans certains dossiers, Berlin ne peut agir à Bruxelles que sous contrôle juridique."


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  • Les discussions des responsables grecs avec des délégations du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne (BCE), qui doivent préciser les détails techniques de l'aide apportée à la Grèce par la zone euro, ont débuté ce 21 avril à Athènes
    et devraient durer une dizaine de jours. Le ministre des Finances, Georges Papaconstantinou, doit étudier avec les experts la mise en place d'"un programme de trois ans de politiques économiques [...] qui pourront être soutenues par une assistance financière des pays de la zone euro et du FMI si les autorités grecques décident de demander l'activation de ce mécanisme", selon un communiqué du ministère des Finances.

    Dessin de Luo Jie paru dans China Daily


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  • Crise des retraites ou crise tout court ?

     

    Annoncé comme l'enjeu majeur du demi-siècle à venir, le problème des retraites a été brutalement accéléré par la crise. Selon les derniers calculs présentés par le Conseil d'orientation des retraites (COR), un déficit de 1,7 % du PIB initialement attendu pour 2030 (dans le cadre d'une prévision faite en 2007) est désormais prévu pour 2010 ! Dans la projection la plus optimiste du COR, ce déficit récurrent se maintiendra jusqu'en 2050. Dans le scénario le plus sombre, le déficit continuera à s'accroître, pour atteindre 3 % du PIB, à partir de 2030.

    Ces chiffres sont inquiétants, sans être bouleversants. A l'horizon 2050, on pourrait enregistrer un quasi-doublement du PIB, ce qui laisse de la marge... Ce qui est neuf, c'est l'urgence soudaine qui est donnée au problème, du fait de la crise. Or les mesures nécessaires pour colmater aujourd'hui la brèche ne sont pas de même nature que celles qui sont nécessaires pour assurer l'équilibre dans la durée.

    L'exemple de la " retraite à 60 ans " est à cet égard emblématique. Comme chacun sait, l'âge de retraite n'est nullement égal aujourd'hui à " 60 ans ". Le droit à une retraite pleine dépend du nombre d'années de cotisation, qui atteindra quarante et un ans, en 2012. Le seuil des 60 ans ouvre seulement le droit de liquider sa retraite à taux plein si l'on a cotisé les annuités requises, et avec décote sinon.

    Considérons un salarié qui n'a pas cotisé suffisamment, mais qui décide quand même de prendre sa retraite. Où est le mal ? Il part plus tôt mais il gagne moins. La décote qui lui est appliquée permet, en théorie, de rendre ce choix indifférent à l'Etat. Ce qui change est le déficit courant, on devrait dire " en trésorerie ", de l'Etat. C'est préoccupant pour un gouvernement inquiet de l'évolution à court terme de ses finances publiques.

    Mais la question n'a rien à voir avec les perspectives de long terme qui devraient organiser le débat. Dans le cas d'un retraité qui a déjà cotisé la totalité de ses annuités, la situation est plus cocasse encore : en repoussant l'âge de départ au-delà de 60 ans, on lui interdirait d'encaisser ses droits, l'obligeant à accumuler une créance sur l'Etat, alors même qu'il appartient au segment le plus vulnérable de la population, composé de ceux qui ont commencé à travailler avant 19 ans et ont cotisé ensuite sans discontinuité...

    Ce que montre la crise actuelle est en réalité simple et incontournable : un régime de retraite par répartition dépend des vicissitudes de la masse salariale. Dans certaines propositions inspirées du régime suédois, telles celles de Thomas Piketty et Antoine Bozio, il faut intégrer ce risque dans le calcul des droits, et indexer les retraites sur la croissance (positive ou négative) de la masse salariale. Ce serait un (juste) retour au régime qui prévalait avant la réforme Balladur, laquelle avait indexé les retraites sur les prix contre toute logique macroéconomique.

    Le débat qui s'ouvre aujourd'hui devrait toutefois explorer d'autres options. Les calculs du COR sont ici particulièrement précieux. Ils montrent la fragilité des solutions qui ne reposeraient que sur la modification d'un seul paramètre. A s'en tenir au scénario le plus favorable, plusieurs résultats spectaculaires apparaissent.

    Si l'on ne jouait que sur le seul niveau des pensions, il faudrait les baisser de 36 % par rapport au revenu net des cotisants pour retrouver l'équilibre. Si on ne jouait que sur la durée de cotisations, il faudrait l'augmenter de dix ans par rapport à 2008. Et si on ne jouait que sur les cotisation, il faudrait les augmenter de 10 points environ.

    Le paradoxe toutefois est que ces ajustements effrayants ne visent, dans cet exemple, qu'à absorber un déficit récurrent, on ose dire " seulement " égal à 1,7 % du PIB...

    On se dit ici qu'un autre instrument plus large, telle une TVA sociale, serait plus utile qu'un allongement de dix ans de la durée de cotisation... Une méthode équivalente serait de remonter sur une TVA sociale tout ou partie des branches qui ne sont pas directement liées au travail, famille et maladie, pour retrouver de la marge sur le terrain des cotisations.

    En toute hypothèse, il est clair qu'aucun levier ne pourra, seul, régler le problème, et qu'il faudra jouer sur tous à la fois. Au-delà de l'équilibre à atteindre aujourd'hui, c'est toutefois une méthode pour l'avenir qui doit être trouvée, pour éviter un psychodrame récurrent. Entre le scénario le plus favorable et le moins favorable, il y a un écart de financement de 1,3 % de PIB. Faut-il attendre que le mauvais cas de figure se présente pour le régler ? Faut-il envisager dès aujourd'hui le pire pour être tranquille ensuite ? Manifestement, aucune des deux solutions n'est satisfaisante...

    A l'instar d'un régime par points, qui fixe leurs valeurs au niveau qui assure l'équilibre, mais sans accepter pour autant la logique qui fait reposer l'ajustement sur le seul retraité, il faut s'entendre sur des règles (automatiques) pour faire face aux risques à venir. Ce qu'il faut en effet est moins un nouvel ajustement " une fois pour toutes " qu'un regard lucide sur la signification de la crise : la démonstration de la solidarité de fait qui lie retraités et actifs aux cycles macroéconomiques.

     

    Daniel Cohen


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